Substances stupéfiants, leurs dangers et les malheurs
Cannabisme
L’intoxication par le chanvre (cannabis) de date très ancienne, originaire de l’Inde, sévit surtout dans le Proche-Orient, l’Afrique du Nord et a gagné l’Amérique. Le terme général de Cannabisme a remplacé aujourd’hui celui plus limité de Haschichisme.
On utilise soit la résine et ses préparations (chira, charas, haschich), qui contiennent de 40 à 45% de principe actif; soit les sommités fleuries et les petites feuilles hachées dont la teneur en résine ne dépasse pas 8 à 12% (Kif algérien et marocain, Takrouri tunisien, Marihuana en Amérique, Bang, Habak en pays d’Orient).
On mange sous forme de confiseries spéciales (madjouna) cette résine ou bien on fume ces diverses préparations dans de petites pipes ou dans des narghilés. J. Bouquet, de Tunis, a fait une remarquable étude d’ensemble de toute la documentation concernant ces intoxications (Société des Nations, avril 1939, Commission des Stupéfiants).
L’usage habituel du chanvre crée rapidement la toxicomanie avec sa servitude et ses accidents.
– Accidents aigus. L’ivresse cannabique. – Elle a été décrite pour la première fois par Moreau de Tours, en 1840, et quelque peu poétisé par Baudelaire, Th. Gauthier (Club des Haschischins); en fait, elle est beaucoup plus fruste et plus grossière chez les indigènes que s’adonnent à sa pratique.
Elle est caractérisée d’abord par une période d’excitation euphorique avec hilarité spéciale et scission entre jugement et contrôle des actes; des désordres neurovégétatifs : tachycardie, sueurs, hyperesthésie ; puis survient une phase confusionnelle et de désorientation avec illusions, hallucinations, hyperesthésie sensorielle, hyperémotivité. C’est alors que se place la phase d’extase onirique, avec, fréquemment, des troubles de la personnalité (dédoublement). Après quelques heures survient une période de sommeil et un réveil marqué par un état de lassitude et d’apathie particuliers.
Mais ces ivresses cannabiques sont parfois, chez l’indigène impulsif, traversées par des raptus anxieux, des fugues et des réactions tragiques et meurtrières (Scouras, Mazhar Osman, A. Porot), les Américains se sont émus, eux aussi, des réactions tragiques de la marihuana.
– Le cannabisme chronique. – Le cannabisme chronique crée rapidement un assujettissement grave qui finit à la longue par entraîner un état de déchéance physique et mentale. Les fumeurs de chanvre y arrivent beaucoup moins vite que les consommateurs de résine (haschich, chira). A l’état habituel, mou apathique, paresseux, instable, l’intoxique. Chronique présente peu de signes somatiques : pâleur, maigreur, aspect de déficience propre à tous les intoxiqués. L’avitaminose intervient et G. de Clerambault, en 1920, a signalé, chez quelques fumeurs tunisiens, des phénomènes névritiques avec mal perforant plantaire. Mais il n’est pas rare d’observer, au cours de ces intoxications chroniques, des épisodes aigus ou des psychoses subaiguës à type confusionnel généralement de courte durée, mais facilement reviviscents.
H. Aubin a insisté sur le caractère particulier d’excitation à éclipses des intoxiqués chroniques (tests cliniques d’une grande valeur). Mais il existe aussi des psychoses prolongées et chroniques. Après la phase tumultueuse du début, la psychopathie peut se prolonger sous une forme atypique, discordante et les troubles du comportement, l’apragmatisme, les survivances oniriques et les thèmes délirants pauvres font penser à une psychose dissociative avec affaiblissement intellectuel et porter le diagnostic de démence précoce.
Beaucoup de ces sujets sont alors internés sous cette étiquette et on a la surprise, après un ou deux ans d’hospitalisation, de voir se dissiper tous les désordres (pseudodémence précoce).
Ajoutons que les fumeurs de kif dans l’Afrique du Nord, avant les événements tragiques qui ont explosé en 1954 en Algérie, s’adonnaient volontiers aussi à l’alcool et à l’héroïne et cumulaient les intoxications. Le traitement de cette intoxication est celui de toutes les toxicomanies : isolement et sevrage – ce dernier ne s’accompagnant pas habituellement de phénomènes critiques. La réglementation du chanvre, en certains pays (Tunisie), et sa monopolisation par l’État a permis de réduire la teneur en principe actif à 4,5% et a contribué à diminuer les ravages de cette toxicomanie dans les masses. L’interdiction absolue favorise, par ailleurs, l’intoxication clandestine.
Signalons qu’on avait décrit autrefois (Salomon) un cannabisme professionnel chez les ouvriers qui manipulent le chanvre au point de vue textile (« rouissage »). A la symptomatologie générale (amaigrissement, bronchites répétées) s’ajoutait un était d’hébétude particulière. Cette intoxication professionnelle devenue très rare a été cependant signalée en 1953 par Piedelièvre et Derobert : alternative de somnolence et d’excitation ébrieuse (An. Méd. Lég., janvier-février-mars).
Le cannabisme suscite souvent, en particulier chez l’indigène, des réactions médico-légales graves.

Substances hallucinogènes
Drogues qui entraînent habituellement chez les sujets auxquels elles ont été administrées des modifications psychiques transitoires dont les plus frappantes affectent le domaine des perceptions. Leurs effets étant toujours réversibles ont pu être étudiés systématiquement, chez des volontaires et chez des malades mentaux, sous le nom de « psychoses expérimentales ». L’appellation de substances hallucinogènes est critiquable et J. Delay propose de lui substituer celle de « neurodysleptiques ».
Des accidents toxiques du type hallucinogène ont pu être observés sous l’action des substances les plus diverses, mais de façon exceptionnelle, chez des sujets prédisposés. Le haschich et jusqu’à un certain point l’opium peuvent être rapprochés du groupe des hallucinogènes qui comprend surtout :
– La mescaline (v. ce mot), alcaloïde essentiel du peyotl (Echinocactus Williamsü). C’est la trimethoxyphényl éthylamine. Le peyotl était utilisé par les Indiens du Mexique pour faciliter l’extase au cours des cérémonies religieuses ; il est l’agent d’une toxicomanie peu étendue qui persiste dans le centre de l’Amérique du Nord. Actuellement, on utilise le chlorhydrate de mescaline en injections intraveineuses aux doses moyennes de 300 à 400 mg.
– La diéthylamide de l’acide lysergique ou L. S. D. 25, obtenue en 1938 par Stoll et Hofmann à partir de l’acide lysergique, noyau spécifique des alcaloïdes de l’ergot de seigle. Le produit est administré par voie orale (ou plus rarement injecté dans une veine); les doses actives sont de l’ordre de 30 à 50 microgrammes.
D’autres produits, dont la liste s’allonge chaque jour, font partie du même groupe mais sont actuellement moins utilisés :la yagéine ou télépathine, extraite de deux lianes : le Yagé et l’Ayahuasca; l’harmine, extraite de Peganum Harmala; l’alcoloïde d’Opunta Cylindrica (Guttierez-Noriéga et Cruz Sanchez); la bufotéinine, ou diméthyll-sérotonine, présente dans divers champignons vénéneux (fausse oronge ou Amanita Muscaria) et dans les graines de diverses espèces de Pipladenia qui servent à la préparation du « cohoba », utilisé pour ses propriétés euphorisantes par les indigènes des Antilles et des forêts amazoniennes. Mentionnons enfin les « champignons divinatoires » du Mexique (R.Heim), qui appartiennent à quatre espèces d’agaricacées : Concocybe, Stropharia, Paneoulus et Psilocybe; la psilocybine, principal alcaloïde de ce dernier, a été particulièrement étudié par J. Delay et ses collaborateurs.
Les symptômes provoqués par ces diverses substances sont assez analogues pour permettre une description schématique commune.
Les effets psychologiques sont les premiers à se manifester au cours de l’intoxication hallucinogène : on note des troubles orientés d’une façon générale dans le sens de l’hyperorthosympathicotonie, des troubles labyrinthiques, des altérations de la somatognosie, à l’exclusion de tout symptôme d’altération neurologique grossière. En ce qui concerne l’activité électrique, les phénomènes observés chez l’homme et chez l’animal sont à peu près identiques : L. S. D. 25 aux doses usuelles et la mescaline quelle qu’en soit la posologie favorisent l’apparition d’une activité rapide de bas voltage, caractéristique de la stimulation des formations réticulées mésencéphaliques.
Sur le plan psychologique, les effets observés varient d’un sujet à l’autre et aussi d’un instant à l’autre ; dans l’ensemble, ils évoluent selon un cycle assez caractéristique dont la durée est habituellement comprise entre 4 et 12 heures. Chez le sujet normal, il se produit d’abord une modification de l’humeur et de l’activité émotionnelle (gaieté expansive ou plus rarement tristesse). Ensuite surviennent les altérations des perceptions qui représentent l’élément le plus caractéristique de l’intoxication expérimentale : illusions et hallucinations affectent principalement le domaine visuel : perpétuelle mouvance des formes et des couleurs, déformations puis transformations, visions complexes enfin, pouvant avoir une richesse esthétique remarquable. Les hallucinations auditives sont plus rares; par contre, les illusions portant sur le schéma corporel sont presque constantes (impression de dédoublement, de fragmentation du corps, de changement de forme ou de volume des membres); on doit noter également la fréquence des synesthésies. Progressivement, la personnalité, qui gardait d’abord vis-à-vis de ces phénomènes une certaine extériorité, se laisse plus ou moins entraîner : le sujet vit des expériences imaginaires dont les unes paraissent être des créations originales tandis que d’autres reconstituent avec une exactitude plus ou moins grande des scènes du passé. Dans une dernière phase enfin les éléments de la personnalité normale tendent à se réformer et à se regrouper et la restauration de l’état antérieur se complète rapidement. Exceptionnellement, des reliquats oniriques peuvent persister pendant plusieurs jours.
Chez les malades atteints de névroses, l’intoxication expérimentale entraîne généralement une régression plus complète; les hallucinations sont moins bien critiquées ; des états seconds peuvent apparaître, parfois accompagnés de décharges émotionnelles dont on a utilisé la valeur cathartique, de même que l’on a exploité à des fins analytiques le « matériel psychologique » recueilli. Chez les schizophrènes, les symptômes pathologiques deviennent souvent plus apparents, ce qui peut aider au diagnostic dans les cas douteux.
La physiologique des psychoses expérimentales est fort complexe. L’une des clés est fournie par l’étude de la structure chimique des substances dites hallucinogènes.
La mescaline est une phényl-éthylamine. Sa constitution chimique est proche de celle de l’adrénaline, de l’éphédrine et de la benzédrine. Etant donné l’importance de l’adrénergie pour le fonctionnement du système nerveux, les théories initiales expliquaient l’action de la mescaline par une interférence enzymatique avec le métabolisme de l’adrénaline. D’autre part, l’oxydation de l’adrénaline fait apparaître un produit indolique, l’adrénochrome. On pourrait donc concevoir une unité structurale au moins virtuelle entre la mescaline et les hallucinigènes à noyau indol, L. S. D. 25, harmine et bufoténine.
L’intervention dans la physiologie nerveuse d’une neuro-hormone récemment étudiée, la sérotonine, de nature indolique, permettait d’évoquer comme pour l’adrénaline une interférence et une compétition des drogues hallucinogènes avec une substance indispensable au fonctionnement nerveux. L’essentiel des travaux a été poursuivi dans cette voie.
La sérotonine est la 5-hydroxytryptamine. Elle a été isolée du sérum et des cellules chromaffines du tube digestif. Son rôle dans le fonctionnement du système nerveux semble important. La sérotonine est présente dans le tronc cérébral et le cerveau. Elle exerce une puissante inhibition synaptique, vingt-cinq fois plus importante que celle de l’adrénaline; quantitativement, mais en sens opposé, ses effets peuvent se comparer à ceux de l’acétylcholine, de sorte que le fonctionnement synaptique pourrait être considéré comme résultant de l’équilibre entre la sérotonine et l’acétylcholine (Marazzi et Hart). La sérotonine est inhibée à la fois in vivo et in vitro par les neuroleptiques. La majorité des auteurs attribue à l’excès de sérotonine le rôle pathogène. Les neuroleptiques sont en effet des inhibiteurs de la sérotonine. Quant aux hallucinogènes, on peut concevoir leur action de deux façons : on bien leur analogie structurale avec la sérotonine leur permet d’agir sur les mêmes récepteurs cellulaires que celle-ci, et dans cette hypothèse l’introduction de substances indoliques dans l’organisme aurait les mêmes effets que la production endogène de sérotonine en excès, ou bien les différentes substances hallucinogènes exaltent la sérotonine physiologique. L’antagonisme in vitro et in vivo entre les hallucingènes et la sérotonine est un effet relatif : le rapport entre les substances en présence détermine l’orientation du phénomène. La L. S. D. 25 exerce un effet prosérotonine à faible dose et s’oppose à la neuro-hormone à forte dose. Il en est peut-être de même pour l’harmine t la bufoténine. Quant à la mescaline, en inhibant l’amino-oxydase responsable du catabolisme de la sérotonine, elle exerce un effet d’épargne sur cette substance.
L’intérêt majeur des psychoses expérimentales est de fournir un moyen commode pour l’étude des chimiothérapies antipsychotiques. L’antagonisme entre les substances hallucinogènes et les neuroleptiques est aussi bien clinique qu’électrophysiologique. Les phénothiazines et la réserpine restaurent les tracés d’alerte induits par la mescaline ou L. S. D. 25. Il semble bien que ce soit par l’intermédiaire des formations réticulées mésocéphalique que se réalisent ces modifications de l’électrogenèse corticale.
D’un point de vue psychopathologique, les drogues hallucinogènes réalisent non point un syndrome spécifique doué d’une structure toujours identique, mais selon les sujets et selon les moments, des états qui s’apparentent soit à l’endormissement physiologique, soit à la manie ou à la mélancolie, soit aux expériences délirantes primaires, soit enfin à la confusion mentale. Les phénomènes psychosensoriels s’expliquent par la déstructuration de la conscience, à divers degrés de profondeur, et par l’altération des données sensorielles, l’intoxication troublant le fonctionnement des appareils périphériques et centraux de la perception.
L’interprétation de ces faits permet de dégager un ensemble de données d’un grand intérêt, encore que leur extension à la psychopathologie générale demande beaucoup de prudence.
Sur le plan pratique, les substances hallucinogènes peuvent faciliter certains diagnostics, en particulier dans les formes de début de la schizophrénie. Leur utilisation thérapeutique, préconisée par certains auteurs, est actuellement peu répandue.
J.-M. Sutter et Y. Pélicier.

Stupéfiants
Nom donné aux substances et aux drogues dont les effets produisent une sensation de détente ou d’euphorie rapide mais pouvant créer assez vite une accoutumance avec état de besoin, entraînant l’élévation progressive des doses et pouvant aboutir à une toxicomanie.
Les principaux stupéfiants sont l’opium et ses diverses préparations, ainsi que ses alcaloïdes (morphine, héroïne, codéine, dionine, etc.), le chanvre et ses diverses préparations (haschich, kif, marijuana), la cocaïne. On en trouvera l’étude clinique aux mots Opium, Cannabisme, Cocaïne. Ces stupéfiants, en certains pays à certaines époques ont fait l’objet d’une diffusion inquiétante et font figure de véritables fléaux sociaux. La lutte contre ces fléaux a été entreprise sur le plan international par la « Commission des stupéfiants » à la Société des Nations de Genève et actuellement par l’O.N.U.
Depuis une dizaine d’années, on a réalisé pour la thérapeutique analgésique un certain nombre de produits synthétiques du groupe de la « péthidine » (Dolantine, Dolosal, etc.) ou de la « méthadone ». Ces stupéfiants synthétiques ont créé de véritables toxicomanies. Aussi, les organisations d l’O.N.U., qui ont succédé à celles de la S.D.N., avec leur Commission spéciales pour les stupéfiants, ont-elles signalé le danger et certains pays ont déjà pris des mesures radicales; en France, elles ont été inscrites au tableau B. et les autorisations de fabrication ont été limitées.
En France, des décrets et ordonnances successifs, 1845-1916 – novembre 1918 et 19 novembre 1948 – ont réglementé leur détention, leur commerce et leur prescription médicale. Les substances vénéneuses sont réparties en trois tableaux : A,B.C; els stupéfiants figurent au tableau B.
«Attendez qu’on vous en demande plus d’une fois, et vous ressouvenez de porter toujours beaucoup d’eau» (Molière, L’Avare – III, 1.). Photo de Bob Marley et son guitare – ElenaB.
Rapportons ici les principales dispositions de l’article 49 du décret du 19 novembre 1848 :
– Interdiction de prescrire des substances stupéfiantes en nature;
– Nécessité d’ordonnances tirées d’un carnet à souches.
Nous donnons ici, d’après le Bulletin de l’ordre des médecins, n.3 de juin 1950, les principales dispositions concernant l’emploi du carnet à souches :
Le carnet à souches pour prescriptions de stupéfiants doit être utilisé pour toutes les préparations contenant des substances inscrites au tableau B (stupéfiants), à des doses dépassant les doses d’exonération précisées au tableau ci-dessous, à l’exception des liniments et des pommades qui peuvent être prescrits sur ordonnances ordinaires.
Il ressort de l’examen de ce tableau :
1. Que toutes les préparations injectables doivent être prescrites sur carnet à souches.
2. Que, seules, sont exonérées les substances inscrites nommément à ce tableau ; les préparations qui les contiennent sont, de même, exonérées à raison de leur teneur.
Les stupéfiants qui ne figurent pas sur ce tableau ne jouissent d’aucune exonération (par exemple, l’héroïne).
Le laudanum de Sydenham, qui est une préparation d’opium médicinal, par exception, ne jouit d’aucune exonération en raison de son utilisation fréquente par les toxicomanes et doit donc toujours figurer sur le carnet à souches pour prescriptions de stupéfiants, sauf lorsqu’il est prescrit, mélangé à d’autres substance, sous forme de liniments (par exemple : laudanum et huile camphrée en mélange).
Il est rappelé par ailleurs :
1) Qu’il est interdit de prescrire des substances du tableau B en nature.
2) Que doivent figurer sur l’ordonnance :
– Les nom, adresse et signature du médecin ;
– La date de la prescription ;
– Le mode d’emploi ;
– Les nom et adresse du bénéficiaire ;
– Les doses des substances et le nombre d’unités thérapeutiques, en toutes lettres.
Toutes ces dispositions sont justifiées par les surcharges fréquentes et les falsifications apportées par les toxicomanes.
À l’exception des liniments et des pommades, les prescriptions comportant des stupéfiants à doses non exonérées ne sont pas renouvelables.
Enfin, la règle des sept jours est applicable à toutes les préparations comportant des stupéfiants à doses non exonérées, à l’exception des liniments et des pommades.
La détention de stupéfiants par un médecin pour usage professionnel est soumise également à l’obligation d’une ordonnance tirée du carnet à souches, laquelle ne peut être honorée que par un pharmacien désigné de sa commune ; les doses autorisées sont fixées par le directeur régional de la Santé, après avis du Conseil de l’Ordre.
Les échantillons médicaux des maisons de spécialités contenant des stupéfiants ne peuvent être fournis à chaque médecin qu’à raison de 3 unités par mois.
Coca (feuille), coca (extrait fluide de), cocaïne et ses sels (bougies, crayons, ovules, suppositoires)
Éther éthylique d l’acide 1-méthylphényl-pipéridine carbonique et ses sels (bougies, crayons, ovules, suppositoires)
Morphine et ses sels (bougies, crayons, ovules, suppositoires)
Opium (extrait) sels (bougies, crayons, ovules, suppositoires)
Opium (poudre) (bougies, crayons, ovules, suppositoires)
Laudanum de Sydenham
Gouttes noires anglaises
Teinture d’opium
Extrait de pavot (à 10 % de morphine)
Ant. Porot.

Barbiturisme, Barbitomanie
L’usage trop facile des harbiturates (véronal, gardénal, ruténal, dial, somnifène. etc.) a pu donner des accidents aigus en cas d’ingestion massive. A doses modérées il peut engendrer aussi une habitude toxicomaniaque avec ses servitudes et son retentissement neuro-psychique. «II faut avoir parlé aux pharmaciens, dit LE GUILLANT, pour se rendre un compte exact de l’importance de la consommation publique actuelle des divers barbituriques » (thèse, Paris, 1930).
La toxicomanie barbiturique est très répandue dans beaucoup de pays et croît dans les pays civilisés à un rythme très rapide, ainsi que l’a signalé, en 1952, le Pr. WOLFF, secrétaire général de la «Commission des stupéfiants et autres drogues loisibles», de l’Organisation mondiale de Santé (O.N.U.).
Un travail de IDERSTROM (anal, in Encéphale, 1954, n° 6, p. 566) signale qu’en Suède il est consommé annuellement 20 t barbituriques, soit 2,9 g par habitant.
Aussi, depuis quelques années, en France, les barbiturates ont-ils été inscrits au tableau B.
1° Intoxication aiguë. – L’intoxication aiguë résulte le plus souvent de tentative de suicide; exceptionnellement, il s’agit d’une intolérance spéciale aux médicaments. Ces tentatives de suicide, assez fréquentes du reste, s’observent particulièrement chez de jeunes femmes habituées aux médicaments et qui, un jour, dans un moment de désespoir, forcent la dose et vident leur tube d’un coup. LE GUILLANT a bien souligné le côté un peu théâtral de ces tentatives. On a même parlé de «chantage au suicide».
Quand la dose n’est pas trop élevée, on observera un simple état d’ébriété avec troubles de la marche, dysarthrie, somnolence prolongée avec petites bouffées délirantes. Au-dessus de 1,5 g à 2 g, c’est le coma barbiturique à tous ses degrés: le coma léger d’où le malade peut être tiré, pour un temps; le coma profond où toute invigoration est inopérante. Celui-ci est caractérisé par une résolution musculaire complète avec hypotonie et abolition des réflexes (parfois le signe de BABINSKI est positif) et on observe des variations pupiliaires de la mydriase au myosis. La respiration est lente, parfois stertoreuse, le pouls légèrement accéléré est affaibli, la déglutition troublée dans les deux temps.
Le coma peut s’entrecouper, à ses stades dégradés, d’agitation délirante, voire d’autornatisme moteur; on note parfois une sorte de somnambulisme animé, inconscient, incohérent. La fièvre et les complications pulmonaires sont des accidents fréquents au cours du coma barbiturique. La fièvre, dans les cas favorables, présente, au bout de vingt-quatre à quarante-huit heures, un clocher unique à 39,5° mais l’hyperthermie, qui est précoce dans les cas graves, atteint 40° et se poursuit jusqu’à la mort.
On notera, dans les cas sévères, de l’oligurie et de l’albuminurie.
Les troubles de conduction fréquents, précurseurs de la défaillance cardiaque, indiquent pour CARRIERE, HURIEZ et WILLOOUET, l’électropronostic. On a tiré également des éléments de pronostic de la formule sanguine (FLANDIN, DENECHAU et BONHOMME).
Il n’y a pas de dose fatale proprement dite; toutefois, au delà de 3 g de gardénal et de 6 g de véronal, les plus grandes réserves s’imposent. La durée du coma intervient également; il est rare de voir un retour à la guérison après le troisième jour.
2° Intoxication subaiguë. – Elle est produite par l’usage souvent prolongé de doses excessives, mais n’aboutissant pas au coma. Leur symptomatologie est surtout neurologique: dysarthrie, tremblements, troubles de l’équilibration, parésie oculomotrice, nystagmus, diplopie, parfois aréfiexie. A ces signes neurologiques s’ajoutent la bradypsychie, l’obtusion confusionnelle et l’onirisme hallucinatoire.
Quand on n’est pas averti de l’étiologie, on envisage tour à tour les diagnostics d’ivresse, de paralysie générale, de sclérose en plaques, etc.
3° Intoxication chronique. Toxicomanies barbituriques. – Dans la civilisation moderne qui impose à l’homme des cadences de vie auxquelles il s’adapte mal, les obsédés du sommeil, les narcomanes (LEGRAIN) Sont aujourd’hui légion. Grâce à la publicité séduisante des fabricants de produits chimiques, le public a pu se procurer facilement des hypnotiques de la série barbiturique.
L’état mental habituel du barbitomane chronique est essentiellement constitué par ses tendances dépressives anxieuses constitutionnelles aggravées par l’intoxication. On a cherché aussi expérimentalement (IDERSTROM) le degré de dépression nerveuse produit par l’usage habituel des barbituriques par la fusion du papillotement lumineux (méthode de GOLDBERG): on présente au sujet une lumière papillotant à un rythme constant; on fait varier l’intensité de la source lumineuse pour déterminer le point où elle est vue comme fixe. L’imprégnation barbiturique du système nerveux élève le seuil du point de fusion. Il s’y ajoute souvent des troubles de l’humeur et du caractère assez significatifs (signalés, du reste, quelquefois chez les épileptiques soumis au traitement du gardénal): irritation constante contre l’entourage, hostilité fréquente contre le conjoint ou les proches, diminution des sentiments affectifs, relâchement du tonus moral et, comme dans toutes les toxicomanies, tendance à la dissimulation, au mensonge, à la malignité perverse.
Des états d’agitation transitoire peuvent s’observer, mais on a pu décrire aussi de véritables psychoses barbituriques.
Psychoses barbituriques: 1° La fréquence des petits signes neurologiques déjà signalée dans l’intoxication subaiguë, dysarthrie, tremblements, incertitude de la marche, troubles pupillaires, a fait penser parfois à des démences organiques; l’on a même décrit une pseudo-paralysie générale barbiturique quand, aux signes neurologiques, s’ajoutent la dysmnésie, la faiblesse du jugement, le déficit de l’attention et de l’autocritique, quelques accès coléreux et quelques bouffées délirantes.
2° On a décrit aussi de véritables étals d’agitation prolongée, de type maniaque, dans lesquels il est difficile de faire la part respective de la prédisposition et de l’intoxication.
3° On a signalé également quelques cas de psychoses de sevrage, bouffées délirantes hallucinatoires à prédominance nocturne survenant quelques jours après la cessation du toxique.
Rappelons ici toute la série des autres accidents provoqués par le barbiturisme en dehors des troubles neuropsychiques et qui aideront au diagnostic : manifestations cutanées, érythèmes, algies, pseudo-rhumatismes.
Traitement :
1° Coma barbiturique : dans l’intoxication aiguë massive, deux cas sont à distinguer: le médecin est appelé dès les premières heures, il peut essayer, sans s’y attarder trop, le traitement d’évacuation: vomissements provoqués, injections d’apomorphine.
Si le coma est bien confirmé, il devra mettre en œuvre une thérapeutique médicamenteuse active. Pendant plus de 15 ans (1935-1950), en se basant sur le dogme de l’antidotisme de la strychnine et des barbiturates, on a utilisé la strychnothérapie à doses intensives: injections intraveineuses de 30 cg à 1 g plusieurs fois par jour, jusqu’à plusieurs grammes. On y ajoutait souvent les saignées copieuses pour éviter les œdèmes pulmonaire et cérébral. On y joignait l’oxygénothérapie en cas de cyanose. Cette thérapeutique est souvent utilisée, mais peut-être à des doses plus modérées depuis l’avènement d’autres médications.
Les amphétamines à hautes doses sont utilisées aujourd’hui couramment (Pervitine, Maxiton, etc.) en injections intraveineuses répétées toute la journée jusqu’à ce que survienne le réveil.
Puis de nouveaux traitements se sont imposés à l’attention des praticiens ; en particulier les convulsivants. Les Anglo-Saxons ont utilisé la picrotoxine qui a été appliquée aussi en France.
Le Cardiazol employé en solution de 5 % en injections de 5 ce; mais comme son action est de courte durée, il faut répéter les injections plusieurs fois par jour.
Mais le traitement par les convulsivants a suscité quelques critiques. Une intéressante «confrontation» s’est tenue à l’hôpital Necker en 1957, autour de G. RICHET, sur le traitement de l’intoxication barbiturique (compte rendu anal, in P. M., n° 35, 1er mai 1957). Certaines autopsies ont révélé des lésions cérébrales que l’on ne rencontre guère chez des épileptiques soumis à de longs traitements par les barbiturates.
On pense que le danger en pareil cas vient plutôt de l’anoxémie.
La strychnothérapie qui «dope» les centres neurovégétatifs échappe à ce reproche. On a estimé la mortalité chez les malades traités par les convulsivants à 14 %, tandis qu’elle ne serait que de 4 % par un traitement conservateur. Ce traitement conservateur, tel que l’envisage G. RICHET, imposé le plus souvent par de l’encombrement respiratoire ou des phénomènes de collapsus vasculaires ou de l’anurie, consiste essentiellement dans le désencombrement bronchique. C’est un traitement difficile à utiliser en dehors d’un service hospitalier équipé en conséquence et d’anesthésistes qualifiés; la perfusion de sérum glucose à hautes doses peut combattre l’anurie.
Il convient d’ajouter à ces indications majeures quelques traitements qu’on pourrait dire complémentaires dans lesquels la strychnine et les amphétamines gardent une bonne place. On y ajoute parfois la Bémégride ou Mégimide, dont l’action s’oppose à celle des barbituriques; une ampoule intraveineuse de 10 ce contenant 50 mg de produit actif, répétée de 10 en 10 mg, puis plus espacée, jusqu’à un total de 50 à 1.000 mg. Ce nouveau médicament, dit G. RICHET, transforme le coma en état de demi-sommeil qui respecte l’équilibre neurovégétatif et cet auteur conclut en disant qu’un intoxiqué par les barbituriques ne doit plus être soumis à un traitement convulsivant. Dans les cas légers, la réhydratation associée aux mesures simples permet d’obtenir la guérison sans complications. Les comas sévères ou tardivement soignés doivent être soumis à tous les procédés de réanimation respiratoire couramment utilisés aujourd’hui par les anesthésistes spécialisés.
Dans son intervention à la suite du rapport de G. RICHET au colloque sur les traitements du coma barbiturique. M. H. BOUH déclare, à propos d’une statistique de 13 cas graves soignés dans le service du Pr. BINET, que, pour sa part, il n’en a perdu aucun en les traitant par le Maxiton fort injecté à 4 h d’intervalle et par de toutes petites doses de strychnine avec quelques applications de réanimation médicale courante.
Les analeptiques vasculaires et l’hémodyase dans quelques cas sont aussi recommandés par M. Cl. ALBAHARY.
L’hibernation systématique n’est souvent pas nécessaire, mais doit être réservée aux seuls cas avec hyperthermie ascensionnelle et troubles neurovégétatifs sérieux. BENARD en a rapporté deux résultats heureux (P. M., 1953, n° 80, p. 1661).
2 Intoxication chronique: Avoir conjuré un coma-suicide n’est pas tout. Il faut penser à l’état mental du sujet qu’on a eu fortuitement entre les mains et savoir que le petit drame qui vient de se dérouler souvent qu’un épisode aigu au cours d’une intoxication chronique. Tout reste à faire: une mise au point de l’hygiène de vie, des conditions familiales, sociales d’existence, une psychothérapie éclairée s’imposent alors. La cure d’isolement est souvent nécessaire pour assurer l’efficacité du sevrage qui se fait sans incidents graves.
Le narcomane devra, en outre, bénéficier de tous les adjuvants susceptibles de redresser sa tonicité nerveuse (strychnine, vitamine B, phosphore) ou de favoriser le retour du sommeil (exercice physique, altitude, horaire des repas). C’est toute la thérapeutique étiologique de l’insomnie qu’il faut instituer, en dehors des hypnotiques proprement dits.
Enfin, mettons en garde les praticiens qui méconnaissent trop souvent le danger de l’accoutumance et de la toxicomanie contre la facilité trop grande de prescrire les barbiturates à tout plaignant d’insomnies.
Ant. POROT.