Mangeons-nous mieux ?

Mangeons-nous mieux ?

Depuis un siècle, nos habitudes alimentaires se sont modifiées considérablement. Pour le meilleur et pour le pire…

Le dernier siècle a été le témoin d’un considérable avancement des sciences et de la technologie. Notre vie quotidienne a été enrichie, notre niveau de vie s’est amélioré et la durée de vie a été prolongée.

Au tournant du XXe siècle, les principaux problèmes de santé publique étaient bien différents de ceux d’aujourd’hui. On se préoccupait alors des déficiences nutritionnelles et des maladies infectieuses qui étaient responsables de la plupart des problèmes de santé et des décès.

Avec l’implantation des mesures de santé publique et l’usage très répandu des vaccins et des antibiotiques, la plupart des maladies infectieuses ont disparu.

Quant à l’amélioration de l’état nutritionnel, elle a été obtenue grâce a une situation économique meilleure, à l’enrichissement de certains aliments, à la meilleure qualité des produits eux-mêmes et à la distribution d’une plus grande variété d’aliments.

L’industrie alimentaire

Le vingtième siècle a vu naître et se développer en Amérique une industrie alimentaire florissante. Cette naissance coïncide avec l’importante migration des populations rurales vers les villes.

Les premiers changements de comportement ont suscité des innovations telles que la mise en conserve, la réfrigération et la congélation. Ils ont aussi fait naître la nécessité de transporter les aliments. Avant la révolution industrielle, la presque totalité des individus, tant en Amérique qu’en Europe, avait accès aux aliments frais produits localement et très souvent par eux-mêmes. Avec la croissance des villes, il est devenu de plus en plus difficile d’acheminer les aliments aux populations concernées.

Le transport par bateau et par train a permis d’acheminer les aliments plus rapidement et à meilleur coût Le train a de plus permis d’améliorer la qualité de l’alimentation en rendant accessible une plus grande variété d’aliments.

Aliments et santé

Tout au long du vingtième siècle, les connaissances technologiques et scientifiques ont rendu possible la production de la plus sûre et abondante disponibilité alimentaire jamais vue.

Celle-ci a conduit à une plus forte consommation de sucres raffinés, de sel, de cholestérol et de gras saturés en même temps que les fibres alimentaires ont diminué considérablement. Il n’est pas surprenant alors que l’obésité, les maladies cardiovasculaires et le diabète soient les principales causes de décès chez les humains qui, pour des millions d’années, avaient été chasseurs et pêcheurs en recherche continuelle de leur nourriture.

Au cours des trente dernières années, la liste des produits chimiques ingérés avec les aliments s’est allongée dramatiquement.

Les connaissances sont encore très limitées quant aux effets de ces produits chimiques sur le foie, les tissus nerveux, le système immunologique, le développement foetal ou la biochimie génétique, L’adaptabilité évidente de l’être humain ne doit pas nous faire oublier les effets à long terme de ces adaptations draconiennes qu’on a fait subir à l’organisme de l’homme.

Les principaux changements

Les consommateurs eux-mêmes ont initié certains changements dans leurs habitudes alimentaires mais la plupart ont été provoqués à leur insu. En effet, plus l’homme s’est éloigné de la production et de la recherche de ses aliments, plus il a perdu le contrôle de ce qu’il se met sous la dent.

En plus d’avoir été influencées par le progrès industriel, nos habitudes alimentaires ont été bouleversées par des changements sociaux et culturels.

Ainsi, la taille des familles s’est rétrécie : aux États-Unis, 35% des foyers sont habités par une personne seule. Le nombre de femmes au travail n’a cessé d’augmenter, faisant grimper le pourcentage des dépenses alimentaires hors foyer à 26%. Le nombre de repas partagés par tous les membres de la famille a considérablement baissé : on évalue à 30% le nombre de repas à la maison consommés en solitaire.

On assiste donc à la disparition progressive du modèle « 3 repas par jour » traditionnel. Pour toutes sortes de raisons, on escamote le petit déjeuner et le lunch du milieu de journée.

En outre, au lieu de préparer soi-même les repas, il est de plus en plus facile d’acheter au magasin ce qui constitue le repas à la maison : chacun prend ce qui lui plaît au moment qui lui convient.

Enfin, à mesure que l’influence de la famille diminue, l’individualisme s’installe. Les habitudes alimentaires ne se transmettent plus à l’intérieur de la famille et les conséquences nutritionnelles dépendent alors davantage de l’usage des aliments préparés, des restaurants et des mini-repas si fréquents aujourd’hui.

Les problèmes

Nous sommes inondés de statistiques concernant la santé, les habitudes, les goûts de la population. Nous vivons l’ère des sondages en alimentation comme dans les autres domaines et l’information est disponible à profusion.

L’abondance et la variété des aliments, caractéristiques des sociétés industrialisées, a permis à la plupart des consommateurs d’avoir accès à suffisamment de protéines, de calories et autres nutriments essentiels pour maintenir une bonne santé. Ce constat optimiste s’accompagne d’un autre constat : malgré toute cette abondance, nous n’avons pas solutionné le problème des plus pauvres. Il y a des Québécois, des Canadiens et des Américains qui ont faim.

On reconnaît aujourd’hui la gravité des risques de l’obésité pour la santé. On ne conteste plus l’existence d’une association étroite entre le surpoids et l’hypertension, le diabète et la plupart des troubles cardiovasculaires.

L’obésité et ses maladies associées affectent environ 40% de la population nord-américaine Un mode de vie sédentaire combiné à un approvisionnement alimentaire pouvant fournir quelques milliers de produits élevés en calories contribue au cauchemar de l’équilibre alimentaire.

Trop de gras

Au cours des 20 dernières années, les Canadiens ont augmenté leur consommation d’aliments naturellement pauvres en gras ou à teneur réduite tels que poisson et lait écrémé. Ils ont par ailleurs augmenté l’usage d’aliments à haute teneur en gras : certains fromages, gras de cuisson et de friture d’origine animale et végétale. D’après des études de marché, un produit dont les ventes progressent rapidement est la charcuterie, ce mélange de viandes, volailles ou poissons utilisé pour les repas rapides et les collations.

La quantité de gras visible est diminuée mais le gras invisible, celui présent dans les charcuteries, fritures, aliments semi préparés et pâtisseries augmente considérablement et est difficile à évaluer et à identifier pour le consommateur moyen.

Trop de sucre

Le Nord-Américain moyen consomme environ 100 livres (50 kilogrammes) de sucre par année. Certains adolescents consomment jusqu’à 400 livres (200 kilogrammes) de sucre par année, conséquence d’un mauvais choix de collations et de boissons.

Trop de sel

Les besoins en sodium d’un individu normal sont de 1 à 3,5 milligrammes de sodium par jour. La consommation moyenne des Américains se situe entre 4 et 8 milligrammes de sodium par jour. Cette dernière quantité équivaut à deux à quatre cuillers à thé de sel de table que tous s’entendent à reconnaître comme principal responsable de l’hypertension et de certains troubles rénaux.

Trop d’additifs chimiques

En plus des agents colorants, des saveurs artificielles et des préservatifs ajoutés par les technologistes alimentaires, plusieurs aliments contiennent des résidus de pesticides, d’antibiotiques et d’autres éléments chimiques utilisés dans leur procédé de fabrication.

Ce dernier élément soulève de nouvelles questions en regard de la sécurité de nos aliments. Si une substance cause le cancer chez les rats, devons-nous assumer que les mêmes conséquences existent pour l’homme ?

Dans la décision de perdre du poids, devons-nous envisager de bannir les édulcorants artificiels ? Ultimement, les conséquences sur l’environnement, sur la société et sur la santé doivent être vues sous l’angle d’objectifs et de valeurs conflictuels Par exemple : la solution du problème du choix d’aliments pour une majorité d’entre nous est la facilité et le plaisir; pour une proportion de plus en plus importante, c’est aussi le maintien d’une bonne santé ; en même temps, le principal objectif de l’industrie est de produire de plus en plus, de diversifier davantage la gamme de produits et de faire le plus de profits possible.

Que nous réserve l’avenir ?

Le monde a 7 milliards d’habitants qu’il faut nourrir. Le défi est de maîtriser les technologies au lieu de les subir. Dans nos pays industrialisés, l’ensemble agriculture/industries agro-alimentaires devra assurer les besoins alimentaires des humains selon deux impératifs.

D’abord, préserver la santé en fournissant à prix économique des aliments de bonne valeur nutritionnelle et hygiénique, ensuite, contribuer à la qualité de la vie en offrant des aliments de loisirs de grande valeur organoleptique.

Heureusement, les auteurs de science-fiction avaient tort lorsqu’ils nous annonçaient pour l’an 2000 une alimentation à base de pilules et de poudres. La pilule est encore dans le monde de l’imaginaire. Quant aux suppléments nutritionnels et autres concentrés nutritifs, ils sont réservés pour des usages thérapeutiques bien définis.

Il faut s’y résigner, les pays les plus riches consomment près des trois quarts de leurs protéines sous forme de protéines animales d’origine bovine. Cette tendance est irréversible même si, individuellement, de plus en plus de personnes tentent de modifier cette donnée.

Nous nous en allons vers une uniformisation de l’alimentation, conséquence des échanges de plus en plus faciles d’un pays à l’autre. La banalisation que l’on pourrait craindre sera diluée dans une grande variété de produits.

Pour terminer cette réflexion sur nos habitudes alimentaires et sur l’état de santé de notre population, je me permets cette citation de Jean Trémolliére : « Le repas familial gagné et offert par le père, préparé par la mère, reste le lien essentiel où se matérialisent pour l’enfant ces images du père et de la mère sans lesquelles un être n’a pas de solidité intérieure et une société cesse de bâtir une civilisation.

Au nom d’une science parfois douteuse et fluctuante (…) il ne faut pas supprimer le long et prestigieux passé d’un artisanat qui créa nos fromages, nos vins, nos charcuteries… »

Hélène M. Tremblay, diététiste-conseil. Les Diplômés, N° 365, printemps 1989.

Charcuterie
Charcuterie grasse. Photographie de GrandQuebec.com.

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