Dépenser intelligemment

L’art difficile de dépenser intelligemment

Faut-il dépenser des millions pour favoriser le dépistage du cholestérol et du cancer du sein à la grandeur de la province et même du pays ?

Est-il raisonnable de défrayer le fonctionnement d’un appareil à oxygène de 1000 à 2000$ par an, pour permettre à un malade atteint d’insuffisance respiratoire chronique d’effectuer son traitement à domicile?

Dans un but d’économie, est-il acceptable de recycler et de réutiliser les simulateurs cardiaques et les filtres de dialyse sans mettre en danger la vie des patients?

Peut-on dépenser jusqu’à 300 000$ par année pour le fonctionnement d’un cœur-poumon artificiel qui permettrait de sauver la vie de 5 à 10 nouveaux-nés?

Parce qu’il provoque moins de réactions secondaires chez le patient, les hôpitaux doivent-ils utiliser un nouveau produit opacifiant très coûteux pour effectuer les examens du rein et du système cardio-vasculaire?

Les radiographies pulmonaires sont-elles trop nombreuses? En 1988, il y a eu 1,6 million d’examens dans nos établissements de santé. À cela, il faut ajouter des milliers d’autres en cliniques privées.

Les questions qui précèdent comptent parmi les plus épineuses qui ont été soumises au Conseil d’évaluation des technologies de la santé au Québec, organisme formé d’experts indépendants, dont le mandat est de fournir des avis scientifiques sur l’efficacité, la sécurité, ainsi que les conséquences sociales et économiques de certains traitements, équipements et programmes.

L’argent étant de plus en plus rare dans le domaine de la santé, on doit le dépenser le plus efficacement possible. Le ministre, Marc-Yvan Côté, a souvent insisté sur la nécessité de faire des choix plus judicieux.

«Est-il normal que dans une région deux hôpitaux se chamaillent pour obtenir chacun son scanner, alors que les besoins sont pour un et demi? Est-il normal que sur l’île de Montréal, deux fois plus d’hôpitaux qu’à Toronto offrent des services tertiaires en cardiologie? », déclarait-il devant l’Association des hôpitaux.

Le Conseil des technologies a justement été créé pour guider le ministre et les établissements dans leurs décisions. Bien connu dans le milieu scientifique, l’organisme n’a cependant pas fait beaucoup de tapage dans la population depuis sa création en 1988. Son président, le docteur Maurice McGregor, ex-doyen de la faculté de médecine de l’Université McGill, a volontairement choisi la prudence et la discrétion.

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Avant, l’argent coulait à flot, maintenant j’éponge mes dettes (Vincent Roca, humoriste et écrivain français. « On n’a jamais vu une banane flamber au casino »). Photo : © GrandQuebec.com.

Un dilemme

On a beau dire que la vie n’a pas de prix, cet aphorisme est moins évident dans un contexte de pénurie de ressources.

Ainsi, le Conseil des technologies a eu à se pencher en 1990 sur la nécessité d’implanter ou non un programme très onéreux de soins intensifs pour sauver la vie de nouveaux-nés.

Le cœur-poumon artificiel semblable à celui utilisé pour la chirurgie à cœur ouvert permettrait, selon le Conseil, de sauver la vie de 5 à 10 nouveaux-nés par année, à un coût additionnel de 300 000$ pour le système de santé québécois.

Ce moment n’est toutefois pas excessif si on le compare à certaines autres interventions thérapeutiques, comme la dialyse rénale chronique qui est fort coûteuse. «La comparaison du coût par année de vie sauvée d’un nouveau-né à celui d’un adulte en laissera plus d’un sceptiques», note le Conseil.

M. Arthur Schafer, directeur du centre d’éthique pour les professionnels de la santé, de l’Université du Manitoba, déclare en substance: Cela semble tragique qu’une nouvelle thérapie dont les avantages sont bénéfiques ne puisse être accessible à chaque patient et que certains meurent ou souffrent davantage. C’est tragique. Mais dans un monde où les ressources sont limitées, est-ce qu’il existe un autre moyen d’échapper au fait que donner à une personne, c’est en priver une autre?

(Texte publié le 25 mars 1991 dans La Presse).

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