L’apothicaire devenu pharmacien
Le rôle du pharmacien a davantage évolué durant les 30 dernières années qu’au cours des deux siècles précédents.
Par Claude Lafontaine
Jusqu’en 1940 environ, le pharmacien communautaire préparait lui-même ses médicaments, comme l’apothicaire d’autrefois. Ce rôle allait cependant lui être bientôt ravi par l’industrie pharmaceutique.
C’est à partir des années 1950 que celle-ci connut un essor considérable, conséquence de deux événements majeurs qui allaient secouer le milieu pharmaceutique : la découverte de la pénicilline, au début des années 40, puis, au milieu des années 50, celle de la chlorpromazine.
Des produits « miracles »
L’industrie pharmaceutique générait désormais des produits « miracles ». En effet, la pénicilline pouvait tuer un certain nombre de bactéries, spécialement celles responsables de pneumonies souvent mortelles. Quant à la chlorpromazine, elle était capable de redonner aux schizophrènes, même aux plus catatoniques, une excellente capacité de fonctionnement et surtout le goût de vivre. Dans un cas comme dans l’autre, le résultat était loin d’être banal !
L’industrie pharmaceutique remplaça donc graduellement le pharmacien dans son rôle traditionnel de préparateur de médicaments On assista alors à une multiplication effrénée de produits pharmaceutiques de toutes sortes. Quant à l’apothicaire, lui, il se mourait.
La thalidomide
En pharmacie, comme en médecine, la route est parsemée d’embûches et il en sera toujours ainsi. Nous ne devons donc pas être surpris si nous trébuchons de temps à autre.
Justement, au début des années 60, nous avons lourdement trébuché avec l’affaire de la thalidomide. Ce médicament, administré aux femmes enceintes et responsable de malformations chez les nouveaux-nés, est venu jeter une douche froide sur l’enthousiasme, voire la témérité, qui avait prévalu jusque-là dans le milieu pharmaceutique.
La thalidomide allait non seulement inspirer une nouvelle réglementation pour l’industrie pharmaceutique, mais modifier en profondeur la pratique pharmaceutique.
Désormais, avant de mettre sur le marché tout nouveau produit ou nouvelle formule, les compagnies pharmaceutiques se virent forcées de produire un dossier conforme à des exigences sévères en plus d’obtenir un avis officiel de conformité à ces normes.
La renaissance du pharmacien
Au Québec, c’est justement dans le sillage de la thalidomide qu’est née la pharmacieclinique. Nous devons son évolution à un ensemble de décisions importantes prises à divers niveaux. D’abord, dès 1962, la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal et l’École de pharmacie de l’Université Laval apportèrent des changements majeurs à leurs programmes d’études.
En juin 1972, le ministère de la Santé et des Services sociaux décida d’assumer le coût des médicaments des citoyens les plus démunis et inscrits au programme d’aide du Bien-Être social. Il signa alors sa première entente exclusive avec l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires.
En 1974, le gouvernement du Québec confia à son ministère de l’Éducation la création d’un Office des professions ayant pour fonction de veiller à ce que chaque corporation assure la protection du public. En même temps, l’Assemblée législative révisait la loi de chacune des corporations professionnelles, avec l’objectif de prévenir les conflits d’intérêts. Il fut alors clairement établi que les médecins n’étaient pas autorisés à vendre des médicaments.

L’ordonnance
À la même époque, la Loi sur la pharmacie redéfinit la notion d’ordonnance. Au Québec, l’ordonnance médicale rédigée par le médecin n’est pas un ordre donné à un patient de consommer tel ou tel médicament, pas plus qu’un ordre donné à un pharmacien de fournir le médicament en question à ce patient.
L’ordonnance médicale constitue le moyen que le législateur met à la disposition du médecin ou du dentiste pour qu’il puisse recommander à son patient le traitement le plus approprié à la maladie ou à l’affection qu’il vient de diagnostiquer chez lui. La loi autorise également les pharmaciens du Québec à substituer un médicament à un autre, à condition d’en aviser le patient et de l’inscrire à son dossier.
En pratique, il n’est pas rare qu’un patient consulte différents médecins, généralistes et spécialistes, ou qu’il se procure de temps à autre des médicaments en vente libre. Les risques que ce patient consomme un médicament contre-indiqué ou qu’il le consomme de la mauvaise façon sont élevés. C’est pour cette raison que le législateur québécois, soucieux de la santé des citoyens, a jugé essentielle la constitution du dossier-patient.
En 1973, le ministère de la Santé et des Services sociaux reconnut le principe de rémunérer le pharmacien pour un refus justifié de remplir une ordonnance. En 1978, il consentit à payer un honoraire au pharmacien, chaque fois que celui-ci émettrait une opinion pharmaceutique.
Il s’agit d’un avis motivé d’un pharmacien portant sur l’histoire médicamenteuse d’une personne, ou sur la valeur thérapeutique d’un traitement médicamenteux prescrit. Cette opinion pharmaceutique porte notamment sur les interactions médicamenteuses, les incompatibilités, les contre-indications, l’infidélité au traitement, la sous ou la sur-consommation, et l’utilisation concomitante de plusieurs médicaments prescrits par plus d’un prescripteur.
Désormais, le service pharmaceutique est totalement distinct du produit distribué. L’importance de la constitution et de la consultation du dossier patient, les interventions qui s’ensuivent et l’information au patient prennent nettement le dessus sur la préparation et la distribution.
Les nouveaux rôles du pharmacien
Pour être l’expert du médicament et assumer pleinement sa responsabilité professionnelle, le pharmacien doit maintenant agir comme moniteur et conseiller auprès de ses patients, exercer un rôle de consultant auprès des médecins et des autres professionnels de la santé et, finalement, contribuera l’éducation du public.
Son rôle de moniteur, le pharmacien l’exerce afin que toute personne ne prenne que les médicaments que son état particulier l’autorise à prendre, et uniquement s’ils sont compatibles avec ceux qu’elle prend déjà. Pour bien assumer ce rôle, il tient obligatoirement un dossier sur chacun de ses patients et en assure la mise à jour. Le dossier patient doit comprendre un minimum d’informations, notamment l’âge et le sexe, les médicaments que le patient consomme régulièrement, ses allergies ou intolérances médicamenteuses connues, et, dans le cas d’une femme, le fait d’être enceinte ou d’allaiter.
Grâce à la mise à jour du dossier, le pharmacien peut déceler les contre-indications et les interactions tandis qu’il en est encore temps, et il peut informer son patient sur la manière la plus appropriée pour lui de prendre son médicament.
Conseiller, consultant, éducateur
Le pharmacien joue aussi un rôle de conseiller afin que toute personne qui s’apprête à consommer un médicament reçoive préalablement suffisamment d’information pour être motivée à observer fidèlement la prescription de son médecin.
Pour ce faire, le pharmacien s’assure que le consommateur comprend parfaitement le but de sa médication. Il lui fournit des instructions complètes quant au mode d’emploi de son médicament, et il prend les moyens nécessaires pour que ses instructions restent comprises tout le temps que durera le traitement.
Le pharmacien est également un consultant. En effet, les médecins, les infirmières et les autres intervenants en soins de santé s’adressent de plus en plus souvent au pharmacien lorsqu’un patient éprouve des effets secondaires, ou encore afin de vérifier si tel médicament peut être pris en même temps que tel autre, etc. Le pharmacien est maintenant la personne-ressource pour toute question concernant les médicaments.
Le pharmacien doit enfin éduquer le public, tel que le précise le Code de déontologie. Il doit mettre en garde sa clientèle contre ce qui est le plus susceptible de nuire à sa santé et la conseiller sur les moyens à prendre pour la conserver, voire même l’améliorer. Le pharmacien contribue à l’éducation des consommateurs sur la manière de mieux contrôler leur poids, leur tension artérielle, leur glycémie, etc. Il contribue également à sensibiliser le public sur les dangers des drogues, sur les conséquences des maladies transmises sexuellement et surtout sur les moyens de les prévenir.
En conclusion, la pratique de la pharmacie québécoise est sans contredit en pleine évolution. L’emphase n’est plus mise sur le produit mais sur le service pharmaceutique. Le pharmacien est maintenant le spécialiste du médicament et son rôle au sein de l’équipe multidisciplinaire des professionnels de la santé doit essentiellement viser l’optimisation de la thérapie médicamenteuse.
Par Claude Lafontaine, pharmacien et président de l’Ordre des pharmaciens du Québec. Article paru dans Les Diplômés, N° 367, automne 1989.