Du scorbut au SIDA :Le premier «bénéficiaire» du Québec s’appelait Jacques Cartier. Il n’était pas porteur d’une carte-soleil !
Du scorbut au SIDA : Par Louis-Martin Tard, articule publié dans Les Diplômés, N° 357, printemps 1987
Au pied du Cap-aux-Diamants, en l’hiver 1535, avec 109 de ses 113 compagnons, Jacques Cartier souffrait d’un mal étrange, dont n’étaient pas atteints les Amérindiens qui vivaient à l’entour, eux aussi pourtant privés d’aliments frais.
Un des Indiens divulgua aux Français leur remède, une tisane à base de résineux. Ce premier acte médical au pays, fondé sur la médecine naturelle, lut suivi d’un second : l’autopsie par le chirurgien de l’expédition d’une des victimes de la maladie, qui permit aux survivants de voir les ravages du terrible scorbut. Ce nom revient beaucoup dans les annales médicales de la Nouvelle-France, ainsi que deux autres cavaliers de la mortalité : le typhus et la variole.
Chirurgiens et barbiers !
La Métropole envoyait dans sa terre d’outre-mer des «spécialistes » de la médecine qui, à l’époque, était plus un art qu’une science. Ces hommes pouvaient être des praticiens formés par la scolastique à l’Université, des chirurgiens – barbiers surtout spécialistes des saignées, des apothicaires (comme Louis Hébert, qui se recycla à Québec dans le labourage et devint le colon exemplaire), des médecins de la Marine et de l’Armée (tel Robert Giffard, qui demeura sur place pour devenir, sur le fief de Beauport, le premier seigneur de la Nouvelle-France).
De France, venaient aussi pour se pencher sur les colons en souffrance des personnes charitables, laïques ou religieuses : des Augustines de Dieppe et des Ursulines de Honfleur qui, dès 1639, créèrent l’Hôtel-Dieu de Québec ; Jeanne Mance, fondatrice de celui de Montréal en 1642 ; et les frères hospitaliers de Saint-Joseph, encore appelés frères Charron, du nom du gentilhomme qui avait créé cette congrégation soignante. Ces gens de foi et de cœur ouvraient des établissements où étaient accueillis gratuitement les invalides, les vieillards, les orphelins, les filles abandonnées, les Indiens et tous les marginaux.
Les soldats du roi avaient droit aux soins des médecins militaires. Le plus célèbre est Michel Sarrazin, né en Bourgogne en 1659.
Les Canadiens ordinaires payaient, le plus souvent en nature, leur médecin. Parfois, ils préféraient les soins des rebouteux et autres réparateurs de membres foulés. 11 y avait aussi les guérisseurs indiens, possesseurs des secrets d’une médecine millénaire venue avec eux de Chine.
Au temps des épidémies
Le régime anglais ne changea guère les choses, ni les maux. Le scorbut était devenu très rare mais les immigrants continuaient à amener, avec le typhus, des souches de grippes ravageuses, de rougeole, parfois le mal de Siam appelé fièvre jaune, la syphilis (premier cas décrit à Baie-Saint-Paul en 1776). La variole, la terrible picote, revenait par vagues.
C’est un chirurgien de l’armée britannique, le docteur Latham, qui pratiqua en I79X la première inoculation antivariolique au Canada.
Outre les épidémies, la santé du pays avait un autre ennemi: les charlatans qui se proclamaient médecins. Les vrais médecins obtinrent une ordonnance réglementant l’organisation médicale au Canada : le Physic and Surgery Act de 1788. Cette loi créait un conseil d’examinateurs responsable de l’octroi des licences. Mais népotisme, mandarinat et patronage font que pendant 40 ans, aucun Canadien de langue française ne siège au Conseil et que peu obtiennent la licence.
Pour mettre au monde, soigner, guérir, il y avait heureusement les sages-femmes, les religieuses et religieux, les guérisseurs.
En 1821, est créé le Montréal General Hospital qui très vite ouvre une école de médecine où enseignent des professeurs de grande réputation venus surtout de Londres et d’Edimbourg. Il faut attendre 1843 pour que se crée à Montréal une école de médecine francophone. N’étant pas rattachée à une université, elle ne peut toutefois décerner de diplôme.
L’ère moderne : Du scorbut au SIDA
La médecine entre alors dans son ère scientifique. Puis notre société passe de la médecine libérale à la sécurité sociale, qui veut en principe que toutes les souches de la population, vieillards, démunis, marginaux, minoritaires, immigrés, puissent être traitées comme la classe la plus favorisée, que tous puissent se prévaloir du droit à la santé.
Désormais, la santé n’est plus seulement l’absence de maladie, mais un durable état physique et moral de bien-être.
Une organisation collective de plus en plus «technologisée» tend à cet idéal. L’espérance de vie individuelle en bonne santé a triplé en un siècle et augmente sans cesse. Entretemps de nouveaux maux sont apparus tel le SIDA. Le combat continue.