La Route des Ponts et des Moulins
Au sortir de la Réserve faunique des Laurentides, la rivière Jacques-Cartier gagne en prestige culturel ce qu’elle perd en majesté. Les falaises font place à des méandres et à des cascades, à des ponts et à des villages où la rivière sinue à travers l’histoire.
Bien que soit vivace la présence multiséculaire des Amérindiens, on ne peut parler d’occupation coloniale de la région avant les années 1800 et l’arrivée des immigrants anglais, irlandais et écossais attirés par les forêts et par la production de bois.
Des villages comme Tewkesbury et Shannon commémorent ce passé haut en couleur qui continue d’imprégner la région. En amont, la rivière fait son entrée à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, effleur la station Duchesnay et, après moult zigzags, arrose Pont-Rouge don le développement est étroitement lié au sien.
Les berges rapprochées de la rivière à Pont-Rouge imposèrent à la fin du XVIIIe siècle l’emplacement du pont chargé de faciliter le transport hasardeux entre Québec et Trois-Rivières. Un premier pont de maçconnerie s’écroule en 1798; il est remplacé en 1804 par un ouvrage en bois dont les frais de construction seront amortis par l’installation d’un poste de péage.
Le pont Royal, aujourd’hui appelé pont Déry, doit être reconstruit à plusieurs reprises car son armature résiste mal aux lourdes charges. Entre 1812 et 1814, durant la guerre entre l’Angleterre et les États-Unis, les troupes et les convois en route vers Montréal défilent sur le pont, où passent aussi les diligences qui livrent le courrier entre Montréal et Québec. Les habitants de Pont-Rouge, excédés par les tarifs exigés d’eux, érigent en 1825 un autre pont près du village, qui devient le pont Rouge en 1838. Ce dernier relie d’est en ouest la rue Dupont, nommée en l’honneur d’un curé et non par allusion à sa situation géographique.

Le secteur du pont Déry, dont on peut encore observer le poste de péage, est historiquement renommé pour la pêche au saumon. Les poissons se reposent dans des fosses sous le pont avant d’affronter les chutes successives. On sait que les premiers censitaires canadiens appréciaient au plus haut point la pêche au saumon, si hautement que le seigneur de Neuville l’interdit dès 1786, se réservent d’octroyer les permis de pêche lui-même moyennant redevances. Plus tard, la maison de péage, hébergera des militaires abglais s’adonnant à la pêche sportive. En 1818, au moment d’être constitué en réserve exclusive, l’endroit devient le site de l’un des premiers clubs privés de pêche au saumon consacré à la préservation de la faune et à l’exploitation limitée du potentiel local.
On accorde à la rivière de Jacques-Cartier le privilège d’une participation aux premières expériences de pisciculture réalisées en 1857. Le surintendant des pêcheries a aménagé un aquarium dans une maison de la rue Saint-Ursule, dans la ville de Québec, où l’on assista à l’éclosion des œufs de truites et de saumons prélévés dans la rivière. Quoi qu’il soit advenu de l’expérience, c’est la construction du barrage de Pont-Rouge qui mettra fin à la montaison du saumon dans la Jaques-Cartier. En 1977, un comité local décide de la restaurer à l’aide d’un programme de traitement des eaux, d’ensemencement et de passes migratoires.
Après l’abolition du régime seigneurial, au milieu du XIXe siècle, et à la fin des activitiés du moulin de la Dalle en contrebas du pont Déry, nombre de commerçants industriels optent pour l’exploitation de moulins à eux. Le moulin Marcoux est érigé donc en 1870 près du pont Rouge par un maître maçon de Cap-Santé, le constructeur de l’église de Pont-Rouge. La pierre calcalire de la rivière sert à façonner les murs et le moulin est doté d’une roue à aubes. Le décès du maçon, en 1872, ajouté à la dette accumulée entraînent la saisie du moulin puis la vente à l’encan de l’édfice. Trois propriétaires plus tard, Joseph-David Marcoux se porte acquéreur du bâtiment, en 1885. La compagnie Birds & Sons et la Donnacona paper en prennent possission successivement en 1912 et en 1926.
Après la première guerre mondiale, le moulin Marcoux est utilisé comme salle de spectacles et de cinéma; il sera rapidement converti, par souci de l’ordre social, en entrêpot et en atelier de menuiserie.
En 1974, la compagnie Domtar en fait cadeau à la Corporation du moulin Marcoux en vue d’une restauration qui le transformera en centre d’arts sux ans après. Aujourd’hui, le bâtiment patrimonial ne conserve que peu de traces visibles de son histoire, sinon dans les plafonds et les foyers; mais elles témoignent toujours d’une époque où de nombreux moulins à farine se dressaient le long de la Jacques-Cartier.
(Source : Rivières du Québec, Découverte d’une richesse patrimoniale et naturelle. Par Annie Mercier et Jean-François Hamel. Les éditions de l’Homme, une division du groupe Sogides).
