Syndrome frontal et syndrome préfrontal
Données anatomo-physiologiques. – On distingue dans le lobe frontal, d’une part, la frontale ascendante avec les pieds des 2e et 3e frontales, dévolues surtout à des fonctions « motrices » pures ou psychomotrices (motricité, écriture, langage parlé) et, d’autre part, la région située plus avant (dite préfrontale), en rapport avec des fonctions psychiques. Cette zone correspond aux aires architectoniques, 4,6, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 24, 25, 32, 44, 45, 46, 47 de Brodmann. Les études anciennes des physiologistes, en particulier celles de Bianchi, les constatations cliniques faites à l’occasion des pertes de substance traumatiques, des suppurations et des ramollissements avaient permis de dégager quelques données symptomatiques intéressantes. Il en ressortait qu’une atteinte préfrontale unilatérale (surtout droite) peut n’entraîner aucun trouble psychique, l’autre préfrontale (surtout la gauche) effectuant les compensations nécessaires, et qu’une atteinte préfrontale bilatérale a toutes les chances de produire des désordres psychiques. Ce sont les atteintes des circonvolutions inférieures orbitaires qui entraîneraient plus facilement des troubles psychiques (Schuster) ou caractériels (Welt) ou de l’humeur (Kleist).
Kretschmer (Psychologie médicale, 10e éd., Paris, 1956) a souligné a propos des syndromes frontaux, l’intérêt de la différenciation fonctionnelle faite par Kleist entre :
1) Lobe frontal propre, qui ne comprend que le cortex convexe et marginal, organe des fonctions motrices, psychomotrice et apparentées, dont ferait partie « l’impulsion »motrice comme intellectuelle :
2) Lobe orbital et interne, comprenant le cortex orbital, l’anneau de la circonvolution du corps calleux, le rétrosplénium et l’hippocampe, « organe de l’odorat, des sensations intérieures et des fonctions du Moi ».
L’observation d’un certain nombre de cas personnels de lésions du lobe orbital (lésion traumatique du toit orbitaire en général) a convaincu Kretschmer d’isoler des syndromes orbitaux spéciaux (Arch. Psych. Neuro., 1949) caractérisés par l’atteinte selon lui :
1) De « l’intégration sphérique », terme désignant certaines « fonctions de la forme » d’intégration du « cercle nébulleux du matériel imagé et affectif « accompagnant nos actes ».
Le laisser-aller, le manque de tact social, la niaiserie, la diminution des régulations éthiques, sont la conséquence de cette atteinte ;
2) De la régulation dynamique avec ruptures dans le cours de la pensée, jugements brusques, esquisses d’actes brutaux rapidement émoussés, prolixité. Désinhibitions générales sont continues, soit brutales et par à-coups, il en résulte constamment un manquement de goût et des pertes d’énergie.
Mais c’est surtout la neurochirurgie qui, par ses ablations ou ses résections (lobotomie, leucotomie, topectomie), a rénové nos connaissances sur la participation du lobe frontal au psychisme.
On a surtout établi les connexions de l’écorce avec le thalamus (noyau dorsal médian) avec l’hypothalamus et la région mamilaire et les interactions possibles fronto-thalamo-diencéphaliques.
Données neurochirurgicales. – Ce sont les observations faites à la suite de l’ablation bilatérale du cortex orbito-frontal chez le chimpanzé qui ont amené Egas Moniz, en 1936, à entreprendre la section des fibres de projection du lobe frontal chez certains sujets présentant des troubles mentaux et du comportement. Cette initiative, accueillie d’abord avec une certaine réserve, a suscité par la suite de nombreuses applications neurochirurgicales (v. Neurochirurgie). Citons en particulier les travaux de Fulton, Jacobsen sur des singes dressés, qui ont permis de préciser que dans les interventions ru le cerveau viscéral on observe des changements marqués du comportement sans altération de l’intelligence ; tandis que, dans les opérations sur le néo-cortex, on note une diminution de l’intelligence, sans troubles de la sphère émotionnelle.
D’après les physiologistes et les données de l’expérience psychochirurgicale, J.-F. Fulton considère que la lobotomie radicale classique doit être abandonnée. Il se montre partisan des interventions plus restreintes et adaptées à la nature de la maladie : dans les formes dépressives, ablation de la partie antérieure du gyrus insulaire ; topectomie englobant les aires 9 et 10 chez les malades agités, agressifs, hyperactifs.
Un travail de Le Beau et Choppy (Encephale, 1956, n3) sur « Les variations du lobe frontal et de certaines fonctions mentales » portant sur 200 malades opérés auxquels furent appliqués de nombreux contrôles par des tests appropriés, permirent de préciser dans une certaine mesure les fonctions mentales en relation avec le lobe frontal. Ils en tiré quelques conclusions au point de vue opératoire ; c’est ainsi qu’il faut éviter une intervention de la convexité chez la plupart des hypocondriaques et préférer dans ce cas la section de la face interne.
Symptomatologie psychique. – Elle avait déjà été étudiée au Congrès international de Neurologie de Londres en 1935, avant la première tentative d’Egas Moniz.
Les troubles de l’activité générale et du comportement sont fréquents : excitation d’un type spécial, ironique, moria de Jastrowitz (v. Moria) ou, au contraire, ralentissement avec apathie, indifférence, incuriosité : « phénomène de manque » (Kleist), parfois véritable stupeur (Baruk).
La libération des fonctions instinctives a été maintes fois soulignée, se traduisant par des impulsions souvent érotiques et alimentaires (Lhermitte), par des perversions du type instinctif, par de l’amoralité.
Les troubles intellectuels sont caractérisés surtout par un déficit de la mémoire de fixation et de l’attention. Il semble que les perceptions élémentaires existent, mais que ce soient les facultés de coordination et de synthèse qui soient atteintes ; le sujet est incapable d’assurer une continuité à sa pensée courante et une détermination à sa volonté et à sa capacité d’agir.
C’est cet ensemble qui réalise les gros troubles de la personnalité, si souvent signalés après les interventions neurochirurgicales sur le lobe frontal.
Groupements séméiologiques (syndromes mentaux préfrontaux). – Hecaen et Ajuriaguerra en ont fait une bonne présentation.
a) C’est surtout la moria qui a une grande valeur séméiologique en pareil cas ; sa note d’ironie, d’indifférence et d’incuriosité la différencie de la psychose maniaque dépressive vraie.
b) Un syndrome confusionnel est souvent observé ; il est rarement onirique et se trouve plutôt fait de désorientation et de stupeur ; encore faudra-t-il faire la part, en pareil cas, d’un élément d’hypertension crânienne s’il y a tumeur. Quand domine l’amnésie de fixation et s’ajoute la fabulation, on pourra avoir un véritable syndrome de Korsakoff.
c) Les syndromes démentiels sont fréquents : le plus typique se rencontre dans certaines encéphaloses comme la maladie de Pick. Parfois, c’est le tableau d’une pseud-paralysie générale, qui se constitue par l’association des signes déficitaires avec de la dysarthrie, des troubles pupillaires comme il se voit dans certaines tumeurs de la région.
d) Des états d’apparence hébéphréno-catatoniques ont pu être observés quand, sur un fond d’apathie, émergent des attitudes cataleptoÇides, des stéréotypies, du négativisme.
e) Une apparence d’hystérie a pu être réalisée quelquefois par des monoplégies ou des hémiplégies insidieuses survenant au milieu des troubles de la conduite morale, de l’érotisme, des perversions instinctives, d’une certaine malignité.
Signes neurologiques associés. – Ils sont importants à rechercher, certains ayant une valeur localisatrice assez grande.
Troubles du tonus : paralysie spastique, signes de la préhension forcée (grasping-réflex), persévération tonique, parfois syndromes parkinsonniens et choréo-athétosiques que des topectomies ont pu guérir.
Troubles de l’équilibration et de la coordination : ataxie de Bruns, astasie-abasie ; troubles oculo-moteurs (déviation conjuguée), troubles de l’orientation spatiale (P. Marie).
Troubles sensitifs : paresthésies, astéréognosies et surtout anosmie, par compression orbitaire de la bandelette olfactive.
Troubles neurovégétatifs assez fréquents. Ils consistent en troubles vasomoteurs, sudoraux, parfois sphinctériens ou génitaux, en troubles de la nutrition.
Troubles dysarthriques ou anarthrie ; troubles de l’écriture.
Formes étiologiques. – a) Traumatismes crâniens : La région frontale est très exposée et représente un pourcentage important dans les traumatismes de la tête. Tous les chirurgiens ont souligné l’extraordinaire tolérance des lobes frontaux qui ont pu supporter des pertes de substance importantes sans laisser de très gros déficits. Les traumatismes de la région frontale survenant chez un enfant entraînent presque toujours un arrêt de développement intellectuel et parfois des anomalies caractérielles.
b) Abcès cérébral frontal : Il peut succéder à une blessure infectée, à une ouverture du sinus ou à une infection de voisinage (cavité orbitaire, sinusite). (Pour la symptomatologie générale, v. Abcès cérébraux).
c) Tumeurs frontales : S’il s’agit de tumeur infiltrée (Guillaume), on assistera à une dégradation progressive des facultés psychiques à laquelle ne tardent pas à s’ajouter les signes neurologiques cités plus haut et des signes d’hypertension crânienne; l’évolution est assez rapide.
Dans les cas de méningiomes, l’évolution est plus lente et l’atteinte psychique est souvent fort discrète, se traduisant par une légère apathie, un peu d’indifférence et volontiers de la moria. Pomme, Planche et Gibert (Congrès Méd. alién. et neurol. de France et de pays de langue française, Bordeaux, 1956) ont fait remarquer que ce ne sont pas toujours les manifestations mentales qui conduisent le malade chez le médecin, car ces manifestations sont souvent très subtiles et, d’autre part, l’anxiété est très rare chez de tels malades.
Chez des sujets d’un certain âge, ajoutent-ils, il est quelquefois difficile de poser un diagnostic différentiel d’avec certaines atrophies centrales. Les méningiomes de la base (étage antérieur, petite aile du sphénoïde) ont une symptomatologie mentale plus marquée : l’anosmie est toujours présente. Dans tous ces cas, il n’est pas rare d’avoir un élément dysarthrique : des troubles de l’écriture peuvent être le symptôme initial ; la ventriculographie rend alors de précieux services pour le diagnostic.
d) Les encépaloses à évolution démentielle s’accompagnent d’atrophies frontales électives ; on a même décrit une forme exclusive (v. Pick, Alzheimer (maladie d’).
e) Des ramollissements d’origine artérielle (cérébrale antérieure), généralement unilatéraux, donnent rarement des désordres psychiques permanents.
Ant. Porot.
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