Revenus records pour Loto-Québec : un avenir numérique à jouer d’ici 2026
Jamais Loto-Québec n’avait atteint de tels sommets. Avec près de 3 milliards de dollars de revenus et plus de 1,5 milliard de bénéfices nets en 2024-2025, la société d’État signe une année historique. Les casinos terrestres tournent à plein régime, dopés par une fréquentation en hausse. Mais derrière ce succès, une bataille plus décisive se prépare : celle du jeu en ligne. Car à l’horizon 2026, le Québec pourrait être poussé à réformer son modèle, à l’image de l’Ontario.
Des casinos québécois au sommet de leur rentabilité
Le rapport annuel 2024-2025 est formel : 2,993 milliards de dollars de revenus, en progression par rapport à l’exercice précédent. Le bénéfice net dépasse les 1,5 milliard, un record absolu.
Dans ce bilan, les casinos et salles de jeux tiennent la vedette : 1,202 milliard de revenus, soit le tiers de l’activité totale. Les loteries suivent (960,8 M$), puis les établissements de jeux (852,7 M$). Autant dire que le cœur économique de Loto-Québec bat encore dans ses établissements physiques.
Ces performances s’expliquent par une fréquentation en hausse, mais aussi par une diversification assumée. Les casinos sont devenus des lieux hybrides, où se mêlent spectacles, gastronomie et expériences événementielles. « Nous voulons que nos établissements restent des destinations de divertissement complètes », expliquait récemment Jean-François Bergeron, PDG de Loto-Québec.
Reste que le jeu change de terrain. Car en parallèle des salles pleines, une autre offre attire de plus en plus de joueurs : celle des plateformes numériques. Et il est désormais possible de découvrir une large sélection de jeux casino gratuit disponibles, souvent utilisés comme porte d’entrée vers des mises réelles.
Le talon d’Achille numérique : un marché en ligne encore marginal
Loto-Québec n’est pas en reste sur le digital. Sa plateforme Espacejeux.com compte plus de 2 000 jeux : des machines à sous au poker, en passant par les paris sportifs et les loteries instantanées. La société innove, avec des jackpots progressifs interconnectés entre casinos physiques et en ligne, des tables de roulette hybrides où se rencontrent joueurs sur place et internautes, ou encore du streaming vidéo en 4K.
Mais malgré ces efforts, la réalité est moins reluisante : le marché légal en ligne reste minoritaire. En 2024, seulement 27 % des joueurs québécois passaient par la plateforme officielle. Les autres préféraient les sites privés non régulés. Selon plusieurs estimations, ce sont près de 2 milliards de dollars par an qui échappent ainsi au fisc québécois.
Autrement dit, pendant que les casinos terrestres affichent des bénéfices record, une manne colossale file vers le « marché gris ». Et cette contradiction devient de plus en plus difficile à ignorer.
Ontario, le contre-exemple qui inspire
Il suffit de traverser la frontière pour voir un modèle différent. Depuis avril 2022, l’Ontario a ouvert son marché de l’iGaming aux opérateurs privés, sous la supervision d’iGaming Ontario. Résultat : plus de 50 plateformes agrééesopèrent légalement, de DraftKings à Bet365.
Les résultats sont spectaculaires : en 2023-2024, l’iGaming a généré environ 2,4 milliards de dollars de revenus bruts. Plus de 1,2 million de joueurs actifs s’y sont inscrits. Et surtout, la part de marché illégale a chuté.
Pour beaucoup d’observateurs, l’Ontario a trouvé l’équilibre : encadrer plutôt qu’interdire, taxer plutôt que subir. « Le Québec perd chaque année l’équivalent d’un budget d’hôpital régional au profit de sites non régulés », souligne un membre de la Coalition pour un marché ouvert, qui milite pour la fin du monopole de Loto-Québec. Le contraste avec l’Ontario accentue la pression.
2026 : une échéance politique sous haute tension
La question n’est plus seulement économique : elle devient politique. D’ici octobre 2026, le Québec tiendra ses élections provinciales. Et le dossier du jeu en ligne pourrait bien s’inviter dans la campagne.
La Coalition pour un marché ouvert, qui regroupe Flutter, Entain, Betway ou DraftKings, intensifie son lobbying. Ses arguments :
- Économiques : récupérer les milliards qui échappent aujourd’hui à l’État.
- Sociaux : offrir aux joueurs un encadrement et des outils de prévention que n’ont pas les plateformes illégales.
Les sondages leur donnent du poids : une enquête réalisée en 2023 montrait que 73 % des joueurs québécois utilisent des plateformes privées et que 67 % d’entre eux soutiendraient un modèle similaire à l’Ontario.
Pour l’instant, le gouvernement Legault temporise. Il avance l’argument du risque de banalisation du jeu et de la multiplication des publicités. Mais dans un contexte électoral, difficile d’ignorer un enjeu qui concerne des centaines de milliers de joueurs et des milliards en recettes potentielles.
La législation, entre monopole et ouverture
Actuellement, la loi québécoise confie à Loto-Québec un monopole légal sur l’offre de jeux d’argent et de hasard, que ce soit en salle ou en ligne. Toute autre plateforme est théoriquement illégale. Ce modèle se distingue de l’Ontario, où un cadre législatif spécifique, lancé en 2022, permet à des opérateurs privés d’obtenir une licence tout en reversant une partie de leurs revenus à la province.
Au Québec, les opposants à une réforme estiment que ce monopole garantit une meilleure maîtrise des risques liés au jeu excessif. Les partisans d’une ouverture, eux, rétorquent que le monopole n’empêche pas la prolifération des sites étrangers et prive la province de revenus considérables. Le débat reste donc entier : maintenir le statu quo ou repenser la législation pour coller aux nouvelles pratiques des joueurs.
Le Canada en pleine mutation numérique
Au-delà du Québec, c’est tout le pays qui entre dans une nouvelle ère. Selon les prévisions, le marché canadien de l’iGaming atteindra 5,8 milliards de dollars de revenus en 2026. Une étude d’Eilers & Krejcik projette un revenu brut de 2,6 milliards pour les casinos et le poker en ligne, dont 1,3 milliard pour l’Ontario et à peine 300 millions pour le Québec si rien ne change.
Ces chiffres illustrent l’écart qui se creuse entre provinces. D’un côté, l’Ontario mise sur l’ouverture et récolte les fruits de sa régulation. De l’autre, le Québec s’en tient à son monopole public, mais voit fuir les mises vers des plateformes étrangères.
Cette divergence pose une question simple : combien de temps le Québec pourra-t-il rester à l’écart, alors que le reste du pays bascule vers des modèles plus ouverts ?
Un marché à la croisée des chemins
L’année 2025 restera comme un millésime exceptionnel pour Loto-Québec. Mais ces résultats records cachent un paradoxe : jamais les casinos n’ont été aussi prospères, et jamais les pertes en ligne n’ont été aussi massives.
Le Québec est désormais face à un choix stratégique. Continuer à miser sur la force de ses établissements physiques, qui ont prouvé leur solidité. Ou accepter d’ouvrir la porte à une réforme de son marché numérique, à l’image de l’Ontario.