Delirium tremens, ses aspects psychiatriques
C’est l’une des urgences psychiatriques les plus fréquentes. Il faut considérer le delirium tremens comme un épisode aigu de l’alcoolisme chronique, plutôt que comme une manifestation de l’intoxication aiguë alcoolique.
Il est déclenché par une augmentation progressive des doses, mais souvent aussi par le sevrage brusque; ce sevrage étant réalisé par une maladie intercurrente, un accident, un traumatisme, une intervention chirurgicale, une incarcération. Sur 27 cas du délirium tremens, Baonville et Titeca notent que le sevrage est seul en cause dans 8 cas et qu’il joue un rôle prépondérant dans 14 autres. Marchand et Courtois l’assimilent à une attaque d’encéphalite psychosique aiguë dont il présente les lésions et les localisations.
Pour Lecoq, le déclenchement du délirium tremens est dû, pour une large part. à une intoxication par l’acide pyruvique ou par les dérivés piruviques, produits intermédiaires du catabolisme de l’alcool.
Tableau clinique. Le délirium tremens se voit surtout chez l’homme. Il est annoncé par quelques prodromes : mauvais sommeil avec cauchemars, rêves animés, parfois insomnie totale ; des céphalées presque constantes, un malaise cénesthésique diffus, de l’embarras gastrique, un redoublement des douleurs et du tremblement, un état d’inquiétude agitée, des sueurs plus faciles, de la tachycardie souvent. Puis le délire explose, d’abord nocturne, s’animant et s’étalant sur le jour et la nuit et créant une vive agitation.
Ce délire est le type le plus vivant et le plus caractéristique du délire onirique hallucinatoire. Illusions, hallucinations visuelles viennent assaillir le sujet, avec leur ébauche de coordination et de thématisation constituant es scènes fugitives, des films cinématographiques qui passent et se succèdent sans lien logique. Ce sont des tableaux tirés de l’activité professionnelle, ou bien des spectacles de mort, d’incendie, de carnage, d’animaux agressifs, de serpents, de rats qui courent sous le lit, d’énormes araignées sur les murs (zoopsie). Ces hallucinations à prédominance visuelle prennent quelquefois le caractère de personnages lilliputiens (Leroy).
Le malade est généralement désorienté dans le temps et dans l’espace. Il est le jouet de multiples illusions : les personnes qui l’entourent sont incorporées à sa fantasmagorie hallucinatoire, l’infirmier immobile au pied de son lit est un assassin qui le guette et va sortir un couteau de sa poche. Les réactions sont celles d’un somnambule agité, anxieux, terrifié qui se lève, cherche à fuir, se débat contre des attaques imaginaires ou bien crie, interpelle ceux qu’il voit ou croit voir, soliloque, donne des ordres brefs, mime des scènes professionnelles ou se défend contre les animaux qui l’assaillent. La terreur est parfois extrême et prend l’allure d’une véritable panlophobie. Ces réactions impulsives et défensives peuvent aboutir à des fugues, des suicides par défenestration, des meurtres, etc.
Certains alcooliques entrecoupent leur accès de delirium tremens de crises convulsives. Accompagnant cette activité onirique terrifiante, existent toujours des stigmates physiques caractéristiques. Le tremblement atteint parfois une intensité extrême, et c’est ce symptôme qui avait fait donner à cet accès par Sutton, en 1812, le nom de delirium tremens. La parole est saccadée et trémulante ; les réflexes tendineux et cutanés son exagérés; le malade sursaute dès qu’on le frôle ou le touche ; il a de l’hyperesthésie.
L’état général est altéré. Il y a fréquemment une légère élévation de la température (38 degrés, quelquefois 39). C’est un élément de pronostic important. Le malade a des sueurs profuses, il y a toujours un état saburral marqué, parfois du subictère, un éréthisme circulatoire qui se traduit par un pouls rapide et souvent une baisse de la tension maxima.
Il y a un syndrome biologique et humoral : les urines sont rares, foncées, quelquefois albumineuses, avec glycosurie transitoire discrète. L’urobilinurie est constante et souvent importante, l’élimination de l’urée, des chlorures et des phosphates est ralentie.
Il y a presque toujours une azotémie se tenant entre 1 et 2 g, rarement plus élevée. La courbe des chlorures, de la glycémie, de la cholestérolémie est parallèle à celle de l’urée. Il y a souvent lymphocytose avec polynucléose. Le liquid est rarement modifié dans sa pression ou sa composition. Dans quelques cas, on a signalé une précipitation du benjoin dans la zone méningée.
H. Claude, Masquin, Dublineau et Mile Bonnard ont noté sur 8 cas d’alcoolisme aigu ou subaigu, 7 fois une augmentation de la peptorachie et de l’indice rachidien de désamination. Bargues a résumé les constatations biologiques dans la formule suivante : insuffisance hépatique constante portant sur toutes les fonctions du foie : elle est nécessaire à l’explosion du délire qui n’apparaît pas sans elle ; cette insuffisance ne s’associe pas généralement à des altérations d’autres organes ; enfin, il y a altération de la barrière hématoencéphalique.
– Évolution et pronostic. – L’accès délirant peut se présenter à tous les degrés. L’accès moyen dure, en général, de trois à huit jours, avec un cycle thermique qui ne dépasse guère 38 degrés. Il en est de plus courts, apyrétiques; il en est de prolongés, subfébriles, surtout chez les vieux intoxiqués, à foie déficient. La guérison se marque par la dissipation diurne et progressive des cauchemars, une débâcle urinaire et le retour plus tardif du sommeil normal : elle est parfois brusque après un accès de sommeil profond; elle est de règle dans la plupart des cas, si le sujet est placé dans des conditions favorables. Comme dans toute confusion mentale aiguë, il y a toujours amnésie lacunaire au réveil. Mais on peut voir aussi éclater le syndrome du délire aigu mortel quand la température brusquement dépasse 39 degrés.
Au cours du délirium tremens, il faut toujours avoir présent à l’esprit la possibilité d’un collapsus circulatoire brusque ou rapide. La mortalité est de 10 à 15%.
– Diagnostic. – Le diagnostic du delirium tremens doit se faire avec les épisodes agités de la paralysie générale, quelques formes de méningites aiguës, certaines formes hallucinatoires de l’encéphalite, quelques accès de manie aiguë et parfois des équivalents mentaux de l’épilepsie. En certains pays, il faut penser à l’accès paludéen pernicieux délirant, à certains accès délirants agités de l’insolation. Il faut penser également à la possibilité d’agitation causée par d’autres toxiques (chloral, acide salycilique).
– Conduite à tenir. – Tout chirurgien ou tout médecin appelé à opérer ou à soigner un alcoolique ne doit pas se laisser surprendre par l’attaque de delirium tremens. Il doit s’enquérir toujours des antécédents du malade et rechercher avec soin les stigmates de cette intoxication et user de la strychnothérapie préventive à haute dose.
Il serait sage également, si l’accès explosait chez un opéré, au premier signe d’alerter, de prendre les mesures de précaution nécessaires : brassards attachant les poignets et les chevilles au plan du lit pour éviter que l’opéré n’arrache son pansement.
Quand l’accès explose en liberté, on sera presque toujours amené à conduire d’urgence le malade dans un service spécial et le plus tôt sera le mieux pour éviter des surprises tragiques.
La strychnothérapie intensive constitue une thérapeutique remarquable et quasi spécifique. Préconisée en 1873 par Sutton, elle eut toujours ses partisans en France. On semblait l’avoir un peu perdue de vue durant ces dernières années ; on est revenu sur son emploi en insistant sur la nécessité de très fortes doses (15 à 50 mg par jour) et son emploi prolongé plusieurs semaines (Pagniez, Cossa). On a même parlé d’antidotisme.
On admet aujourd’hui que l’alcool perturbant les seuils chronaxiques, la strychnine intervient pour rétablir l’isochronisme. C’est en fait un médicament spécifique des centres neurovégétatifs du tronc cérébral et du diencéphale, comme la digitale l’est du myocarde. Du reste, cette médication réussit dans tous les cas où ces centres sont particulièrement menacés (délires aigus) et les neurochirurgiens en usent largement.
L’injection intraveineuse d’alcool a été préconisée (Bruel, Lecoq) ; elle peut rendre de très grands services dans les cas d’urgence (traumatisés, opérés) ; elle agit – semble-t-il – en faisant remonter très rapidement la réserve alcaline chez des sujets en état d’acidose prédélirante. On injecte rapidement dans la veine une solution d’alcool neutre à 30% ou mieux une préparation d’alcool glucose et hépatisé (Lecoq), en partant d’une dose initiale de 100 à 150 cc par jour et diminuant de 10 à 20 cc chaque jour.
Delmas-Marsalet, qui pense que la crise de delirium tremens est due à une poussée d’œdème cérébral, préconise l’injection intraveineuse d’une solution de sulfate de magnésie à 15% (2 ou 3 injections quotidiennes de 20cc). On a également prôné le bromure de magnésium ; enfin, la vitamine B1 et parfois la vitamine PP à très fortes doses doivent être associés aux autres thérapeutiques.
Signalons, dans ces derniers temps, l’emploi des amphétamines à effet psychologique très puissant. Dans les ivresses et le delirium tremens, elles peuvent être employées en injections intraveineuses à 5 mg répétés plusieurs fois par jour. Son action est moins nette dans les formes de l’alcoolisme chronique. Th. Kammerer et R. Ebtinger emploient systématiquement et précocement la chlorporomzine ou le largactil à la dose de 1g à 1,5g, réparti en 4 injections par jour, tout en appliquant en même temps la thérapeutique classique (strychnothérapie, vitaminothérapie).
La sédation est très rapide, la température s’abaisse dès le premier ou second jour et, si l’onirisme persiste quelquefois, il se dépouille de son caractère anxieux et terrifiant.
Il n’y a à l’emploi de ce médicament que 3 contre-indications : les infections graves et l’insuffisance cardiaque. Son emploi est aussi à rejeter quand il y a une forte imprégnation alcoolique récente, car l’alcool agit comme un potentialisateur dangereux.
Une fois le malade remis de son accès de delirium tremens, il y aura intérêt à le garder encore un certain temps à l’hôpital et à le soumettre aux « cures de dégoût » : apomorphine, antabuse.
Ant. Porot.
Chloralisme
Le chloralisme, très rare aujourd’hui, supplanté par le barbiturisme, a été bien décrit autrefois par Antheaume et Parrot, Clerambault (A.M.P., sept. 1909) ; on a signalé une forme torpide avec bradypsychie et obtusion confusionnelle, une forme agitée avec nervosisme, irritabilité et état anxieux et, la nuit, un véritable somnambulisme. On a décrit aussi un delirium tremens chloralique. Certains spécialités à base de chloral (Kalmidor) ont pu déclencher des bouffées confusionnelles (Leroy et Pottier). Signes diagnostiques (la réduction de la liqueur de Fehling par les urines, mais avec rotation à gauche).
Le choralose est responsable d’un certain nombre de comas généralement bénins dans leur pronostic ; après une première phase de sommeil calme survient une phase d’agitation psychomotrice avec secousses des muscles de la face, sursauts tendineux puis reprise, au bout de quelques heures, d’un sommeil comateux, profond, dont le sujet se réveille le lendemain amnésique.
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