
La tenue à l’église pour les jeunes filles
Tout être humain doit posséder le respect de soi-même. Ce sentiment doit être encore plus accentué lorsqu’il s’agit d’une femme, d’une jeune fille. Il est indispensable pour nous assurer le respect des autres aussi, j’insiste pour que vous le compreniez, et que vous ne vous départiez jamais de qu’il implique.
Je n’ai pas à parler ici de ce respect profond et intime de soi qui touche à la conscience, ou plutôt qui en ressort, et qui fait éviter tout ce qui est blâmable. Une jeune fille qui se respecte ne se laissera pas aller à la colère, ni au mensonge, ni à la flatterie, ni à l’hypocrisie.
Mais un dehors ou plutôt à côté de tout cela, il y a le respect extérieur de soi-même ; découle, du reste, de l’autre, et est comme le besoin d’accorder le dehors avec le dedans. Il règle la tenue, l’attitude, les manières ; il produit un ensemble de réserve, de mesure, d’harmonie, de convenances de tout genre. Il rentre dans l’ordre du savoir-vivre. Sans lui, il n’est pas de femme vraiment distinguée, et je dirais même que si on ne l’a pas pratiqué, on ne pourra jamais bien comprendre le respect dû au prochain.
D’ailleurs, tout est réuni ici-bas dans une solidarité à laquelle on ne saurait échapper, et les égards mêmes que nous devons à autrui exigent, de notre part, cet ensemble de petites choses, cette manière d’être qu’enseigne et produit le respect de soi.
Certes, je reconnais que je suis une personne bien insupportable, en ce cas au moins, mais à moi-même, seulement, car je n’en laisse rien voir. À l’église, je ne puis prier si l’on se mouche bruyamment, si ma voisine feuillette et refeuillette son paroissien, agite son chapelet, s’en amuse comme d’un jouet ; je suis énervée jusqu’à la pointe des cheveux si à côté de moi, j’entends un chuchotis de prières, des élans de cœur qui arrêtent tout net les miens. Je ne tiens plus d’impatience si la personne qui est derrière moi appuie ses pieds sur les barreaux de ma chaise, et devant j’en vois une autre se balancer sur la sienne, se frapper la poitrine comme Saint-Jérôme dans le désert. Tout cela m’empêche de prier.
- C’est bien malheureux, me dites-vous.
- Oui, vous répondrai-je, mais à la fin, que demandé-je autre chose sinon que chacun se tienne il le doit, selon le lieu où il se trouve ?
L’église étant celui de la prière, la demeure plus spéciale de Dieu, je veux que l’âme t rencontre les conditions les plus favorables au recueillement, et que l’on s’y comporte comme on se donnerait la peine de le faire en présence d’un grand de la terre : c’est bien le moins, et je ne suis pas, par conséquent, si extraordinaire que je le parais au premier abord, en énumérant mes causes de gêne et d’impatience. Je ne suis pas seule à sentir ainsi, et vous engage donc à penser à moi, qui suis beaucoup d’autres, quand à l’église vous vous mouchez, bâillez, toussez avec le sans-gène de la chambre à coucher. Que dire encore des personnes qui, arrivant au milieu d’un sermon, se dirigent vers leur place, traversant toute l’église sans avoir l’air de se douter qu’elles suspendent l’attention de tout un auditoire, peuvent interrompre le prédicateur, lui faire perdre le fil de son discours ?
Elles mériteraient, ces personnes, la leçon que j’ai entendu donner en pareil cas à une dame qui, sons plus se soucier du sermon commencé, montait la grande nef, dérangeait à droite, à gauche. L’orateur s’arrête ; la dame continue, et comme elle ne semble pas se presser, que le silence se prolonge, amenant une gêne qui gagne l’auditoire entier, l’orateur élève la voix et tranquillement, d’un geste désignant celle qui se retourne enfin :
- J’attends, dit-il, que Madame soit à sa place.
Elle a été corrigée pour toujours, et depuis, toutes les places lui sont bonnes quand le sermon est commencé.
Faut-il aussi parler de la manière dont on se comporte habituellement aux cérémonies de mariage ? Là, il serait à souhaiter que l’on se tint au moins comme au théâtre, où l’on ne se permettrait pas de monter sur les banquettes, comme on monte à l’église sur les barreaux de sa chaise pour mieux mieux voir le passage de la mariée, la robe de Mme Une Telle, le chapeau de Mlle X, et le manteau Mme Z… Il semble, ces jours-là, que l’église n’est plus la maison de Dieu. On cause, on parle, comme dans un salon, presque à voix haute, on y médit tout tout aussi librement, on y rit, de la dernière inconvenance. C’est un manque de savoir-vivre vis-à-vis de Dieu même, oubliant que vous êtes chez lui. Pensez à ce que vous Lui devez un respect, d’adoration : pénétrez-vous de la grandeur du mystère du Tabernacle, et le fond, ici plus sûrement qu’ailleurs, vous donnera la forme.
(Ce texte a paru dans le journal La Presse le 5 octobre 1918).

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