Une rétrospective d’art dentaire
Par Gérard Plamondon
(Article paru en mai 1935 dans l’Action Universitaire)
SI nous recueillons, par ordre chronologique, ce qu’a laissé le passé sur la question dentaire, nous voyons surgir un essaim de vieilles choses qui sont toute l’histoire de la profession. Ne remontons pas aux temps très anciens. Contentons-nous d’un exposé sommaire de l’intéressante collection que possède, depuis peu, la Faculté de chirurgie dentaire de notre Université.
Notre profession, régulièrement organisée depuis 1842, est jeune encore. Elle a progressé avec une étonnante rapidité. Son évolution est telle, qu’elle oublie déjà certaines vieilles choses démodées. Lesquelles faisaient, hier encore, son orgueil et rendaient de grands services à l’humanité.
Désireuse de servir l’intérêt général, persuadée que certains documents dignes d’attention et dispersés un peu partout gagneraient à être groupés, la Faculté a fait appel à ses diplômés. Grâce à l’initiative des confrères Paul Geoffrion et Paul Poitras, quelques mois ont suffi pour donner un résultat dépassant toute espérance. Aujourd’hui, l’Université de Montréal est dotée du plus complet musée d’antiquités qui soit au Canada.
La plupart des objets recueillis nous viennent en grande partie de la province de Québec. Quelque trois cents gravures et photos rappellent des phases ou scènes typiques de la profession. Citons au hasard certaines photos qui présentent quelque intérêt particulier: celle du docteur Aldis Bernard qui fut maire de Montréal de 1873 à 1875, et premier président de l’Association Dentaire; celle de l’honorable Pierre Baillargeon (1811-91) qui fut sénateur et membre du Bureau des Dentistes en 1869, date de la première « incorporation » des Dentistes de la province de Québec; celle de Madame Casgrain, Québecquoise, épouse du docteur Casgrain, et qui fut la première femme dentiste canadienne-française. – C’est ce docteur Casgrain qui inventa un appareil à couler par pression et succion (principe de la cire perdue) breveté le 18 mars 1895. – C’est encore lui qui inventa un vulcanisateur toujours utilisé et fabriqué par une firme de Buffalo.
Le docteur W. George Beers, premier rédacteur du Dominion Dental Journal, sportsman réputé, organisa au pays le jeu de « La Crosse », et fut capitaine d’une équipe qui joua en Angleterre devant la reine Victoria. Le docteur J. H. Bourdon, décédé il y a quelques mois, fut le premier secrétaire de la première École dentaire bilingue fondée en 1892 ; le docteur Eugène Dorval, de Québec, (actuellement retiré) spécialiste en appareils de prothèse pour palais perforés (bec-de-lièvre). Praticien de grande valeur et de réputation enviable, il possède, dit-on, une collection bizarre de vieux instruments. Espérons qu’un jour il en fera don à notre Faculté.
Enfin, parmi les plus intéressantes photographies figure celle de la première École dentaire française d’Amérique, fondée, en 1902, par les docteurs Dubeau, Nolin et Gendreau. Cette École donnait ses cliniques à l’édifice de La Patrie et ses cours à l’Université Laval de Montréal. En 1907, nous voyons une nouvelle École se dresser.
Quelques années plus tard, en 1912, fut érigé l’Hôpital Dentaire Laval, devenu, depuis 1922, la Faculté de chirurgie dentaire de l’Université de Montréal.
Parmi les appareils, outre les deux inventions du docteur Casgrain mentionnées plus haut, signalons un four à vapeur servant à la fabrication de pièces de prothèse en celluloïd (1880). Une machine qui ne manque pas d’originalité est le premier appareil à gaz (oxide nitreux), breveté en 1885, don du docteur Maufette.
Passons maintenant aux vieux instruments; il y en a de six à sept cents. Impossible de les décrire tous. Toutefois, pour les profanes et surtout pour nos patients pusillanimes, il est bon, ce me semble, d’attirer l’attention sur l’un de ces instruments, en particulier: la clef de Garengeot.
La crainte que nos instruments scintillants et délicats inspirent encore aux « clients » se dissiperait vite à la seule vue de cet outil infernal; d’autant plus qu’alors il n’était pas question d’anesthésie. Cette clef est l’un des plus anciens instruments et ressemble à un tire-bouchon. Elle se compose d’une tige métallique munie d’une poignée; l’autre extrémité supporte un crochet mobile à griffes servant à l’avulsion des dents.
Une riche collection de deux cents volumes, publiés de 1728 à 1900, est vraiment étonnante. Nous remarquons tout spécialement les deux éditions en deux volumes de Fauchard, surnommé le père de l’art dentaire. Ces livres datent de 1728 et de 1746. Ils ont tous une grande valeur. L’œuvre de Fauchard, intitulée Le Chirurgien Dentiste ou le Traité des Dents, est intéressante d’un bout à l’autre. Il n’est pas exagéré de dire que Pierre Fauchard, né en Bretagne en 1678 et mort à Paris en 1761, est le fondateur de la dentisterie opératoire et de la chirurgie dentaire.
Et que dire maintenant de la pâte à guérir… la carie? (1815) ; des fauteuils de 1860 ? des pièces-à-main à levier (1880) ? des langues-de-carpe (1880)? du cabinet dentaire (1882) ? etc., etc.
Si vous avez quelques loisirs, nous vous conseillons de les consacrer à une visite de cette exposition. Vous y passerez d’agréables moments; car la chose en vaut la peine. Vous serez heureux de l’initiative et du travail des organisateurs.
Félicitons-les et coopérons avec eux. A tous ceux qui ont répondu à l’appel, nous disons un cordial merci au nom de la Faculté. Tout ce que les autres voudront bien envoyer sera reçu avec reconnaissance. C’est ainsi que, soit dit sans prétention, notre musée deviendra rapidement l’un des plus intéressants du genre en Amérique.
L`Action Universitaire, mai 1935, vol. 1, numéro 6
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