Gouffre de la mort : Entre 25 et 30 victimes – 35 maisons sont emportées – Un trou de 150 pieds sur 1/2 mille
Kénogami, gouffre de la mort. Un cataclysme aussi soudain que meurtrier a plongé le paisible de Saint-Jean-Vianney de Shipshaw dans la stupeur, hier soir (4 mai 1971), alors que 35 maisons sur un total de 70 ont été englouties dans une mer de boue. Bien que les fouilles soient à peine commencées on craint que le nombre de victimes dépasse 25 ou 30 (Note: en fait, la tragédie a causé 31 pertes de vie).
C’est vers 11 heures, hier soir, que le sol s’est ouvert soudainement, entraînant dans un immense cratère de 150 pieds de profondeur et 100 de large, environ 35 maisons, la plupart récemment construites.
Un certain nombre de maisons sont demeurées juchées sur les bords de la falaise, dans un équilibre précaire.
Un porte-parole de la police de Kénogami, l’agent Paul Rousseau, a informé cette nuit que de 50 à 75 familles ont dû sortir en toute hâte de leur foyer menacé par le glissement de terrain.
La première alerte a été donnée par des voisines qui ont réclamé l’aide de la Sûreté du Québec, détachements de Saint-Ambroise et de Chicoutimi.
Dépêchés immédiatement sur les lieux, les agents se sont mis en communication avec la base militaire de Bagotville qui a envoyé deux hélicoptères en reconnaissance.
Les premiers sauveteurs arrivés sur les lieux, ainsi que les résidents indemnes du secteur sinistré, ont déclaré avoir entendu des cris d’angoisse, de détresse et d’appels au secours, provenant des maisons qui s’engouffraient dans cette mer de boue.
Sur un pied d’alerte
En en temps record, tous les services de police des municipalités avoisinantes (notamment, Chicoutimi, Jonquière, Kénogami et Arvida), ainsi que la Protection civile et la Croix-Rouge étaient sur un pied d’alerte, prêts à organiser les mesures de secours pour les victimes.
À 7 heures ce matin, un porte-parole de la police de Kénogami rapportait qu’on dénombrait 23 personnes manquant à l’appel. D’autres rapports estiment que le nombre de victimes pourrait atteindre la cinquantaine.
On ne sait pas si des automobilistes circulaient dans le secteur sinistré au moment du désastre. On craint toutefois que quelques voitures aient été sur les lieux, étant donné que les employés de l’équipe de nuit de l’ALCAN se rendent à leur travail à cette heure-là.
Un groupe d’employés de l’ALCAN l’a échappé belle: l’autobus qui les transportait a dégringolé dans le cratère. Les nombreux occupants ont tout juste eu le temps de sortir du véhicule et de se rendre en lieu sûr.
On se perd en conjectures sur l’origine du cataclysme. L’hypothèse la plus fréquemment invoquée, cette nuit, voudrait que l’effondrement serait dû à la formation d’un lac artificiel, en profondeur, sous l’emplacement de ce nouveau secteur résidentiel.
Ce phénomène serait dû au gonflement des eaux de la rivière Shipshaw, qui coule à l’est du secteur sinistré.
Saint-Jean-Vianney, qui compte une population de 2,600 personnes, est située à 12 milles, au nord-ouest de Chicoutimi et non loin, également, de Kénogami et d’Arvida.
Soirée paisible
« Les gens étaient bien à l’aise devant leur télévision et regardaient la partie de hockey (Canadien-Chicago) », a rapporté l’agent Rousseau, « quand tout à coup la grande noirceur s’est faite et la panique a pris! »
Selon le policier « c’est comme si l’enfer s’était ouvert… les flammes en moins ».
Tous les sans-foyer ont trouvé refuge pour la nuit, qui chez des parents, qui chez des voisins, qui, enfin, dans la salle municipale de Kénogami, transformée en centre de premiers soins.
Les blessures corporelles, au dire de la police, ne sont pas nombreuses, mais les chocs nerveux ne se comptent pas.
De plus, il a été impossible durant la nuit, malgré les puissants faisceaux lumineux que l’on a amenés sur place, de sonder les maisons complètement englouties, dans l’espoir de plus en plus lointain qu’il s’y trouverait encore quelque vie.
On se sent aussi impuissant, sur le coup, que devant le coulage d’un sous-marin.
Le désastre a entraîné une panne d’électricité, l’effondrement de la route qui conduit à Chicoutimi et la disparition du pont des Terres Rompues qui relie les parties est et ouest de la route, à proximité de la petite rivière aux Vases.
À la pointe du jour, les secours affluaient sur les lieux du sinistre.
Historique des glissements de terrain au Québec
Quand un sol meuble repose sur des couches imperméables, comme de l’argile ou du granit, par exemple, il peut se produire, après de fortes pluies ou une secousse sismique, un glissement de terrain. Les spécialistes pourront alors parler de loupes de solifluxion.
Un peu à l’ouest de la ville de Saguenay, on appelle les Terres-Rompues un hameau de résidences d’été où ont eu lieu de tels glissements. Un phénomène similaire a déjà emporté dans la rivière, le 4 mai 1971, 35 des 70 maisons de Saint-Jean-Vianney. 31 personnes y ont perdu la vie. En décembre de la même année, le village a fermé. On y a interdit tout développement résidentiel.
Les effets d’un glissement de terrain à Nicolet avaient fait la manchette le 12 novembre 1955. Presque tout le centre-ville, dont l’évêché, le palais épiscopal, un poste d’essence, le collège des frères et des maisons en a souffert l’effet. Le glissement de terrain le avait entraîné dans la rivière. Il a fallu démolir la cathédrale par la suite. Trois personnes en meurent. En dix minutes, près de 250 mètres cubes de terre ont rejoint la Nicolet. Ils ont créé un cratère de 12 mètres de profondeur et de 200 mètres de longueur.
La chronique a retenu quelques autres glissements de terrain.
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Le 17 mai 1841, une catastrophe a détruit neuf maisons et a tué 39 personnes. Dans l’occasion le glissement aspiré vers le bas la rue du Petit-Champlain à Québec. Au matin du 27 avril 1908, à Saint-Alban, dans Portneuf, la journée s’annonçait calme ; tout à coup, le sol a perdu ses assis.
Le glissement de terrain a alors charrié près de deux milliards de mètres cubes de terre, soit 70 fois le Stade olympique de Montréal. Le phénomène a emporté le moulin Gorry, huit fermes, une étable et une érablière. Ainsi que les ponts de Saint-Alban et de Saint-Casimir. Pour venir en aide aux familles sinistrées, un prêtre, Frédéric de Ghyvelde, a écrit et diffusé une brochure intitulée Les 14 naufrages de St-Alban et La Bonne Sainte Anne ou Récit de la catastrophe du 27 avril 1894, avec le portrait des 14 naufragés.
Le 26 avril 1908, un glissement de terrain de plus grande ampleur s’est produit à Notre-Dame-de-la-Salette, dans la vallée de la Lièvre en Outaouais.
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Le glissement des couches argileuses a fait disparaître dans son mouvement plusieurs maisons et bâtiments. Il a causé la mort de 34 personnes, dont plusieurs enfants. On n’a jamais retrouvé dix corps. Le 23 juin 2010, le village a connu un autre glissement de terrain. On a évacué alors cinq résidences. On a interdit des routes à la circulation automobile.
Cinq semaines auparavant, le 11 mai 2010, la terre a glissé vers la rivière Salvail à Saint-Jude, en Montérégie. Les sauveteurs ont découvert dans les ruines les corps sans vie d’un couple. Ainsi que de ses deux filles. Le glissement de terrain a laissé un grand cratère. Il a aval. trois voitures et un tronçon de route asphaltée.
Soulignons que les autorités ont identifié toutes les zones de glissement de terrain sur des cartes. Cela par obligation gouvernementale.