Du laboratoire au malade

Du laboratoire au malade

L’aventure dure parfois 10 ans. Elle mobilise des milliers de participants. Coût total : jusqu’à 100 millions de dollars !
Par Patrick Colin

La mise au point d’un médicament est une aventure scientifique dont le processus est long et coûteux. En moyenne, une période d’environ dix ans et un investissement de recherche de près de 100 millions de dollars sont nécessaires à sa réalisation.

Des centaines de scientifiques, provenant de plusieurs disciplines, doivent participer de près ou de loin au processus de recherche et de développement pharmaceutiques.

Des milliers de malades doivent également être traités avec le nouveau médicament à l’étude, avant qu’il soit déclaré suret efficace.

Pour des raisons d’ordre scientifique et financier, une compagnie pharmaceutique ne peut se permettre d’être innovatrice dans tous les domaines thérapeutiques. Une stratégie de recherche à long terme doit donc être établie, afin de décider dans quel domaine les efforts doivent être concentrés.

La nature même de la recherche en fait un processus risqué. Il est donc important, pour une entreprise pharmaceutique, d’évaluer correctement les forces et les faiblesses de ses laboratoires de recherche avant de se lancer dans la mise au point d’un nouveau produit.

Synthèse d’un nouveau principe actif

La première étape dans le processus de découverte d’un médicament est de tenter de prévoir l’activité pharmacologique de la nouvelle molécule. Il faut également se poser deux questions : Existe-t-il des conditions pathologiques qui nécessitent la création d’un tel produit ? Ce dernier représente-t-il une amélioration par rapport aux médicaments déjà disponibles, d’un point de vue médical, humain ou économique ?

Il faut ensuite définir la structure des produits actifs que l’on se propose de synthétiser. À ce moment, une exploration complète des brevets déjà existants s’impose, afin d’éviter de tomber sur des produits déjà brevetés.

L’étape de la synthèse d’un nouveau médicament peut durer environ deux ans. Dix mille composés devront être synthétisés avant qu’un seul ne soit utilisable en clinique.

Essais précliniques

La synthèse chimique d’une nouvelle molécule est suivie d’un processus d’évaluation (« screening ») pharmacologique et toxicologique, à partir duquel on établit un profil initial thérapeutique.

La structure moléculaire du nouveau produit principal (appelé en anglais « lead compound ») est ensuite manipulée afin d’obtenir un ou plusieurs dérivés pouvant satisfaire les critères des pharmacologues. De ces dérivés. 95% sont reconnus inefficaces ou toxiques, ce qui les élimine automatiquement. Les nouveaux produits prometteurs par contre, font l’objet d’une demande de brevet, afin de protéger les résultats des coûteuses recherches qui suivront. Les essais précliniques sont généralement divisés en deux parties, appelées phase I et II. En phase I, des études pharmacodynamiques (action des médicaments) sont effectuées chez les animaux. La toxicité aiguë est également évaluée.

Enfin, des méthodes analytiques sont mises au point afin de pouvoir doser les nouveaux principes actifs et leurs métabolites dans les milieux biologiques (sang, urine, tissu). Des études de préformulation sont également entreprises afin d’évaluer les caractéristiques physicochimiques et le potentiel d’absorption des nouvelles molécules.

Durant les travaux de la phase II, l’évaluation de l’absorption, de la distribution, du métabolisme et de l’excrétion du nouveau médicament est également effectuée. On procède ensuite à des recherches toxicologiques approfondies, toujours chez l’animal.

Ainsi, on évalue la toxicité subchronique et chronique, la toxicité sur les fonctions de reproduction (tératogénicité) ainsi que le potentiel d’entraîner une mutation cellulaire (mutagénicité).

Les études toxicologiques à long terme (chroniques) ont pour but de déceler un éventuel effet cancérigène de la nouvelle molécule (carcinogénicité).

Du côté technique, des travaux de formulation (fabrication des formes pharmaceutiques tels comprimés, sirops, onguents, etc.) sont amorcés, ainsi que l’évaluation de la stabilité du nouveau médicament.

Des 10 000 produits synthétisés par les chimistes médicinaux, environ une trentaine sont évalués en phase I préclinique, et une dizaine en phase II. De ces derniers, seulement 50% vont satisfaire les critères d’efficacité et de sûreté nécessaires à leur évaluation chez l’homme.

Recherche clinique

Lorsque les épreuves de pharmacologie précliniques sont terminées (à part les études de toxicité chronique qui se poursuivent chez l’animal), le fabricant pharmaceutique peut alors demander à la Direction générale de la protection de la santé (D G.P.S.) la permission de procéder à des expériences de pharmacologie clinique sous la direction de chercheurs qualifiés.

Peuvent alors être amorcées des études de phase I où le type et la durée d’action, la relation dose- effet, les éventuels effets secondaires ainsi que la pharmacocinétique du produit (absorption, distribution, métabolisme, excrétion) sont évalués sous une stricte surveillance médicale chez le volontaire sain.

Ensuite, les essais cliniques de phase lisent effectués, chez un nombre limité de malades soigneusement sélectionnés et ayant au préalable donné leur accord. L’efficacité thérapeutique, la posologie optimale, la tolérance et les effets secondaires du médicament sont alors étudiés. Alors qu’une trentaine de volontaires sains participent aux épreuves de phase I, de 200 à 300 malades sont inclus dans les études de phase II.

La dernière étape de l’évaluation clinique d’un nouveau produit est la phase III. Un grand nombre de malades (plusieurs milliers) sont alors traités dans divers hôpitaux.

Ces études multicentriques sont pour la plupart contrôlées par l’utilisation d’un placebo, afin de réduire l’erreur expérimentale et d’assurer la signification statistique des résultats obtenus.

La phase III est la plus coûteuse en argent et en personnel spécialisé, mais elle seule permet d’obtenir le profil thérapeutique complet du nouveau médicament. Ce profil est d’ailleurs utilisé pour en rédiger la monographie.

Demande d’autorisation et mise en marché

Avant de mettre un nouveau médicament sur le marché, le fabricant doit déposer, auprès de la D.G.P.S., une présentation de drogue nouvelle. (New Drug Submission, NDS) et recevoir un avis de conformité. Cette présentation contient toutes les données connues sur le médicament.

Les usages thérapeutiques, les effets secondaires et les renseignements détaillés sur les épreuves cliniques doivent être inclus dans la soumission.

Un examen critique de toutes ces données est effectué par une équipe multidisciplinaire de la D.G.P.S. Cette évaluation se termine par une étude de la monographie qui accompagnera le produit lors de sa vente.

Si toutes les données fournies sont satisfaisantes, la D.G.P.S. émet un avis de conformité permettant au fabricant de commercialiser son produit.

Fabricants innovateurs, génériques et loi C-22

Il convient de faire la distinction entre compagnie pharmaceutique innovatrice et compagnie générique, car ces deux types de manufacturières sont présentes au Canada. Une compagnie innovatrice investit dans la recherche et entreprend des programmes de développement qui peuvent s’étendre de la synthèse chimique aux études cliniques.

Le prix auquel le nouveau médicament se vend comprend, en partie, le remboursement des investissements de recherche, qui peuvent totaliser 100 millions de dollars et plus.

Par contre, une compagnie dite «générique» n’investit pas d’argent en recherche, sauf dans les travaux de formulation pharmaceutique. Cette façon de «copier» des produits déjà disponibles permet de les vendre à un prix inférieur (parfois jusqu’à 1/10) à celui du produit original. C’est pour cette raison que le brevet est si important pour protéger la propriété intellectuelle de l’innovateur.

Au Canada, la loi C-102, qui était en vigueur depuis 1969, permettait aux compagnies génériques de copier des médicaments originaux dès leur mise en marché, en échange d’une redevance de 4% sur les ventes annuelles du produit copié. Cela a entraîné une prolifération des médicaments génériques et le désintéressement des compagnies innovatrices à investir en recherche au pays.

Suite à des pressions grandissantes de l’industrie et des universités, désireuses de promouvoir la recherche locale et d’empêcher l’exode des cerveaux canadiens, le projet de loi C-22 fut adopté en novembre 1988. Celui-ci permet à l’industrie pharmaceutique canadienne d’obtenir une période de protection totale du brevet obtenu pour un nouveau médicament allant de sept à dix ans, en échange d’un pourcentage de son chiffre d’affaires annuel investi en recherche au pays. Une protection de dix ans est allouée lorsque les matières premières utilisées dans la fabrication du nouveau produit sont d’origine canadienne. Si ces dernières sont importées, la période de protection est réduite à sept ans.

Depuis l’adoption de ce projet de loi, de nombreux investissements en recherche clinique et fondamentale ont été annoncés par les compagnies pharmaceutiques ayant une succursale canadienne. C’est tout le domaine de la recherche biomédicale canadienne qui va bénéficier de ces changements.

(Patrick Colin a été responsable du développement au Département de la recherche clinique chez Squibb Canada inc. Les Diplômés, N° 367, automne 1989)

Pfizer
Médicament d’origine. Photo : GrandQuebec.com.

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