Pourquoi les Carabines sont-ils disparus ?
Texte paru dans l’Interdit, mars-avril 1979, #268.
Par André Huneault
Sans vouloir passer sous silence les exploits de nos Carabins, notamment au hockey et en ski, champions inter-universitaires 1964-1965, dans les années qui suivirent le déménagement de l’université « sur la montagne », il faut reconnaître que le fait sportif a l’Université de Montréal ne se stabilisa qu’à la fin des années cinquante. L’impact causé par la révolution tranquille sur le développement et l’épanouissement des institutions universitaires influença l’expansion rapide de notre université. Il devenait alors essentiel de structurer un département de sports pouvant répondre aux besoins d’une clientèle sportive tant sur le plan interne qu’inter-universitaire. Coïncidant avec la construction d’un stade ultra-moderne, les Marcel Pinsonnault, Lionel Lemay et Gérald Simond jetèrent les bases d’une organisation administrative qui fit l’envie des autres institutions canadiennes et qui fut des lors, pressentie comme la naissance d’un géant qui regrouperait toute l’élite francophone du sport universitaire.
C’est au cours de cette période que les équipes universitaires atteignirent leur plus haut sommet tant sur le plan de la performance que sur le plan de la participation des étudiants.
La dépersonnalisation
Comment alors expliquer que les Carabins disparaissaient de la carte dès le début des années 70 ? Une première réponse se trouve dans l’évolution qu’a connue le système d’éducation au cours de cette période. Les écoles de paroisses sont transformées en énormes polyvalentes.
Les collèges classiques avec toute leur fierté et leur identification sont remplacés par des Cégeps bien plus populeux et par conséquent plus anonymes. Cette société nouvelle véhicule des concepts tels que « sport-santé », « sport-loisir » et « sport-compétition ».
Les rejetons de cet appareillage éducatif, contrairement a leurs aînés, se présentent dorénavant à l’université avec une tout autre mentalité et sont accueillis par une structure plus administrative et de moins en moins personnalisée.
L’accessibilité a l’enseignement supérieur n’étant plus une garantie absolue de la sécurité de l’emploi, un climat d’inquiétude voire même de méfiance s’installe chez les étudiants.
Apparaissent alors les Services aux étudiants dont l’un des principaux objectifs est d’humaniser la vie sur le campus.
Du sport pour tous
Un deuxième élément d’explication se trouve dans l’évolution même du Service des sports de l’Université de Montréal.
En effet, vers le début de la présente décennie les professionnels du service qui avaient la responsabilité d’organiser le programme intramural manifestaient déjà leur mécontentement face à la disproportion entre les argents mis à la disposition de deux cents athlètes interuniversitaires et ceux disponibles pour les trois mille étudiants évoluant a l’intérieur des murs. À la même époque, soit le 13 mai 1971, survint le coup de théâtre qui déclencha la révision de la philosophie du Service des sports.
Lors d’une réunion régulière de la Commission des Services aux étudiants, les représentants étudiants font voter en leur faveur une résolution décidant « que le budget des sports inter-universitaires soit réduit a $15 000 et que la somme ainsi libérée, $80 763, soit portée au budget de l’éducation sportive et des sports inter-facultaires ».
En troisième lieu, une enquête scientifique faite en 1972 auprès des étudiants de l’Université de Montréal en vue de connaître leurs besoins en matière de services aux étudiants révéla sans équivoque, dans le cas des sports, que l’éducation sportive et le sport-loisir étaient les éléments prioritaires.
Face à tous ces événements et considérant que les sommes servant à financer les programmes sportifs provenaient majoritairement de la bourse de l’étudiant, le Service des sports revisa ses objectifs et s’orienta vers le concept de sport pour tous. Concrètement, cette nouvelle approche signifiait que sans égard pour le niveau d’habileté de l’étudiant, le Service lui offrait les mêmes avantages de programmation, de personnel et d’équipements. Il est alors facile de comprendre qu’il n’y avait plus de place pour les frais de voyages et de repas et c’est ainsi qu’à compter de 1972, les Carabins s’éteignirent progressivement.
Ce qu’il faut surtout retenir dans toute cette histoire, c’est que la disparition des Carabins ne fut pas le résultat d’une réaction négative envers un groupe d’athlètes mais beaucoup plus une évolution normale d’une idéologie socio-sportive d’ailleurs toujours en pleine gestation.