L’hibernation et la lyophilisation
De la découverte du froid artificiel par Charles Tellier : l’hibernation et la lyophilisation
Placés dans un milieu ambiant, essentiellement variable, les êtres vivants doivent perpétuellement adapter leur comportement de façon à maintenir l’équilibre et la constance de leurs grandes fonctions organiques. Ainsi, face à une température extérieure susceptible de devenir saisonnièrement très basse, les mammifères se protègent-ils par des modes de vie ou des réactions physiologiques appropriés. Le renard des neiges comme l’ours des montagnes a une fourrure plus dense et plus chaude pendant la saison froide. C’est par un processus identique que le citadin au cours de l’hiver, l’explorateur polaire ou l’alpiniste se protègent contre les rigueurs du froid.
Il n’y a pas adaptation de l’organisme homéotherme, mais simple isolation thermique. Tous les animaux cependant ne montrent pas des réactions identiques et il est une classe de mammifères qui se soumet partiellement à la contrainte de température, je veux parler des hibernants.
Lorsque la neige recouvre le sol et qu’en apparence toute trace de vie a disparu dans le monde végétal, la marmotte alpine se retire au fond d’un terrier profondément enfoui dans le sol et se prépare à hiberner. Pendant plusieurs mois, elle va vivre au ralenti, plongée dans un sommeil profond et régulier dont elle ne sortira que rarement pour prendre un peu de nourriture. Ne se déplaçant presque plus, ayant une alimentation espacée et réduite, la marmotte va résister aux épreuves de la mauvaise saison.
Cette attitude physiologique de soumission partielle aux conditions climatiques ambiantes s’appelle l’hibernation naturelle et l’une de ses premières conséquences est l’hypothermie. En effet, par suite même de son inaction et de sa nutrition réduite, l’animal hibernant se refroidit progressivement et sa température centrale s’abaisse aux environs de 15 degrés Celsius. Les grandes fonctions organiques se trouvent ainsi fortement ralenties: la circulation du sang est lente et les battements cardiaques très espacés de même que les mouvements respiratoires. Les cellules ont un métabolisme réduit et toute la machine vivante se trouve engourdie. Toutefois survient-il un danger un réchauffement imprévu, une variation quelconque brutale des conditions d’environnement, l’hibernant sort de sa léthargie et spontanément retrouve toute son activité physiologique.
Sinon il faudra attendre le retour du printemps pour que cesse l’état de vie ralentie. Frappés depuis longtemps par ce comportement extraordinaire, les physiologistes se sont demandés s’il s’agissait là d’un cas exceptionnel ou si au contraire, les animaux hibernants ne faisaient que traduire une propriété générale des êtres vivants. Aussi a-t-on recherché à reproduire artificiellement le phénomène d’hibernation.
De remarquables travaux, auxquels restera toujours associé le nom du grand savant disparu Giaja, démontrèrent la possibilité de refroidir des organismes supérieurs, voire même l’être humain.
Si l’on se place en effet dans les conditions opératoires favorables, on peut abaisser la température centrale d’un mammifère de 37° C jusqu’à 15° C. L’homme ou l’animal hypothermique est alors en tous points semblable à l’hibernant. Cependant, si la température est basse, et inférieure à 20° C, il lui sera difficile, même impossible, de retrouver spontanément son activité antérieure et il faudra avoir recours à la réanimation. En effet, l’animal refroidi artificiellement est en état de coma et non en état de sommeil. De l’hibernation on n’a su reproduire que l’hypothermie.
Néanmoins, malgré cette différence fondamentale, l’hypothermie artificielle a apporté à la médecine et à la chirurgie des possibilités immenses. Grâce au ralentissement général des fonctions de l’organisme, provoqué par l’abaissement thermique, il est possible d’arrêter momentanément la circulation cérébrale et d’opérer ainsi à cœur ouvert sans risques d’altérations du système nerveux central. Il est également devenu possible de placer dans un état d’attente physiologique un grand traumatisé ou un malade atteint de choc intense par électrocution, brûlure ou empoisonnement et de laisser ainsi à la nature, aidée par la thérapeutique, le temps et le soin de transgresser la période critique. Les limites de la vie et de la mort elle-même ont été rendues accessibles par l’hypothermie artificielle et l’on a pu comprendre comment un organisme refroidi en dessous de 15 ° C et placé dans un état de mort apparente temporaire, pouvait néanmoins retrouver son activité vitale antérieure. Des domaines entièrement nouveaux de la physiologie peuvent ainsi s’ouvrir à la recherche.
L’hypothermie, cependant, ne représente pas la seule application du froid en biologie animale et en médecine. En effet, poursuivant la route des températures décroissantes, on a montré que grâce à des techniques particulières comme l’addition de glycérine, proposée par le Maître Jean Rostand, on pouvait non seulement refroidir des tissus isolés mais, mieux encore, les congeler et les conserver à très basse température.
Placés de la sorte dans un état de stabilité complète, soustraits à l’influence du temps, les organes et tissus vivants devenus des entités minérales cristallines, conservent néanmoins le pouvoir magique d’engendrer à nouveau le cycle prodigieux des manifestations de la vie dès qu’ils ont retrouvé la température de + 37°.
Entre temps, dans le fond des conservateurs, ils gardent disponibles à chaque instant, toutes leurs capacités physiologiques. La banque des tissus est ainsi devenue réalité et le chirurgien peut y faire appel dans de nombreux cas.
Organes, tissus et cellules ne sont pas les seuls éléments que l’on peut conserver par le froid et de nombreuses substances qui en sont dérivées échappent à leur altérabilité usuelle grâce à la congélation. Récemment, d’ailleurs, a été mise au point une méthode ingénieuse dérivée de la conservation par le froid: la lyophilisation.
Dans cette technique, les produits altérables sont préalablement congelés puis placés dans une enceinte étanche où l’on peut faire le vide. Là, sous l’effet combiné du vide et d’une chaleur régulière distribuée par des plateaux chauffants, la glace distille et les substances se dessèchent progressivement à partir de l’état congelé. En fin d’opération, le spécimen devenu sec sans altérations peut se conserver indéfiniment à la température ambiante dans un récipient étanche. Si l’on désire un jour l’utiliser, il suffit alors de lui ajouter l’eau qui a été extraite pour qu’il retrouve son aspect et ses qualités d’origine.
Préparations, souches de virus et de bactéries, spores mycéliennes, produits naturels actifs comme les hormones et les vitamines, sérums, vaccins, antibiotiques peuvent être lyophilisés industriellement.
On réalise même des installations de très grande taille susceptibles de traiter plusieurs tonnes par jour de produits alimentaires.
En effet, eux aussi, très altérables peuvent être stabilisés par cette méthode et conserver intacte leur valeur nutritionnelle.
Ce rapide panorama montre combien l’usage raisonné du froid en biologie animale et en médecine est riche de réalisations et de promesses. Il est certain que de nombreuses applications nouvelles apparaîtront dans les années qui viennent et l’on parle déjà de refroidir les futurs passagers de l’espace: l’aventure scientifique n’est jamais finie et c’est l’immense fierté des chercheurs que de la développer sans cesse.
Louis Rey
Maître de conférences à la Faculté des Sciences de Dijon. Reproduit de « Lisez et Choisirez », Secrétariat général : 47, Boulevard Lannes, Paris-XVIe.
Revue l’Inter, mars 1963.

Hibernation
L’hibernation peut se définir : le ralentissement volontairement provoqué de la vie végétative assez semblable à celui que l’on observe naturellement pendant la saison froide chez les animaux dits « hibernants » (marmotte par exemple).
Cette « mise au ralenti » des fonctions végétatives s’obtient par divers procédés physiques de refroidissement général du corps et surtout par l’utilisation de certains médicaments dits « ganglioplégiques » (penthonium, pendiomide) agissant au niveau des synapses ganglionnaires pour en provoquer la déconnexion de l’adjonction de certaines substances psychobiotiques comme la chlorpromazine ou endocriniennes notamment l’hormone somatotrope hypophysaire paraît renforcer cette mise au ralenti.
C’est à Laborit que l’on doit, après des recherches expérimentales, l’application en clinique de l’hibernation, dans le but d’inhiber les réactions irritatives neuro-végétatives et endocriniennes déclenchées dans l’organisme par des agressions sévères : état de choc, grand traumatisme, infection grave, etc., et surtout pour prévenir des réactions dangereuses autour des interventions chirurgicales, particulièrement en neurochirurgie.
Lazorthes et L. Campan, de Toulouse, dans une communication de la Société de Neurochirurgie (anal. In P. M., 13 février 1954, p. 236) tout en se déclarant partisans de l’hibernation en neurochirurgie, ont montré qu’elle avait cependant des limites, et rapporté deux cas d’hypersensibilité à cette méthode. Ils ont montré la fréquence d’un syndrome cachectisant chez des malades ayant primitivement bénéficié de l’hibernation. Ils mettent en avant l’hypothèse d’une insuffisance diencéphalo-hypophysaire dans ces cas défavorables, ayant trouvé chez un de leurs malades une névrose diencéphalique d’où l’opportunité en pareille occurrence d’une thérapeutique endocrinienne.
Toutefois, il semble qu’une confusion se soit établie dans l’esprit des cliniciens entre l’hibernation et l’action narcobiotique des neuroplégiques. Tardeau a critiqué l’abus du terme d’hibernation employé en pareils cas et souligné qu’il fallait bien distinguer ceux où les neuroplégiques comme la chlorpromazine étaient employés seuls et ceux où ils étaient associés à d’autres procédés de refroidissement; il a montré aussi que leur action s’expliquait au moins autant par une vasodilatation périphérique que par le blocage des centres de l’hyperthermogenèse. De son côté, Philippe Decourt a souligné que la conception de la thérapeutique narcobiotique et sa réalisation pharmacologique actuelle (chlorpromazine ou Largactil) diffèrent profondément de la conception de l’hibernation artificielle et de des principes pharmacologiques.
Toutefois, Larorit pense que cette distinction reposant sur un concept trop général de narcobiose est inacceptable et ne permet pas d’expliquer de nombreux faits expérimentaux et cliniques, parmi lesquels la potentialisation d’action et l’action préférentielle sur certaines structures cellulaires.
Indications neuro-psychiatriques. – En neurochirurgie, où l’œdème cérébral et l’hyperthermie constituent des complications redoutables, l’hibernation donne des résultats très brillants (technique complexe ou traitement simple par les neuroplégiques). Cependant des critiques valables se sont élevées contre la mise en hibernation des traumatisés crâniens, cette technique risquant de masquer l’apparition d’accidents graves secondaires nécessitant un geste opératoire. Elle s’impose chaque fois qu’il a y une menace d’œdème cérébral (complications de la cure de Sakel).
Dans tous les états d’agitation, en particulier dans les psychoses aiguës hyperthermiques (délire aigu), l’hibernation trouve des indications fréquentes; mais il convient de remarquer que les ganglioplégiques et les neuroplégiques associés à d’autres calmants dans certains « cocktails » semblent jouer un rôle dominant soit comme on l’a dit en « potentialisant » l’action des autres sédatifs (barbiturates en particulier). L’hibernation, de plus en plus répandue en psychiatrie, possède à son actif des succès très intéressants (Hamon, Paraire et Velluz, Mlle Deschamps, Brissert et Gachkel, H. Ey et Bérard, J. Delay et Deniker, P. Abely, etc.).
Gachkel et Brisset, Cossa ont montré que l’emploi de l’hibernothérapie dans les cures de désintoxication facilitait grandement la guérison des toxicomanes.
Comme on le voit, ces indications rejoignent bien souvent celles de la cure de sommeil d’une part, celles des simples neuroplégiques d’autre part.
L’hibernothérapie demande une surveillance attentive en particulier de la pression artérielle et de la température; le refroidissement ne doit pas descendre au-dessous de 35 degrés. Les conditions préalables et matérielles du traitement sont celles de la cure de sommeil.
Il conviendra toujours de lutter contre la déshydratation si fréquente dans les syndromes malins, qui trahissent la faillite des fonctions végétatives du diencéphale.
Ant. Porot.
Ganglioplégiques
On donne ce nom à des substances qui agissent surtout sur les médiateurs chimiques au niveau des synapses nerveux et interviennent essentiellement comme agents de déconnexion (ex. : penthonium, pendiomide).
Ils sont couramment utilisés dans les thérapeutiques d’hibernation.
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