Histoire du Jardin communautaire Centre – Sud de Montréal
Préhistoire du jardin : Le Weekend rouge
Le 30-31 octobre 1974, durant un conflit entre la Ville de Montréal et ses pompiers, une série d’incendies éclatent un peu partout dans la ville, touchant particulièrement le quartier Centre – Sud. C’est le Weekend rouge. Des scènes de fin du monde… À 3 heures du matin, plusieurs incendies d’importance font rage dans la métropole. Plus d’une trentaine de logements situés sur la rue Amherst, au nord d’Ontario, étaient la proie des flammes. Des dizaines et des dizaines de citoyens en sortaient en trombes de leurs demeures en feu. L’incendie a donné lieu à des scènes de « fin du monde » tant étaient grands le découragement et la résignation parmi les pauvres gens éperdus sur les trottoirs, en regardant brûler leurs biens…
Près d’une heure complète c’est écoulée entre le signal d’alerte et l’arrivée du premier camion à incendie piloté par des sapeurs-pompiers de Longueuil. Impuissants, les sinistrés regardaient paisiblement leurs logements peu à peu réduits en cendres. Tous les logements situés sur la rue Sherbrooke, entre les rues Amherst et Wolfe, ont dû être évacués.
Le vent soulevait d’énormes étincelles qui allaient s’abattre sur les toits des maisons et des hangars environnants. Les quelques maisons de logements de la rue Wolfe qui avaient pu être épargnées la nuit précédente ont été rapidement balayées.
Plus d’une centaine de personnes allaient être privées de logis. Les flammes s’élevaient à plus de 125 pieds dans les airs, éclairant d’une lueur blafarde les grandes ensembles d’habitations qui s’élèvent à proximité.
Au même moment, un gigantesque incendie détruisait complètement un immeuble abritant un garage d’automobiles et plusieurs logements à l’intersection des rues Shelly et Métropolitaine, dans l’est de la ville. Plus de 500 gallons d’huile ont brûlé.
(Journal de Montréal, dimanche, 3 novembre 1974).
Le jardin communautaire Centre-Sud : Ligne du temps
1974 : Un jardin naît des cendres du weekend rouge. Madame Mariette Verhelst, citoyenne du quartier et mère de famille, avec l’appui de 80 citoyens, sollicitent la ville de Montréal l’autorisation pour aménager un jardin sur un espace occupé par de bâtiments incendiés. Cette initiative marque le début du Programme des Jardins communautaires de la ville de Montréal.
1975 : Le premier emplacement. Suite à la demande des citoyens, le Comité exécutif de la Ville leur cède un terrain. L’entente est valide pour un an. Elle s’accompagne d’une promesse de relocalisation en cas de nécessité. Selon un document interne, le premier jardin communautaire de la Ville serait né le 26 juin sur le quadrilatère formé de la rue Plessis et Alexandre-de-Sève entre Ontario et Lafontaine. Vingt familles y participent.
Mariette Vehelst, fondatrice du Jardin communautaire Centre-Sud, est nommé responsable du jardin. Selon elle, c’est le manque d’argent pour acheter des légumes frais qui motive les familles à jardiner. Le jardin est alors utilisé par 198 personnes dont : 47 jeunes adultes dépendants ; 54 jeunes enfants ; 22 adolescents ; 75 adultes, parents et grands-parents.
1976 : Le déménagement. Au printemps 1976, la Ville relocalise le jardin rue Lafontaine entre Alexandre-de-Sève et Champlain.Le terrain est divisé en 40 parcelles de 10 pieds par 20 pieds. La Ville fournit de la bonne terre ainsi que du fumier de cheval que les jardiniers étendent.
La même année, quatre autres jardins sont créés. Le mouvement se confirme. Dès lors, la Ville assure le développement de nouveaux jardins en fournissant les ressources humaines, physiques et financières nécessaires. La Jardin botanique, quant à lui, offre des cours, des plans de plantation et des conseils.
1976-1987 : Un jardin au cœur de la vie. Le Jardin communautaire Centre-Sud se démarque par son engagement pour les familles et les femmes du quartier. Ainsi, jusqu’en 1989, le jardin est réservé aux résidents qui ont au moins deux enfants à charge. Les premiers conseils d’administration sont exclusivement formés de femmes. « Parrainées par le Comité social Centre-Sud, ces jardinières collaborent avec les groupes associés à celui-ci, dont le Café d’la Place, le Groupe d’alphabétisation et la Ferme communautaire. »
Certaines parcelles sont collectives. Côté Champlain on cultive 8 variétés de tomates, dont du Jardin botanique ; côté Alexandre de Sève, on cultive du maïs. Des parcelles sont aussi réservées aux organismes du quartier. Ceux-ci assurent, par ailleurs, la présence régulière d’animateurs dans le jardin.
1988-2002 : D’une initiative citoyenne à un service municipal. Progressivement, le rôle des organismes du quartier s’estompe pour faire place à la Municipalité. En 1988, la Ville engage Monsieur André Pedneault comme animateur horticole. Il sera en charge du Jardin communautaire Centre-Sud jusqu’en 2013. En 1989, la Ville unifrmise l’organisation et le mode de gestion des jardins. En 1990, le programme est intégré aux Services de Sports et Loisirs de la Ville. En 2001, la Ville compte 76 jardins communautaires. En 2002, chaque arrondissement devient responsable des jardins sur son territoire.
La fièvre verte s’empare des citoyens (par Michel Hott) : Adélard Hudon, forgeron à la retraite, contemple les premières pousses de son jardin en se balançant mollement dans sa berceuse sous un soleil à cuire un œuf. Il pense aussi à la terre qu’il a laissée à Dolbeau il y a l3 ans pour venir s’établir en ville, où l’attendaient déjà ses huit enfants. Coin Alexandre-de-Sèves et Lafontaine, c’est bien loin de la haute pointe du Lac Saint-Jean.
Adélard Hudon s’arrose le gosier de bière fraîche avant de me confier : « C’est le premier jardin qu’on fait depuis 13 ans qu’on est en ville. » Accoudé sur la clôture comme un voisin du rang, je me retourne pour délimiter à l’œil son jardinet parmi les 40 autres qui forment le Jardin communautaire Centre – Sud, animé par l’équipe du Projet 80 : à l’ombre d’une grande murale haute en couleurs illustrant des semailles cosmiques, un coin de verdure qui détonne dans ce quartier massacré par l’incurie des propriétaires et la présumée rénovation urbaine. » (Extrait d’un article paru dans La Presse du 5 juin 1978).
2003-2005 : Le virage écologique. En 2003 et 2004, l’organisme Terre en Ville offre des formations sur le compostage. Pour sa part, le conseil d’administration instaure une série de règlements afin d’inciter les jardiniers à adopter des pratiques plus écologiques. En 2010, l’Assemblée générale entérine de nouveaux règlements généraux : le jardinage écologique devient alors obligatoire.
2006-2010 : La décontamination. En 2006, la ville effectue des analyses du sol des jardins. Vingt deux jardins sont déclarés contaminés dont le Jardin communautaire Centre – Sud. De 2007 à 2008 on ne peut y cultiver que des fleurs. Au printemps 2009, le jardin est fermé pour décontamination. Une fois décontaminé, le jardin sera agrandi par l’ajout du terrain municipal.
2015 : Des jardins à protéger. Le maire Denis Coderre et l’ancien maire et directeur du Jardin botanique, Pierre Bourque étaient présents pour souligner les 40 ans du Programme des jardins communautaires de Montréal. Dans son discours, Monsieur Bourque a relaté sa rencontre avec des citoyens de St-Jacques en 1974. « Ce qui m’avait le plus marqué, c’est la résilience des gens. Ils avaient tout perdu. En compensation, leur donner un jardin, n’était rien. Mais ils étaient fiers de ça. »
Madame Kate Bush, jardinière impliquée depuis des années, a témoigné de la richesse et de l’importance de la vie sociale qui se développe au contact des jardiniers et souligne l’apport des membres de communautés culturelles dont les nombreux jardiniers originaires du Bangladesh.
Le président du Comité jardin, Jean-François Blanchard a, pour sa part, interpellé le maire sur « la nécessité de maintenir un meilleur équilibre dans l’occupation de l’espace urbain afin d’encourager et développer l’agriculture urbaine à Montréal. »
« Le Jardin Communautaire Centre – Sud, à l’intersection des rues Alexandre-de-Sève et Lafontaine, fête cette année ses 30 ans. Le dimanche 7 août, on a tenu une fête pour souligner l’événement. Sous un soleil radieux, le président du Jardin, Clarence-Edgar Comeau a remis une plaque honorifique à la fondatrice et citoyenne du Jardin, Mariette Wehelst, qui a aussi été la première présidente du jardin à sa fondation en 1976 et L’est restée pendant près de 25 ans. Elle parle encore avec conviction de l’importance des Jardins communautaires urbains, tant pour le citoyen, le quartier que pour la communauté. Le président du jardin a de plus souligné le travail acharné des membres du Jardin afin de contraire les 38 cadres en en bois servant à mieux délimiter les jardinets, à redéfinir les plates-bandes et réorganiser l’entrée du jardin.
Une histoire à continuer
En 2015 « 42% des Montréalais pratiquent l’agriculture à Montréal. » L’histoire nous apprend que le phénomène n’est pas nouveau. Jusqu’à la moitié du 20e siècle la vocation de Montréal est surtout agricole.
L’industrialisation va transformer les villages agricoles en quartiers, l’agriculture en ouvrier et l’ouvrier en jardinier. Les terres qu’ils cultivent portent des noms qui évoquent les guerres et la dépression : jardins Ouvriers 1910, de la Liberté 1917, de L’assistance 1929 et de la Victoire 1937.
En 1931, le Jardin botanique est fondé. Ce projet d’aménagement doit contribuer à contrer les effets de la grande Crise. « Deux mille chômeurs y travaillèrent à 35 sous de l’heure pendant 3 ans. » Finalement, en 1937, le Jardin botanique ouvre ses portes. La même année, le premier jardin communautaire de l’île de Montréal est créé à La Salle.
Vers 1950, des cours et des ruelles de Montréal se transforment en jardins sous les efforts d’immigrants italiens, portugais et grecs. Et c’est en 1974 que le Jardin communautaire Centre – Sud entre dans l’histoire comme l’initiateur de l’actuel Programme des jardins communautaires à Montréal. Un programme qui, en 2015, avec ses 97 jardins, permet à près de 10 000 d’y jardiner.
Aujourd’hui, on ne compte plus les initiatives citoyennes pour cultiver la ville : jardins sur les balcons, sur les toits, en façade, jardins collectifs, dans les écoles, les organismes ou les HLM, etc.
Un mouvement dynamique, libre et ouvert qui possède encore l’énergie de se renouveler.
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