Tchékhov de retour au TNM
Antoine Boudet, Le Délit.
Après Oncle Vania, le Théâtre du Nouveau-Monde nous offre une Mouette de haute qualité.
« La mouette », pièce écrite en 1895, est une des œuvres les plus connues d’Anton Tchékhov. Pièce provocatrice, réflexion sur l’art, miroir de l’âme humaine: il fallait bien la compagnie Jean-Duceppe pour adapter ce chef-d’œuvre. Et la mise en scène d’Yves Desgagnés touche juste.
L’action se déroule dans une grande propriété à la campagne. Là se retrouvent, s’ennuient, s’aiment ou s’illusionnent une dizaine de personnages disparates. Les rapports complexes, souvent ambigus des protagonistes, donnent un ton profondément humain aux personnages, permettent d’explorer une grande variété d’émotions et d’aborder des thèmes profonds et modernes. Si Tchékhov fait beaucoup référence à Hamlet, la quête rageuse et vaine du jeune écrivain Trépliev et la vacuité de l’instituteur Medviédienko préfigurent déjà le théâtre de Beckett.
La mouette, c’est le récit universel de la perte et du manque. Comme Sorine regrette sa jeunesse, Nina pleure son innocence perdue et Trépliev sa pièce mort-née. Le spectateur assiste à la mort de Sorine, à la lente dégradation de Trépliev et de Nina. Au dernier acte, celle-ci apparaît livide et éthérée, irréelle, au bord de la folie. Le dernier dialogue entre les deux anciens amants est joué comme un rêve.
Tchékhov a mis de lui-même dans chacun des deux personnages d’écrivain de la pièce et les acteurs savent le rendre. Maxim Gaudette est un Trépliev enthousiaste et angoissé, jeune dramaturge à la recherche de nouvelles formes d’art. Il s’oppose à Trigorine, écrivain déjà célèbre et blasé, et amant de sa mère. Les deux ont chacun leur forme de ridicule. Cependant Henri Chassé nous présente un Trigorine trop effacé, sans passion ni mystère dans son ordinaire médiocrité; et son magnifique monologue sur l’art de l’écrivain en perd malheureusement sa force. L’actrice Arkadina, jouée d’une façon un peu prévisible par Maude Guérin, étale ses robes multicolores et son ego sur les quelques mètres carrés de la scène. Elle est aux antipodes de Mâcha; une véritable junkie, toujours avec son tabac à priser ou sa vodka. Dans un autre registre, Gérard Poirier incarne subtilement un magnifique Sorine un peu sénile, qui apporte une certaine tendresse à la pièce.
La poésie particulière de La mouette est parfaitement saisie par la mise en scène du TNM. Si l’usage de la musique paraît par moments superflu lors de certaines transitions, l’impression créée reste néanmoins extrêmement forte. Sous un jeu de lumières douces, tour à tour chaudes ou blafardes, le petit monde de Tchékhov s’ébranle au rythme langoureux des accords d’un piano invisible. Les mouvements sont lents, traînants. À l’exception du docteur Dorn, interprété par Michel Dumont, tous semblent avoir perdu leur énergie vitale.
La troupe a su parfaitement capturer la souffrance qui émane de La mouette. Kathleen Fortin est incroyable en Mâcha torturée, qui s’accroche désespérément à son oreiller comme un gamin à sa peluche, et dont le cri déchirant résonne au plus profond de chaque spectateur. Comme Trépliev a brûlé sa pièce, elle s’attache à détruire elle-même son amour pour lui en se mariant à un autre, sous le regard doux et silencieux du docteur Dorn. C’est sur une non-fin, l’anéantissement mécanique et programmé d’une jeune vie, que s’achève la pièce; la dernière scène, jouée avec une humanité bouleversante, est d’une tension dramatique intense.
Pour rejoindre le Théâtre du Nouveau Monde : Téléphone 514-866 8668.
Pour plus d’informations sur le TNM: Théâtre du Nouveau Monde.
Publié dans le Délit, 13 mars 2007.