Histoire naturelle du Québec
Par monts et par vaux
par Fernand Corminbœuf
Durant la saison estivale nos citadins filent en grand nombre vers les lieux qu’attire l’élément liquide. Notre Finistère est de plus en plus fréquenté par les amateurs de la belle Nature, par les gens fatigués en quête de repos ou de divertissement à leur soucieuse existence. Plusieurs même franchissent la Baie de Chaleur, font une halte sur les plages ensoleillées de Paspébiac et vont saluer, au retour, les lieux enchanteurs du pays d’Evangéline.
La visite des parcs nationaux d’Annapolis, d’Amherst ou de Louisbourg remet sous leurs yeux, qui ne désirent que voir, un magnifique tableau d’Histoire Naturelle ainsi qu’une page émouvante d’une héroïque histoire. Ce double contact, on ne saurait trop le recommander et le favoriser. Il procure, outre les avantages physiques du séjour à la campagne, la joie intellectuelle qui s’allie à la connaissance, et l’émotion que suscitent les réminiscences d’une tragique épopée.
Joie silencieuse et profonde qui porte à la méditation et donne le sens du mystère ou le vertige des hautes cimes ; émotion qui fait tressaillir l’âme sensible à l’effort et aux aspirations de tout un peuple !
Mais quiconque désire s’abreuver aux sources de l’Histoire Naturelle doit, autant que possible, ne pas être pressé. Il lui est nécessaire d’abandonner sa voiture et de parcourir la campagne en visitant, s’il s’intéresse au règne minerai par exemple, les falaises, les grottes, les bastions, les flancs de coteaux, les arcs-boutant des montagnes russes, etc.
Pour ceux de nos lecteurs qui n’auraient pas eu le loisir de déambuler par monts et par vaux ou de donner suite à leurs méditations, voici une courte esquisse des mouvements et de la vie de ce coin de terre au visage ridé, figure d’une région accidentée où les hauteurs boisées succèdent aux fertiles vallées, les crans dénudés aux vais ondulants de verdure.
Le relief et la végétation y conjuguent des scènes de toute beauté comme seuls, les poètes et les peintres en savent décrire. Y a-t-il chose plus séduisante qu’un crépuscule à la Grande-Vallée, qu’un clair de lune sur la Baie de Chaleur, qu’un lever de soleil sur les murailles de Percé? Je vous le demande !
Et pourtant, cette diversité du relief qui engendre les mille-et-un caprices du pays age, pour être plus apparente que réelle, cache néanmoins de l’unité : empreinte de causes profondes dans l’espace, lointaines dans le temps, qui devaient faire surgir un peuple de montagnes, là, où il n’y avait que des abîmes d’eau. Car rien ne procède du hasard dans la Nature, aussi capricieux qu’en puisse paraître le résultat. Nul effet sans cause non plus. Mais au contraire celui-là est conditionné par celle-c!. Et c’est pourquoi les montagnes qu’on appelle « Appalaches » n’ont rien de commun avec les Rocheuses, ni même avec les Laurentides, cependant, tout proches.
Cette unité des Appalaches se découvre facilement. Les ondulations du terrain informent des assises sédimentaires plissées, aux lignes de crêtes parallèles, tel un tapis que l’on refoule sur une table, tel un réseau de vagues qui déferlent sur le rivage. Oui, de gigantesques vagues… maintenant figées, immobiles !
Ce caractère appartient en propre au système appalachien. Il se retrouve partout dans l’immense district montagneux qui s’étend entre l’embouchure du St-Laurent et la dépression de l’Alabama sur une distance de quelque 1200 milles. Et, en effet, les Alléghanys, les chaînes acadiennes, nos montagnes du Témiscouata, de la Gaspésie, des Iles de la Madeleine ont même structure, même orientation générale, même origine ; bref, elles ont une commune histoire.
Une histoire dont le début semble remonter à 400 ou 500 millions d’années. Nombre fabuleux à l’échelle d’une vie humaine ! Ce que nous savons des lointaines origines des Appalaches, c’est à la science des fossiles surtout que nous le devons.
Science bien audacieuse, s’il en est une, qui sans cesse se penche sur les abîmes de la durée, sur l’océan des âges. Et par elle, pour emprunter les phrases de Pierre Termier, « nous verrons devant nous le prodigieux écoulement des millénaires, nous prêterons l’oreille au murmure des périodes qui se hâtent vers le gouffre, au bruit lointain des multitudes vivantes qui passent et des choses inanimées qui croulent: nous comprendrons alors, peut-être, les paroles de l’Apôtre : « que mille ans devant Dieu ne sont pas plus qu’un jour ».
Cette histoire, presque aussi vieille que la terre, ne pourra guère se raconter, ici, qu’au débit de 100 millions d’années à la minute. Ainsi, vers le début du Paléozoïque des mouvements de terrains se produisent qui, par plissements successifs, engendrent tout un système de montagnes. Logiquement, il s’ensuit un recul de la mer cambrienne, des éruptions volcaniques, des fractures de terrain.
Bref, tout l’Est du continent s’ébranle et devient le siège d’une révolution formidable. Les terres nouvellement exondées avec leurs divers accidents entrent désormais dans le cycle des transformations subaériennes qui tend toujours vers le même équilibre : le nivellement. Mais cet état d’équilibre est-il à peine atteint que déjà la région est de nouveau profondément bouleversée, tandis que les volcans viennent envahir les terrains de leurs produits liquides ou gazeux. Telle est, semble-t-il, l’origine des roches cristallines de St-Georges de Beauce, du Petit-Mégantic, par exemple, et la plupart du minerai des cantons de l’Est et de la péninsule gaspésienne.
Cependant, l’histoire des Appalaches ne s’arrête pas là. Une troisième période de convulsions, telle une danse macabre sous le flambeau des volcans, élèvera leurs cimes à la hauteur des citrus. Si elles furent un jour aussi hautes que les Rocheuses, n’oublions pas que ce jour est lointain, car les Appalaches sont beaucoup plus vieilles que les montagnes de l’Ouest. Le visage actuel des Alléghanys et de leurs prolongements dans le Québec, dont l’altitude est plutôt faible, mille pieds en général, représente l’œuvre érosive de l’eau et des glaciers.
Quand on examine le modelé du terrain, en chaque point se révèle l’action conjointe de l’eau et des glaces continentales. Ici des protubérances arrondies, là des alluvions, ailleurs des dépôts glaciaires. Tenez, par exemple, les cantons de l’Est. Les collines y sont usées, offrant à la vue des anticlinaux tronqués, qui émergent ça et là du manteau de drift. Plus loin, dans le Bas St-Laurent, le grand plateau central, qui domine les terres – basses de l’estuaire, consiste en un placage morainique grossier sur la majeure partie de son étendue.
Et, poursuivant notre route vers le Nord-Est… la Gaspésie : vaste péninsule que l’on atteint en franchissant le large sillon de la Matapédia. On y distingue, à première vue, une terrasse basse formant la bordure côtière du fleuve. Bande étroite de sédiments libres q’ue baigne la marée montante.
Elle repose sur la table d’abrasion du stage Micmac et s’appuie contre un plateau inférieur qui s’allie à l’axe montagneux des Chic-Chocks, au Sud. Large de neuf à douze milles, ce plateau se compose d’étendues plaines interfluviatiles. On y peut voir de nombreuses vallées profondes, encaissées, tributaires du fleuve en générai, et dont les embouchures forment de véritables deltas. La plus importante est celle qu’arrose la Matapédia, où les moraines, les kames en particulier, et les alluvions de l’époque Champlain se disputent le relief et la fertilité du sol. Dans Gaspé, le plateau s’incline en pente douce vers le Sud et porte de profondes indentations sur sa bordure atlantique.
C’est ainsi que se dessinent la baie de Gaspé avec les dépressions des rivières Darmouth, York et St-Jean ; la Malbaie, caractéristique par son immense barachois ; l’anse du Cap et l’importante langue du Grand-Pabos.
Dans Bonaventure, la plus grande partie de la zone habitée appartient à la seconde pénéplaine. et compte ainsi des formations géologiques nombreuses et variées. Toutefois les roches forment le sous-sol des districts agricoles de New-Carlisle à Carleton – que domine le pittoresque Tracadigash – et celui de la presqu’île de Miguasha, renommée pour ses fossiles de placodermes dévoniens. Enfin, des sédiments calcaires et argilacés contournent la baie de Port-Daniel, tandis qu’un diluvium profond, mêlés à des matériaux de transport récents, occupe le fond des vallées qui découpent le plateau inférieur entre Carleton et l’embouchure de la Ristigouche.
Enfin, beaucoup plus loin, à quelque 1 50 milles au large de Gaspé, émerge, telle une marcotte, le tronçon le plus septentrional des Appalaches canadiennes. C’est l’archipel des îles de la Madeleine.
Ces fragments insulaires au nombre de neuf, sont pour la plupart reliés entre eux à marée basse. On y distingue des terres hautes – les seules intéressantes pour l’agriculture – des cordons de sable ou dunes et des prairies submergées. Des dômes plus ou moins grands surgissent ça et là des hautes-terres, et leurs contours arrondis, généralement symétriques par rapport à un axe, révèlent des traces de fatigue et d’usure. Les deux Demoiselles, sur l’île du Havre-au-Ber, sont les collines les plus élevées de l’archipel. Leur gracieuse silhouette s’estompe sur la ligne d’horizon et domine avec mélancolie, semble-t-il la longue dentelle émeraude des flots berceurs.
Gaspésie, îles du Golfe, Acadie : terres pittoresques et évocatrices entre toutes! je vous ai quittées ému et tout pénétré d’admiration… car j’ai senti dans l’âme de vos populations le reflet de cette beauté inexprimée que la Nature façonne lentement dans la poésie des vagues et des frémissants feuillages.
Fernand Corminbœuf.
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