
L’urgence de s’occuper des maladies mentales
(Données du rapport sur la santé mentale au Canada, publiées en 1950)
Après avoir maîtrisé les principales maladies contagieuses, la science médicale s’attelle maintenant aux maladies mentales, qui ont une tendance à se répandre de plus en plus, sous des formes diverses. On espère que le prochain demi-siècle verra s’accomplir de notables progrès dans ce domaine. En dépit du chemin parcouru dans le diagnostic et le traitement, tout ce qui a été fait ne constitue guère qu’un commencement. Ce sont aujourd’hui les maladies mentales qui menacent le plus la santé des individus. Il est urgent de ce mettre sans tarder à les combattre, car elles atteignent en ce moment une portion plus considérable de la population que ne le firent les maladies contagieuses, même au sommet de leur virulence.
On estime qu’il y a probablement au Canada 800,000 personnes souffrant de troubles mentaux, dont 100, 000 sont considérées comme incurables, 100,000 malades temporairement et 600,000 partiellement atteintes.
Depuis vingt ans, le nombre des malades a presque doublé dans les hôpitaux mentaux ; il dépasse actuellement 50,000. Les cas d’hospitalisation augmentent à un taux supérieur à celui de la population du pays, ce qui ne manque pas d’être inquiétant. Et beaucoup d’autres malades seraient en ce moment dans des institutions mentales, s’il y avait de la place pour eux. Il manque au moins 10,000 lits d’hôpitaux pour les cas de ce genre.
Mais les registres des maisons d’hospitalisation ne renferment qu’une partie de la situation sous le rapport de la santé mentale au Canada. Les statistiques du Service sélectif national sont assez éloquentes à ce sujet. Elles révèlent que les hommes examinés pendant la Seconde Grande Guerre furent rejetés pour causes mentales dans une proportion variant de un sur huit à un sur onze. Un tiers de tous les réformés parmi les enrôlés volontaires et environ un tiers de tous les réformés pour raison de santé le furent à cause de leur état mental.
Une croisade générale contre la maladie mentale exagérait les efforts combinés de la psychiatrie, de la médecine, de l’assistance sociale et de toutes les personnes pouvant contribuer à créer un milieu favorable aux traitements. Elle exigerait des facilités nouvelles et perfectionnées pour l’éducation des jeunes enfants et des parents, l’amélioration des conditions de travail et de logement, la suppression de certaines conditions sociales qui sont des sources de craintes et de déceptions.

Confusion mentale, États confusionnels
Syndrome mental généralisé, le plus souvent aigu ou subaigu à son début et caractérisé par une dissolution plus ou moins rapide et complète de la conscience avec obtusion intellectuelle, lenteur des perceptions et des processus d’orientation et d’identification. La synthèse mentale s’effectue avec difficulté sur des données perceptives ou mnésiques incomplètes, fragmentaires, disparates, assemblées sans cohérence ; l’attention, la réflexion et le jugement sont des opérations qui deviennent impossibles ou n’aboutissent qu’à des ébauches sans lien et sans ordonnance ; l’onirisme vient souvent apporter des images de rêve, ce qui explique l’assimilation qu’on a faite de la confusion mentale et du sommeil. Comme corollaire, on note de la désorientation dans le temps et dans l’espace, de l’indifférence ou de la discordance émotionnelle, la lenteur et le caractère incomplet des réponses, l’air égaré et absent du malade, une certaine inertie pouvant aller jusqu’à la stupeur, l’insouciance des besoins végétatifs élémentaires de l’organisme. Tels sont, du moins, les éléments fondamentaux de la confusion mentale pure. Cette dissolution de la conscience, plus ou moins totale, est généralement suivie d’une restauration ordinairement complète de la personnalité.
À ce phénomène essentiel qui constitue la confusion mentale pure et qui est d’ordre négatif, s’ajoutent souvent d’autres manifestations secondaires de caractère positif : des hallucinations poly-sensorielles, mais surtout visuelles, et du délire onirique plus ou moins actif que certains ont considéré comme secondaire à la confusion : de l’agitation anxieuse peut aussi s’observer.
Parmi d’autres exercices de l’esprit, le plus utile est l’histoire. (Salluste, historien romain)
Décrite d’abord par Delasiauve, puis par Chaslin qui a donné son autonomie, la confusion mentale a été surtout mise en valeur comme signification étiologique par Régis, qui a montré qu’elle était la plus médicale et la plus curable des affections mentales. Il en faisait essentiellement la traduction d’un état toxique ou infectieux. On peut donner à ce syndrome la valeur d’une insuffisance mentale quantitative aiguë ou subaiguë, mais parfaitement susceptible de régression et de redressement.
Les aspects cliniques de la confusion mentale varient avec les facteurs étiologiques en cause et surtout avec les prédominances symptomatiques. Il y a des confusions mentales dans lesquelles l’élément torpeur l’emporte sur l’élément de rêve, et inversement. Certains malades dorment plus qu’ils ne rêvent; d’autres rêvent plus qu’ils ne dorment (Hesnard). On dit qu’il y a une confusion mentale simple ou asthénique dans le premier cas; cet état peut aller jusqu’à la stupeur complète : stupeur confusionnelle. C’est le cas de certaines confusions infectieuses avec coma : malade inerte, prostré sans réaction. Certaines stupeurs confusionnelles d’apparence primitive ou qui n’ont pas fait la preuve de leur infection causale peuvent être prises pour des stupeurs catatoniques, de la démence précoce, d’autant plus que certaines psychoses infectieuses peuvent réaliser le syndrome catatonique (grippe, colibacillose, etc.). On ne confondra pas non plus une stupeur confusionnelle avec une stupeur mélancolique restant lucide, mais concentré sur sa douleur morale.
Les formes agitées de la confusion mentale peuvent se voir dans les psychoses infectieuses, mais elles sont d’abord le fait des intoxications qui déclenchent surtout des phénomènes oniriques ; c’est le cas des délires alcooliques, en particulier.
Un trait commun à toutes les confusions mentales et qui en est comme la signature est l’amnésie lacunaire qui les suit : le malade a perdu tout souvenir de ce qui s’est passé pendant la suspension de sa conscience et cette amnésie spéciale aide souvent au diagnostic rétrospectif d’un état mental morbide transitoire.
Il y a, dans la confusion mentale, surtout d’origine infectieuse, toute une escorte de types généraux neurovégétatifs qui doivent être relevés avec soin : états fébriles ou subfébriles, état saburral, subictère, oligurie, parfois hyperazotémie; un certain degré d’insuffisance hépatique et rénale est presque constant. Régis a souligné la débâcle urinaire qui marque le retour à la conscience : « c’est au bocal d’urine qu’on juge une confusion mentale infectieuse ».
Le réveil du confus est progressif, rarement brusque; la réadaptation au milieu et à la réalité ambiante est parfois entravée par des survivances oniriques; la fatigabilité persiste qui permet parfois des manifestations de persévération ou même de pithiatisme.
Il faut connaître certaines formes de confusion mentale traînantes ou récidivantes, mais commandées par un processus infectieux latent mal éteint (infections urinaires ou génitales, paludisme, colibacillose, etc.).
Enfin, dans certains cas, la confusion mentale peut ne pas guérir ou laisser des séquelles. C’est la confusion mentale chronique de Régis et Laurès, sous diverses formes : affaiblissement intellectuel simple ou démence pragmatique, états discordants ou dissociatifs, troubles du caractère ou du comportement, délires secondaires postoniriques.
Mais l’intoxication et l’infection ne résument pas toutes les causes de confusion mentale. Tout ce qui peut obnubiler ou suspendre la conscience aboutit au même résultat. C’est ainsi que l’on a décrit une confusion mentale anxieuse pouvant s’ajouter aux grands paroxysmes de la vie affective et de l’émotivité; les désordres neurovegétatifs ne font pas défaut.
On a aussi souligné la part de la confusion mentale dans les accidents d’épilepsie : la perte de conscience brusque qui est le symptôme fondamental de tout accident comitial n’est qu’une plongée confusionnelle brutale, une dissolution qui sera suivie de réintégration progressive et c’est à la faveur de cet élément confusionnel que pourront apparaître les phénomènes d’automatisme, des états seconds, des raptus impulsifs, des fugues plus ou moins coordonnées, tous phénomènes suivis de l’amnésie lacunaire propre à la confusion.
Mentionnons aussi la part de la confusion dans certains états crépusculaires, rattachés selon les doctrines et les auteurs, soit à l’hystérie, soit à l’épilepsie.
Enfin, on voit volontiers en clinique un accès de confusion mentale agitée ou stuporeuse marquer le début de certains accès maniaques ou mélancoliques (accès confuso-maniaques, confuso-mélancoliques).
La confusion mentale pose un premier problème d’ordre pratique : rechercher sa cause – infection latente ou avérée, intoxication – d’où découlera le traitement causal. Pour elle-même, elle nécessite la surveillance des fonctions végétatives élémentaires, les soins de propreté, la liberté intestinale. Dans ses formes initiales, comme dans ses formes traînantes, elle relève des therapeutiques de choc (électrochocs en particulier, quand une affection organique sérieuse ne les contre-indique pas).
Prédisposition
Aptitude spéciale de certains sujets à présenter plus facilement que d’autres des désordres mentaux sous l’influence de causes diverses, généralement exogènes. Cette notion de prédisposition a joué un grand rôle étiologique autrefois; on y voyait un terrain préparé de longue date (Joffroy), une manifestation de dégénérescence héréditaire (Magnan, Rogues de Fursac, etc.). Il était courant d’admettre, par exemple, que seuls déliraient, à l’occasion d’une cause fortuite ou d’une infection, ceux que l’on appelait les « prédisposés ». Henri Ey a fait une critique assez juste de cette tendance à vouloir donner une valeur explicative à ce qui n’est qu’une constatation de fait.
Aujourd’hui, on cherche à mieux pénétrer le mécanisme du déclenchement des accidents mentaux : rôle direct des toxi-infections sur les centres nerveux, perturbation des métabolismes, le terrain n’intervenant qu’accessoirement dans la prolongation des désordres, ou la fixation des séquelles. De même, l’étude de la vie affective et la psychanalyse nous ont révélé le mécanisme psychogène de certains troubles psychonévrosiques attribuables à des perturbations affectives de l’enfance, alors qu’autrefois on se serait contenté de parler de « prédisposition névropathique ».
La prédisposition garde cependant un rôle assez important en pathologie mentale. La fréquence de la prédisposition a même été bien soulignée en ces dernières années à l’occasion d’études sur les psychoses dites « réactionnelles ».
Les faits cliniques imputables à la prédisposition ressortissent à deux groupes principaux :
1e. Prédispositions constitutionnelles innées et héréditaires. – On trouvera au mot Hérédité les conceptions actuelles sur cet important facteur et les différentes modalités sous lesquelles peut se présenter cette prédisposition héréditaire : directe, atavique, similaire ou dissemblable, etc.
2e. Il y a tout un groupe de prédispositions acquises, qu’elles le soient par adultération cérébrale au moment de la grossesse, de l’accouchement (embryopathies, traumatismes obstétricaux) ou par des encéphalites de l’enfance. On a beaucoup insisté en ces dernières années (Vermeylen, Courtois, etc.) sur le rôle de ces pyrexies de l’enfance dans l’éclosion ultérieure de désordres juvéniles (démence précoce). Tout ce qui peut faire fléchir la résistance cérébrale chez un sujet jeune ou adulte (traumatismes crâniens, alcoolisme, maladies infectieuses), peut intervenir comme cause prédisposante à l’éclosion ultérieure des troubles mentaux.
Il faudrait passer en revue aussi toutes les conditions de vie matérielle, morale ou sociales qui peuvent faire fléchir la résistance individuelle (consanguinité, enfants naturels, race, milieu social, facteurs climatiques, catastrophes, calamités publiques, etc.). Ce sont autant de facteurs de débilitation à mettre au rang de causes prédisposantes et favorisantes.
On a décrit aussi sous le nom de psychoses de sensibilisation (J. Lépine, Mlle Pascale) l’intolérance acquises par certains sujets vis-à-vis du moindre choc ou du moindre rappel émotif, ces derniers pouvant déclencher des accidents sérieux et excessifs par rapport à la cause occasionnelle, souvent minime (véritable phénomène d’anaphylaxie). On sait que, du fait de leur complexion et de leur constitution mentale, certains sujets orienteront leurs désordres vers telle ou telle formule de psychose.
Cette même notion d’orientation constitutionnelle fait que certaines races présentent, à l’occasion de facteurs déclenchants, des types de psychoses particuliers (fréquence des psychonévroses émotionnelles et anxieuses chez les Israélites, de certains raptus impulsifs chez les indigènes nord-africains ou les noirs).
Ant. Porot.
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