Quelques impressions sur nos monuments

Quelques impressions sur nos monuments

Ils sont là, les monuments, tout de pierre ou de bronze de marbre ou de bois, depuis tant d’années. Malgré tout ce qu’ils ont entendu, tout ce qu’ils ont vu, ils non remué ni un bras ou un pied, ni un doigt ou un œil. Ils ont eu froid, chaud, et froid encore et ils ne se sont pas plaint de ce qu’a de malsain notre climat.

Ils furent polis ou impolis selon les circonstances. De cette muette indifférence qui caractérise de grandes âmes, les grands vainqueurs comme les grands vaincus, les Grands de ce siècle ou des siècles disparus à jamais.

Polis! Ils le furent en ne répondant pas à leurs descendants sans mémoire décriaient, ou les laissaient pour morts sous un amas de poussières ou de matières malpropres. Impolis ! Ils le furent en ne remerciant pas ceux qui les ont fait revivre, de cette nouvelle vie terrestre quasi éternelle.

Peut-être ne voulaient-ils pas faire de sentimentalité en ce jour dans la crainte de devoir marquer un sentiment contraire a l’endroit des descendants de ces artistes – dieux. Et ils n’ont pas fait un seul geste, si minime soit-il.

Ils sont. Nous en sommes certains. Nous pouvons les toucher, les voir Nous devons les admirer car leur prestige est si grand sur cette terre. Leur passé est inscrit dans le grand livre de l’histoire, dans cette langue pratiquement inconnue aujourd’hui. Dans cette langue adamique. On peut y lire tant et tant de choses.

Il est écrit que naguère ils étaient des chefs de file. Ils voguèrent sur les océans et en ce temps, et depuis ce temps, ils furent des héros. Pour nous ils sont tout. Si ce n’eut été d’eux…

Si ce n’eut été deux, nous eussions vu le jour dans ces pays de l’Europe millénaire. Le jour et tout ce qui suit. Aussi les guerres : et ils en virent des morts et des prisonniers, des mères éplorées et des fils orphelins, ces Européens. Plus que nous encore, ils connurent les grandes années de la dernière guerre, avec leurs cortèges d’horreurs, de haines et leurs fautes concentrationnaires ».

Mais !

Même si leur histoire est inscrite, qui nous dit qu’ils ne sont pas, présentement, les observateurs silencieux de notre époque et de toutes les époques postérieures à leur renaissance à eux, héros ! Dr toutes ces nouvelles années qui conviennent au jugement des théories eschatologiques. Oui, qui nous dit qu’ils n’enregistrent pas en leur mémoire, déjà si durement pleine, les faits et gestes de leurs successeurs ?

Hommage à ceux-là qui sont tout à la fois les fils et les pères de leurs pères ! Fils de leurs pères, oui. Pères de leurs pères, également car ils ont récréé leurs pères. Recréation de matières presque inamovibles. C’est d’une incompréhensible compréhensibilité.

Explications :

Dieu existait. Il créa Adam. Puis, Ève. D’Adam, Ève a eu des enfants. Les enfants d’Ève et d’Adam eurent des enfants. Jusqu’au jour où naquit Jacques Cartier, Samuel de Champlain, Hélène Boulé, Louis Hebert, Robert Giffard. etc.

Pour nous, ceux-là ne furent pas comme les autres? Car ils vinrent de l’autre coté de la mer, cette mer immense qu’est l’océan, et abordèrent sur un continent. Et ce continent était l’Amérique. Hélas ! Cette terre, nouvelle pour eux, était habitée. Quel dépit ! Eux qui croyaient être les seuls sur terre! Enfin. ils comprirent que d’autres gens respiraient en même temps qu’eux – question de fractions de secondes. Et les aborigènes ne leur ressemblaient pas ou si peu.

Ils avaient bien un corps, une âme, une tête avec ses yeux, ses oreilles, son nez, sa bouche: un tronc avec ses bras, son cou, ses jambes ; des bras avec leurs mains et des mains avec leurs doigts : des jambes avec leurs pieds et des pieds avec leurs orteils. Pourtant !

Tout cela n’était pas pur, puisque le signe de la pureté est le blanc. Et tout cela n’était pas blanc. Rouge. C’était rouge ! Des Peaux-rouges comme ils les appelèrent. Et un malheur survint.

Là-bas, dans leur pays à eux, ils avaient bien dit, jadis, à des Blancs, blancs comme eux, que toute la terre leur appartenait. Voilà qu’aujourd’hui d’autres êtres verticaux leur disaient: non, vous vous trompez. Ils virent rouge… sang !

Les navigateurs furent victorieux. — Fait à signaler, une centaine d’années plus tard de nouveaux navigateurs étaient encore victorieux. Fataliste ! Non, je suis réaliste. Les vainqueurs furent vaincus et les vaincus étaient vainqueurs. C’est comme cela. C’est ça leur histoire. Ils sont venus, ils ont vu et ils ont… vécu.

Oui. qu’en puis-je dire ?

Des êtres et des objets animés nous pouvons discuter mais des êtres et des objets inanimés que voulez-vous dire ? Car ils ne répondent point et nous n’avons pas à leur faire justice.

Eh bien ! Dites regardez mais ne touchez pas. Non, si leurs pores sont obstruées par les poussières et les matières que leur laissent notre gent ailée. Dans ce cas. donnez-leur un bain. Muettement, ils vous en remercieront !

(Par André Fortin, texte paru dans Le Soleil, Québec, lundi, 23 juin 1958).

Monument au poète Crémazie. Soldat canadien tombé à Sébastopol. Photo de GrandQuebec.com.
Monument au poète Crémazie. Soldat canadien tombé à Sébastopol. Photo de GrandQuebec.com.

1 réflexion au sujet de « Quelques impressions sur nos monuments »

  1. Ce vendredi 15 janvier 2021, j’ai été devant ce monument. Hélas, la neige qui le couvrait était sale, parsemée de déchets, de mégots et d’emballages de chocolat, comme s’il n’y avait de poubelles autour. Triste à voir. Surtout, comme c’est si bien dit dans cet article vieux de 63 ans: « Donnez-leur un bain. Muettement, ils vous en remercieront! »

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