Sante

L’alimentation de l’humanité

L’alimentation de l’humanité

L’alimentation de l’humanité –  Aspect écologique du problème

Le problème de la faim dans le monde constitue probablement le plus grand défi que nous ayons à relever actuellement. Deux hommes sur trois ne mangent pas à leur faim. Cette phrase, nous l’avons entendue de nombreuses fois et d’autres cris d’alarme viennent de plus en plus souvent ébranler nos sentiments humanitaires.

Devant une telle situation, il ne suffit pas de s’émouvoir; il faut surtout tenter d’étudier toutes les facettes de cet immense problème pour ensuite essayer d’entrevoir les possibilités de solutions.

Dans cet article, nous ne considérerons que le point de vue « écologique » de l’alimentation de l’humanité.

Nous savons que l’écologie est la science biologique qui étudie un organisme dans ses rapports avec les autres vivants et avec les êtres non vivants qui l’entourent. En d’autres mots, cette science étudie l’être vivant en tenant compte du fait qu’un organisme n’est jamais isolé dans la nature, qu’il est toujours rattaché par certains liens aux êtres environnants, vivants ou non.

1— Qu’est-ce que se nourrir?

Tous les vivants se nourrissent, c’est-à-dire qu’ils prennent dans le milieu ambiant divers matériaux et les transforment en leur propre substance vivante. Ces matériaux enlevés par les vivants à la nature qui les entoure deviennent des aliments et servent à la construction et à l’entretien de l’organisme. Se nourrir, c’est donc dérober quelque chose à son entourage et s’en servir pour maintenir sa propre vie. L’alimentation implique ainsi une dépendance de l’organisme à l’égard du milieu qui l’entoure. Un organisme, l’Homme par exemple, ne survit qu’en dérobant ses aliments autour de lui.

2— Les modes de nutrition dans la nature

Nous observons dans la nature deux grands modes de nutrition ou, si l’on veut, deux manières tout à fait différentes qu’ont les organismes d’utiliser les matériaux environnants comme aliments:

a) L’autotrophie, qui se rencontre chez les plantes vertes (et aussi chez certaines bactéries), est un mode de nutrition qui consiste à se nourrir uniquement de substances minérales comme l’eau, le gaz carbonique, les nitrates, les sels ammoniacaux, etc. La plante verte peut, grâce à sa chlorophylle, capter l’énergie lumineuse solaire et la mettre en réserve sous forme d’énergie chimique. Cette opération se nomme la photosynthèse.

Au cours de la photosynthèse l’énergie chimique est emmagasinée dans des substances organiques complexes que la plante synthétise à partir des éléments minéraux. Les végétaux clorophylliens possèdent ainsi une dépendance uniquement à l’égard du monde minéral: ils peuvent fabriquer leur nouvelle matière vivante en absorbant exclusivement des aliments minéraux et en puisant leur énergie de fabrication à même les radiations lumineuses solaires. La plante verte n’a donc pas besoin d’un autre vivant pour préparer les matériaux de son alimentation; elle est « autotrophe » (des mots grecs autos, soi-même, et trophein, se nourrir).

b) L’hétérotrophie, deuxième mode de dépendance des organismes dans leur nutrition, se rencontre chez tous les animaux et les plantes non chlorophylliennes (les champignons et la plupart des bactéries). Elle est un mode de nutrition impliquant la présence obligatoire de substances organiques (protéines, sucres, graisses) dans les aliments. Or une substance organique est une substance chimique complexe fabriquée par un être vivant (Depuis l’avènement des substances organiques de fabrication artificielle, on définit ces substances par la présence de chaînes d’atomes de carbone dans leur molécule, plutôt que par le fait qu’elles soient habituellement synthétisées par des « organismes »), un « organisme » d’où le nom de « substance organique ». Elle est constituée de chaînes d’atomes de carbone réunis par des liens chimiques où se trouvent emmagasinées des quantités importantes d’énergie. Cette énergie provient en dernier lieu de l’énergie lumineuse solaire qu’une plante a recueillie précédemment et qu’elle a accumulée dans ces liaisons chimiques. Une substance organique est ainsi une sorte de « comprimé d’énergie solaire ».

L’organisme hétérotrophe doit donc recevoir dans ses aliments ces comprimés d’énergie solaire préfabriqués par les plantes chlorophylliennes; il ne peut les fabriquer lui-même. Il a absolument besoin d’un autotrophe pour lui préparer les matériaux de son alimentation. L’autotrophe est vraiment le fabriquant des substances organiques; l’hétérotrophe ne fait que les utiliser en les transformant à son profit (hétéros, autre; trophein, se nourrir) : il est un consommateur alors que l’autotrophe est un producteur.

3— La chaîne alimentaire

La vie qui s’installe une première fois dans un désert doit donc nécessairement débuter par la vie autotrophe. L’autotrophe est le pionnier, le premier « défricheur » du monde minéral lorsqu’il s’agit d’y implanter une nouvelle vie. L’hétérotrophe ne vient qu’en second; il ne peut subsister sans l’autotrophe. En d’autres mots, l’hétérotrophe pour survivre doit détruire d’autres vivants, alors que l’autotrophe se suffit d’éléments minéraux.

Parmi les hétérotrophes, on compte deux groupes: les herbivores qui se nourrissent de plantes et les carnivores qui mangent les herbivores ou qui se mangent entre eux. Nous savons par exemple, que le loup mange le chevreuil, que le renard mange les lièvres ou les poules, que le hibou chasse les campagnols (mulots), que les grenouilles et certains oiseaux dévorent beaucoup d’insectes. Dans ces exemples, chevreuil, lièvres, poules, campagnols et beaucoup d’insectes sont herbivores, alors que loup, renard, hibou, grenouilles et certains oiseaux sont carnivores.

On peut ainsi parler d’une chaîne alimentaire toujours construite sur le même modèle: monfr minéral – autotrophes – hétérotrophes herbivores —> hétérotrophes carnivores. Ou, si l’on pense à l’Homme comme point d’arrivée de cette chaîne alimentaire, le schéma devient le suivant : monde minéral – plantes vertes – animaux – homme.

4 — La pyramide alimentaire

La chaîne des carnivores peut même s’allonger et comporter trois ou quatre maillons. Par exemple, le hareng en se nourrissant de zooplancton est habituellement un carnivore primaire; il peut être mangé par une morue, un Fou de Bassan ou un phoque. Le phoque et la morue peuvent être mangés à leur tour par un requin ou par l’Homme qui deviennent dans ce cas des carnivores tertiaires.

Or, pour comprendre les problèmes d’alimentation d’une espèce vivante donnée, il est important de savoir que plus la chaîne alimentaire s’allonge, plus la quantité de nourriture disponible au bout de cette chaîne devient restreinte.

Ceci se comprend facilement puisque chaque organisme qui entre dans la chaîne dépense une grande partie de sa nourriture comme combustible pour produire l’énergie servant à maintenir ses activités vitales. La nourriture ainsi dissipée en énergie (calorifique, mécanique, etc.) ne peut servir à construire la matière vivante de cet organisme, ce qui réduit d’autant la quantité de nourriture disponible pour les autres hétérotrophes de la chaîne qui viendront après lui. On exprime souvent ce phénomène en parlant de pyramide alimentaire plutôt que de « chaine alimentaire », montrant bien par là la diminution progressive de la quantité de nourriture disponible à mesure qu’une espèce se rapproche du bout de la chaîne alimentaire.

Or le point capital à retenir dans l’alimentation de l’humanité est que l’Homme est un hétérotrophe.

Ceci veut dire qu’il dépend en définitive des plantes vertes pour se nourrir. Et de plus, comme il est souvent un carnivore et pas toujours un carnivore primaire, cela signifie également que la quantité de nourriture dont il dispose n’est pas illimitée. De plus, pour assurer sa survie, l’Homme devra toujours veiller à ce que les étages de la pyramide d’où il tire sa nourriture représentent une quantité d’aliments plus grande que la masse de substances organiques que constitue sa propre population. Autrement, c’est le renversement de la pyramide alimentaire, c’est-à-dire la « famine ».

5— L’équilibre et la conservation de la nature

Cet équilibre de la pyramide alimentaire doit exister sans doute à l’échelle mondiale, mais aussi à l’échelle nationale ou tout au moins à l’échelle d’un même continent, sinon l’équilibre alimentaire mondial lui-même sera précaire.

L’Homme doit, dans beaucoup de régions, s’ingénier à améliorer ses moyens actuels de production d’aliments (aménagement des terres arables, fertilisation et irrigation des sols, intensification de la pêche, meilleur équilibre entre les productions animales et végétales, etc.) et inventerde nouvelles sources d’aliments (levures, farine de poisson, aquiculture, protéines provenant du pétrole, plancton, photosynthèse artificielle, etc.).

L’Homme en s’alimentant doit cependant toujours se rappeler que, s’il a le pouvoir d’aménager la nature et de la transformer pour lui faire produire davantage, il n’a pas le pouvoir de fabriquer lui-même les premières molécules organiques, ces « comprimés d’énergie solaire » dont dépend en dernière analyse sa survie. Il doit donc pour assurer sa propre conservation, travailler à la conservation de la nature vivante.

Et comme chez les vivants tout est indépendant, tout se tient- il doit étudier cette nature et ses exigences pour ne pas modifier aveuglément un facteur qui pourrait détruire l’équilibre biologique d’une région.

On connaît un grand nombre de cas de ces ruptures d’équilibre biologique: élimination radicale d’une espèce, introduction massive d’une autre espèce, utilisation irraisonnable de produits chimiques (insecticides, herbicides), pollution des eaux par les déchets industriels et par ceux de la navigation, abattage complet des forêts, etc. Si l’amélioration de la production alimentaire est le premier souci des scientifiques et des techniciens de l’alimentation (nutritionnistes, agronomes, biologistes, etc.), la conservation de la nature (protection des forêts et du gibier, assainissement des eaux, etc.) doit être la préoccupation de tous; la survivance même de l’humanité en dépend.

Références

  • DUMONT, René. Nous allons à la famine, Seuil, Paris, 1967. Alerte à la famine, numéro spécial de « Croissance des Jeunes Nations », mars 1966.
  • MOISAN, Gaston. L’écologie, une science en progrès, « Le Jeune Scientifique », vol. 5, no 3, déc. 1966, pp. 64-68.

Autres lectures suggérées :

  • BOURLIERE, F. et M. LAMOTTE. L’écologie et la faim du monde, revue « Atomes », décembre 1967.
  • CARSON, Rachel. Printemps silencieux, Plon, Paris, 1963.
  • LERY, François. L’alimentation, Seuil, Paris, coll. Le Rayon de la Science, 1962.
  • PRAT, Henri. L’Homme et le sol, Gallimard, Paris, coll. Géographie humaine, 1949.

Par Gérard Drainville, Revue « Le Jeune Scientifique« , octobre 1968.

Alimentation qui n’est pas saine… Photographie de GrandQuebec.com.

1 commentaire

  1. Nicole dit :

    C’était écrit en 1968, depuis la population a pratiquement doublé pour atteindre 7 milliards en 2021. La quantité de la nourriture engloutie est inimaginable.

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