Québec: une base de plein air

Le Québec: Une base de plein air « mur à mur »

Je me souviendrai toujours de ce gardien au mont Washington, au pied du ravin Tukerman, qui me regardait monter, il y a déjà 20 ans, avec des sacs de plastique entre mes bas et mes souliers de course. Un bâton de hockey, sur lequel était clou un panier de ski, me servait de bâton de marche avant l’heure. Assis au soleil sur sa roche, il me dit sur un ton paternel: « No boots, no mountain ». Je fis semblant de ne pas trop comprendre l’anglais et m’élançai vers le sommet.

Loin de moi l’idée de vous dire qu’on peut grimper une montagne sans préparation ni connaissances ni équipement. En 25 ans, j’ai accompagné près de 10 000 étudiants du cégep André-Laurendeau sur les sommets. Auparavant, j’ai initié pendant sept ans les « durs à cuire » des quartiers St-Henri et Pointe St-Charles à Montréal aux mêmes montagnes avec des sacs à dos sans ceinture de taille, des sacs poubelle comme imperméable et des bottes de motoneige. Malgré le manque de matériel, mon expérience et les erreurs de logistique, tous sont revenus en bas de la montagne plus vivants qu’au départ.

Sans le savoir, par nos essais et erreurs, nous développions un nouveau sport de plein air.

Mais je crois qu’aujourd’hui, réduire une excursion à une liste de matériel exhaustive, c’est profiter de l’insécurité du monde. C’est les empêcher d’utiliser leur imagination et leur esprit inventif, c’est leur enseigner qu’ils ont besoin d’être riches pour aller au sommet.

Préparer un élève à une excursion de plein air en autonomie complète pour deux à trois jours, c’est surtout faire appel à des sciences que l’on appelle pédagogie, psychologie, sociologie, sciences de la nature? Veux-tu dépasser les limites imposées jusqu’ici par tes peurs?

Au lieu de jouer avec un ballon, les élèves peuvent apprendre la vraie vie, l’autonomie, la prise de responsabilité, l’aide des plus démunis par les plus forts, la démocratie. Ils peuvent s’exprimer, découvrir le pays et les chants d’oiseaux, apprivoiser l’hiver québécois au lieu de rêver de le fuir vers le Sud.

La nature, quel merveilleux laboratoire pédagogique de psychologie et de sociologie. Avec ses quatre saisons, sa diversité, son étendue et le désir qu’a un nombre grandissant de professeurs formés et expérimentés dans le domaine, le Québec est une base de plein air « mur à mur ». La vraie réforme scolaire par projets devrait inclure des cours et des activités de plein air. On toucherait à tellement de matières scolaires : biologie, français, mathématiques, écologie, sciences morales, physique, chimie, etc. En escalade de rocher par exemple, les notions de force, de transfert de poids et d’adhérence ont leur base dans la théorie apprise en classe. Une chute au bout d’une corde fait comprendre à l’étudiant les principes de la gravité aussi rapidement qu’à Newton lorsqu’il reçut la pomme sur la tête.

Avec de tels projets, ce ne sont pas seulement les « bols » qui seraient avantagés, parce qu’on devrait aussi faire appel à l’intelligence du cœur et à celle du corps. Dans les expériences pédagogiques, l’élève prend connaissance de l’état de survie dans lequel il se trouve. Il doit apprendre à ne pas se perdre, à vivre avec les changements climatiques, à penser en fonction du groupe, à développer sa force intérieure. Pour ces raisons, les leaders sont souvent bien différents de ceux qu’on retrouve en classe ou au gymnase. Quel pourcentage de décrocheurs du secondaires pourrait-on ainsi aller chercher? Oui, il y aurait des accidents en vélo, des engelures en ski de fond, des enfants qui se perdraient en forêt, et on ne pourrait pas empêcher les médias d’être à l’affut. Sauf qu’en bout de ligne, il y aurait moins de dépression, de colère et de suicide chez nos élèves.

Mais aussi longtemps que les professeurs ou les directeurs de parc s’imagineront que les adeptes de la nature sont des pollueurs en puissance, il les verront comme des adversaires et agiront en empêcheurs de tourner en rond. J’ai vu des professeurs faire des crises de nerfs pour une pelure de banane.

On oublie que l’être humain fait aussi partie de la nature à préserver. Certains lieux du Québec sont tellement bien protégés que je ne serais pas surpris que (…) y soit caché. Dans les Alpes, les randonneurs fréquentent avec harmonie depuis plus de 150 ans les bouquetins du parc du Grand Paradis. Nos compatriotes amérindiens ont vécu pendant des siècles au milieu de la nature sans la perturber. Pourrait-on les avoir aujourd’hui comme professeurs?

Dans un groupe, il est rare que la proportion de pollueurs dépasse 1 %. C’est aux 99 % à réparer les torts de ceux et celles dont les yeux ne voient pas encore l’harmonie et l’équilibre de la nature. À leur retour à la « civilisation », après avoir bu l’eau de la source, entendu le cri de la chouette et vu des paysage sans coupe à blanc, ils deviendront beaucoup plus critiques face à l’usine qui pollue la rivière.

(Québec Science pratique – mai 202, par Pierre Gougoux, professeur d’éducation physique au cégep André-Laurendeau à Montréal. Il a initié des milliers de jeunes à la grande nature).

Un sentier dans la montagne. Photo de Natalya Vorobyeva.
Un sentier dans la montagne. Photo de Natalya Vorobyeva.

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