Bégaiement en psychologie
Le bégaiement est un désordre moteur et psychomoteur du langage se manifestant par l’impuissance transitoire à émettre certains phonèmes ou à enchaîner différents mouvements articulatoires d’élocution indépendamment de tout trouble parétique.
Sémiologie :
1. Troubles articulatoires. – Les troubles fondamentaux peuvent se manifester sous plusieurs formes, isolées par Colombat (1797-1851) et schématisées par l’école viennoise de Froeschels :
a) Forme clonique (ou choréique): répétition convulsive d’une syllabe.
b) Forme tonique (ou tétanique): état d’immobilisation spasmodique de l’appareil phonateur, se terminant à son acmé par une émission explosive et précipitée.
c) On peut y ajouter une forme inhibitoire: sidération momentanée de tout effort d’élocution; le sujet reste inerte et comme absent avant de pouvoir amorcer une émission verbale.
Ces troubles s’accompagnent toujours, plus ou moins, d’un cortège de manifestations associées: troubles respiratoires, moteurs et neurovégétatifs, et psycho moteurs (désignés par Pichon et Legry, sous le nom de «balbisme»).
2. Troubles respiratoires. – Ils consistent surtout en troubles du rythme, soit inspiration trop violente et trop brève, soit expiration incomplète, soit spasme glottique interrompant par saccades le mouvement respiratoire. Le battement des ailes du nez est constant chez tous les sujets et Froeschels le considère comme le meilleur signe d’authenticité du bégaiement.
3. Troubles moteurs et neurovégétatifs. – Au cours de l’élocution des mouvements parasites se produisent dans des territoires plus ou moins éloignés des organes phonateurs: syncinésies faciales, grimaces, contorsions de la bouche, inclinaisons ou torsions diverses de la tête, des épaules, du tronc, crispation des mains, tapements de pied, etc.
Dans les formes toniques, le faciès est rouge, congestionné, les pupilles sont dilatées, le pouls est rapide, toutes réactions qui semblent mettre en jeu le sympathique.
4. Phénomènes psychomoteurs. – Enfin, il peut se produire des manifestations compulsionnelles identiques à celles qu’on rencontre chez les liqueurs, notamment des compulsions verbales (mots parasites, jurons, etc.), se glissant à mi-voix à la place de la syllabe à élaborer. Les conditions d’apparition de tous ces troubles sont des traits caractéristiques, bien isolés par Chervin.
Début du bégaiement dans l’enfance.
Intermittence ; aucun bégaiement n’est permanent. Il s’exacerbe quand le sujet porte son attention sur sa propre élocution, quand il se trouve intimidé ou qu’il a le trac. Il est aggravé au cours de certaines grandes crises biologiques : dentition, puberté, menstruation. Il diminue, au contraire, dans les mouvements d’effusion affective, dans les comportements d’abréaction.
Disparition totale dans le chant.
Étiologie et pathogénie : L’apparition du bégaiement se fait, en général, entre 3 et 7 ans, le plus souvent autour de la crise du Moi dès 3 ans. Il est plus fréquent chez les garçons que chez les filles.
Étant donné la complexité des fonctions mises en jeu dans le langage parlé, depuis l’élaboration de la pensée jusqu’aux praxies élocutoires, il n’est pas surprenant que les recherches se soient orientées dans des directions différentes. Nous connaissons actuellement un certain nombre de facteurs dont l’incidence dans la pathogénie du bégaiement se trouve confirmée ; mais il n’est pas possible d’en faire un système univoque.
– L’hérédité est reconnue dans des proportions variant entre 10% (Pichon) et 60-70% (Webpman et Bryngelton); il ne s’agit pas toujours d’hérédité strictement similaire: le bégayeur peut avoir un ancêtre atteint de bredouillement ou d’une autre variété de logopathie.
– Pendant longtemps, on a considéré comme un facteur essentiel l’hyperémotivité et surtout l’incidence d’un choc émotif violent à l’origine du trouble (Chervin). Sans abandonner cette pathogénie, on tend à la diminuer beaucoup: les bègues sont souvent des hyperémotifs, mais leur émotivité peut, pour une bonne part, résulter du bégaiement, des situations infériorisantes et des phobies qu’il engendre. En tout cas, la sympathicotonie semble être particulièrement fréquente (Sovak).
– Plus récemment, on a mis en valeur la fréquence de la gaucherie (Sikorski, Blok, Clairborn, Sachs) et notamment de la gaucherie contrariée (Mme Kowalsky) et de l’insuffisante différenciation droite gauche chez les bègues. Le retard du développement psychomoteur, qu’on constate aussi (aux tests d’Ozeretski, par exemple) est certainement en corrélation avec ces faits. Il s’agit là d’une véritable dyspraxie d’évolution.
– D’autres auteurs (notamment Seeman et son école) envisageant surtout les mécanismes neurovégétatifs et moteurs, invoquent une perturbation fonctionnelle du système strio-pallidal, qui se trouverait bloqué par la tension émotionnelle et déterminerait ainsi les phénomènes hypertoniques et syncinétiques du bégaiement.
– Que1s que soient les mécanismes neurologiques mis en œuvre, il faut certainement une place importante aux facteurs psychogénétiques susceptibles de les installer; les conflits névrotiques familiaux se trouvent très souvent au premier plan. L’enfant subit alors un blocage, voire une arriération affective qui le cantonne dans une attitude de narcissisme et d’inacceptation du réel. Ce sont là, évidemment, des facteurs très généraux, communs à toutes sortes de névroses infantiles (tics, énurésie, etc.); d’autres facteurs, plus spécifiques et peut-être aussi plus organiques, doivent contribuer à localiser la névrose dans le domaine de l’émission verbale.
– Ceux-ci pourraient bien être d’ordre intellectuel; on a pu établir, en effet, que le bègue éprouve une difficulté anormale à «verbaliser» sa pensée, à se la formuler à lui-même dans le moule du langage (insuffisance lingui-spéculative de Pichon). Il peut s’agir soit d’un retard du développement de l’élocution, soit d’un retard intellectuel général. Enfin, des difficultés de verbalisation supplémentaires semblent être suscitées par le bilinguisme dans l’entourage du petit enfant.
– Thérapeutique: Avec Pichon et Mme Borel-Maisonny, on peut distinguer 3 types de méthodes:
1° La méthode phonétique: elle consiste à rééduquer le rythme respiratoire, l’accent, la mélodie, l’écoulement verbal. Les exercices de relâchement musculaire sont particulièrement importants. C’est la méthode la plus courante, celle qu’on applique aux enfants de plus de 7 ans, et aux adolescents.
2° La méthode endophasique s’adresse aux enfants plus jeunes (3 à 7 ans); elle vise à éduquer une pensée claire, à habituer l’enfant à n’exprimer que ce qu’il conçoit nettement, à enrichir ses formules de langage. Cette méthode peut supplanter alors avantageusement tous les exercices phonétiques.
3° Les psychothérapies, et en particulier la psychanalyse, sont indispensables quand le sujet présente des conflits névrotiques importants. Leur succès dépend malheureusement des conditions psychologiques du milieu familial et de nombreux échecs sont dus au fait que l’entourage est opprimant ou exaspérant pour l’enfant.
De toutes façons, le traitement du bégaiement ne saurait être improvisé: c’est l’affaire d’un psychothérapeute averti ou d’un rééducateur spécialement préparé aux techniques du langage. Les meilleurs résultats sont obtenus avant 7 ans, quand la méthode endophasique est fructueuse, ou après 18 ans, quand l’émancipation du milieu familial permet une psychanalyse. C’est entre 10 et 17 ans que les conditions psychologiques sont les plus défavorables.
Th. Kammerer
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