Présénilité
On entend généralement par « présénilité » la période de la vie qui marque le déclin de l’âge mûr avant la sénilité confirmée. Mais il s’agit là d’une étape imprécise, mal délimitée, variable dans sa durée selon les sujets et les circonstances. On emploie parfois l’expression d’involution présénile; certains la font coïncider avec l’âge critique de la ménopause, – notion que l’on a même voulu étendre à l’homme (Maurice de Fleury, Régis, Mendel); conception inacceptable scientifiquement et cliniquement, la vigueur intellectuelle pouvant survivre longtemps à l’arrêt des fonctions sexuelles.
Il ne faut pas oublier non plus que souvent la fin de l’âge mûr est une échéance fréquente et redoutable pour toutes les tares organiques qui se sont constituées à bas bruit au cours de l’existence : séquelles d’infections, erreurs d’hygiène générale ou alimentaire, troubles des métabolismes, insuffisance hépatique et rénale, accidents circulatoires, hypertension, azotémie, diabète, etc. C’est ce qui explique la richesse et le polymorphisme des manifestations neuropsychiques que l’on pourra voir éclore dans la présénilité ; les unes directement dérivées d’un cerveau en voie de dégradation précoce, les autres témoignant de la gêne apportée en fonctionnement cérébral par des troubles circulatoires ou des auto-intoxications qui favoriseront son fléchissement.
On ne saurait donc dire qu’il y a des psychoses propres à la présénilité et qui en soient spécifiques; certaines lui sont antérieures et ne trouvent en cette occurrence qu’une occasion de reprise ou d’accentuation (psychoses périodiques, délires chroniques); d’autres lui sont étrangères et n’ont trouvé là qu’une échéance banale; il en est enfin qui ne sont que les premiers signes d’un désordre en rapport avec un processus organique de démence (encéphaloses, artério-scléroses, etc.).
Tous ces troubles ont cependant un trait commun : le fléchissement discret ou accentué, passager ou partiellement réversible du fonds mental.
Nous distinguerons 3 groupes de ces manifestations mentales de la présénilité.
a) Le ralentissement intellectuel a un cachet assez particulier ; il se produit de façon lente et insidieuse et Régis, rappelant et commentant la belle auto-observation de J.-J. Rousseau, en a dégagé les traits essentiels : prédominance des sensations avec affaiblissement de l’idéation, diminution du pouvoir de création, rétrécissement du champ cérébral, prédominance dans la vie mentale de la réminiscence et de l’automatisme. Malgré tout, il n’y a pas interruption dans l’activité intellectuelle qui, si elle a moins d’éclat et moins de vivacité, peut garder toutes ses qualités de justesse et d’équilibre.
Une certaine fatigabilité se manifeste souvent aussi et le sujet se détourne volontiers des initiatives et de tout ce qui pourrait créer pour lui du surmenage intellectuel.

b) Les troubles de l’affectivité et de l’humeur sont fréquents à cette période : l’homme qui vieillit ne voit pas s’estomper sa jeunesse sans une certaine tristesse et sans quelques regrets. Les déceptions, les vides qui peuvent se créer autour de lui l’isolent et le replient volontiers sur lui-même; un certain pessimisme doublé d’anxiété lui fait craindre l’avenir.
On a beaucoup parlé des « neurasthénies de la cinquantaine ». Quand l’élément d’asthénie physique domine, il y a toujours lieu de rechercher quelque tare biologique ou organique latente. Mais souvent, c’est l’élément affectif pur qui plonge le sujet dans la douleur morale (dépression douloureuse de Magnan) pouvant réaliser parfois de véritables états mélancoliques.
Notons aussi les tendances hypocondriaques, la disposition chagrine, la méfiance excessive vis-à-vis de l’entourage, les préoccupations ou les rebondissements sexuels, l’attachement à des formules de vie ou de pensée anciennes, la condamnation des idées ou des mœurs nouvelles (misonéisme). Le caractère soupçonneux et méfiant peut, dans certains cas, amorcer une véritable jalousie morbide ou des idées de préjudice injustifiées.
2 – Involutions préséniles anticipées. – Nous envisageons ici certains ralentissements d’activité avec apathie, indifférence, incuriosité, perte de l’activité pragmatique qui s’observent chez des sujets encore jeunes (40 à 50 ans), qui ne présentent pas et ne présenteront pas de longtemps les stigmates physiques de la sénilité. Ces sujets semblent avoir épuisé en peu d’années un capital vital insuffisant; nous avons signalé cette sénilité précoce chez d’anciens sous-officiers indigènes qui n’étaient pas fait pour la cadence et le dynamisme de la vie militaire ; on observe aussi chez certains fonctionnaires médiocres ce ralentissement dû à l’asphyxie lente d’une vie de routine, monotone et sans initiatives et que l’on doit réformer précocement, bien que par une curieuse ironie ils se plaignent souvent de leur surmenage (ce sont ceux que j’avais appelés « faux neurasthéniques par insuffisance »). Un appoint alcoolique favorise souvent cette carence.
3. Accidents majeurs (psychoses et démences). – De grands processus psychosiques, voire des démences, peuvent apparaitre à ce moment, quelques-uns encore curables et réversibles, d’autres incurables ou ne disparaissant qu’au prix de séquelles sérieuses.
a) Mélancolie dite d’involution : elle est fréquente surtout chez la femme, à tous les caractères d’accès mélancolique ordinaire et peut en revêtir toutes les formules : forme anxieuse, forme délirante, forme avec inhibition et stupeur; tout cela n’a rien de particulier ici. Notons cependant que cette mélancolie d’involution peut se produire chez un périodique qui a eu déjà des accès antérieurs, mais qu’elle peut être aussi la première manifestation en date du type mélancolique et amorcer une série de psychoses périodiques dites « tardives ».
D’une façon générale on peut dire de la mélancolie d’involution qu’elle a une assez longue durée: une u deux années et parfois plus, qu’elle est délirante, qu’elle passe volontiers à l’état chronique, que les idées de négation, les attitudes d’opposition n’y sont pas rares, que le syndrome de Cotard avec son énormité et son absurdité marque souvent l’entrée dans la chronicité avec des résidus délirants.
Parfois, cependant, la mélancolie d’involution paraît entrer en sédation au bout d’un long temps, mais la guérison apparente se marque par un net fléchissement intellectuel.
Toutefois, depuis le traitement par les électrochocs, on a vu le pronostic de ces mélancolies d’involution s’améliorer considérablement tant au point de vue de leur durée que de leur liquidation définitive.
La plupart des suicides, si fréquents à cet âge de la vie, ressortissent à des mélancolies d’involution méconnues.
À ces états mélancoliques prolongés peuvent s’ajouter des troubles de l’humeur et du caractère, une certaine méchanceté pour l’entourage (mélancolie présénile maligne d’Halberstadt).
b) On a décrit aussi une manie présénile (Régis, Molin de Teyssieu) plus rare que la mélancolie d’involution et d’une durée souvent très prolongée, assez résistante aux traitements habituels de la manie (électrochocs), mais susceptible cependant d’apaisement, non sans un certain degré de fléchissement intellectuel.
c) Délires chroniques et présénilité : Des états délirants voués à la chronicité peuvent se faire jour au moment de la présénilité. C’est surtout l’automatisme mental avec ses hallucinations auditives et ses superstructures délirantes diverses (persécution, mégalomanie, érotomanie, influence) qui est l’apanage de la période dite du retour d’âge. Certains auteurs (Kleist, Halberstadt) ont même décrit une « paranoïa d’involution » à thème de préjudice, de grandeur, d’érotisme, basée sur des interprétations délirantes et de fausses réminiscences; ce délire est fixe et n’évolue guère, restant pauvre; les troubles de l’humeur y sont fréquents.
Mais il faut savoir aussi, par contre, qu’au moment de l’involution présénile, certaines psychoses actives de l’adulte perdent de leur acuité et tendent à s’assoupir par refroidissement de l’affectivité; il en est ainsi de certains délires chroniques dont les réactions s’émoussent et dont les thèmes s’appauvrissent et tendent à la stéréotypie; le ralentissement intellectuel sous-jacent leur vaut un apaisement apparent, mais leur donne souvent un cachet absurde et incohérent (paraphrénie). Il faut en excepter cependant certains paranoïaques qui ne désarment pas et poursuivent jusqu’à l’extrême vieillesse leurs idées de préjudice et leur malignité.
d) États démentiels : Des états démentiels vrais, à base organique, peuvent apparaitre entre 50 et 60 ans; ils sont alors conditionnés par des atteintes organiques du cerveau de nature et de types très divers : artério-sclérose cérébrale, P.G. tardive, états lacunaires, etc.
Mais une place bien spéciale doit être faite à certaines encéphaloses qui se caractérisent par des atrophies régionales très marquées de circonvolutions (lobe frontal, zone de Wernicke) et qui, en peu d’années, précipitent avec troubles de la mémoire aphasies, agnosies. Les types les plus représentatifs en sont la maladie de Pick et la maladie d’Alzheimer. Elles ont ceci de particulier qu’elles apparaissent entre 50 et 60 ans, parfois même avant 50, bien avant l’époque des démences séniles simples. Notons aussi que des accidents épileptiques, avec ou sans équivalents psychiques, peuvent apparaitre à cette époque (épilepsie présénile et sénile) et marquent parfois le début des encéphaloses.
Diagnostic, pronostic, conduite à tenir. – Les troubles mentaux de la présénilité posent parfois des problèmes de diagnostic et de pronostic délicats.
Rappelons la nécessité d’un examen somatique et humoral minutieux, qui permettra de faire la part de tares organiques ou diathésiques latentes.
Quant aux troubles psychiques, il conviendra de les juger à leur juste valeur et, surtout, de déterminer s’ils sont réversibles ou si, au contraire, le fond neuropsychique présente des signes de détérioration définitive ou progressive. En ce qui concerne, par exemple, les mélancolies d’involution, si elles engagent souvent l’avenir mental du sujet, un certain nombre cependant peuvent être considérées comme des mélancolies simples, parfaitement curables. Le traitement précoce par des électrochocs fera cette discrimination.
Rien n’est aussi difficile que de faire le diagnostic et le pronostic des états de ralentissement psychique si fréquents que l’on rencontre entre 50 et 60 ans; ils sont de nature et de signification extrêmement variées : les uns sont de simples états de fatigue dus au surmenage ou à une tare organique méconnue, parfois curables; d’autres rentrent dans les sénilités anticipées de notre deuxième groupe, n’ont guère de chances d’amendement et sont voués à une stagnation prolongée.
Il faut penser aussi au ralentissement psychique teinté de monotonie et parfois de mélancolie des parkinsoniens au début : le tremblement discret d’une main, un maque un peu figé donneront à cette bradypsychie toute la signification d’avenir; mais c’est surtout le ralentissement psychique qui précède les encéphaloses qui doit retenir l’attention, le camouflage de ces affections à leur début étant fréquent et les sujets gardant souvent les automatismes de comportement corrects. La recherche minutieuse des signes d’affaiblissement, des tests de mémoire et de calcul permettront de détecter à son début la désintégration psychique. Enfin, l’encéphalographie gazeuse permet souvent, dès cette époque, de surprendre l’atrophie des circonvolutions à son début.
Du point de vue médico-légal, de sérieux problèmes peuvent se poser : la capacité civile de ces sujets est souvent diminuée et nécessiter des expertises (v. Capacité civile). Leur responsabilité pénale en cas d’indélicatesse, d’attentat à la pudeur ou autres délits, peut se trouver atténué ou abolie s’il y a vraiment des signes de fléchissement du jugement et du sens critique ou des impulsions délirantes manifestes.
Ant. Porot.
Involution
Processus de régression. On envisage en psychiatrie l’involution présénile, période de ralentissement de la vitalité et des phénomènes biologiques : cette période peut être marquée outre un ralentissement général de la vie psychique, par de petits épisodes psychopathiques, par des états affectifs sérieux (mélancolie dite d’involution) ; parfois même par des états précoces de démence, comme la maladie de Pick ou d’Alzheimer.
A.P.
Misonéisme
Hostilité à l’égard de tout ce qui est nouveau. Tendance d’esprit fréquente chez les gens âgés, très attachés au passé et souvent réfractaires à l’évolution des idées et des mœurs.
A.P.
Voir aussi :
