Le dernier informé (texte paru dans La Presse, le 14 février 1985)
Par Pierre Foglia.
On dit couramment que l’essor des communications depuis — deux ou trois décennies a changé la face du monde. Je n’en suis pas si sûr. Tout dépend de quel monde… Pour ce qui est de la face du monde que je connais, elle est de bois plus que jamais!
Tout se passe comme si l’incessant bombardement de messages, qu’a permis la multiplication des moyens de communication, faisait un tel vacarme, qu’on ne s’entende plus parler. Ou qu’on n’ose plus: les messages que l’on reçoit sont si importants, si «planétaires », qu’en comparaison notre quotidien nous apparaît si fade, si peu intéressant, qu’on préfère le taire.
Que voila une introduction bien sentencieuse à la petite aventure que je me propose de vous conter aujourd’hui. Une histoire tout ce qu’il y a de plus vraie, je le souligne, au cas où l’énormité du paradoxe ferait dire a quelques-uns: ça s’peut pas! Mais si ça s’peut. La preuve…
Il y a un mois ou deux de cela, un confrère de travail me dit en passant: « Au fait, je t’ai vu dans le métro. T’es bien beau! ». En soi le compliment n’avait rien de surprenant. Beau, je sais, je suis. Quand j’étais petit je gagnais des concours et ça n’a jamais slaqué depuis. Mais dans le métro… tiens, c’est curieux, depuis le printemps que je ne l’ai pas pris. Mon sosie sans doute…
Réflexions (par Pierre Foglia)
Dans les semaines qui suivirent, ce furent des amis. el même des gens que je rencontrais pour la première fois qui me répétèrent : «Je vous ai vu dans le métro, hier! ». Ou bien je ne relevais pas, ou bien je rectifiais: « Vous devez vous tromper, hier je n’ai pas bougé de chez moi ». Les gens se fendaient alors d’un sourire poli, ce genre de sourire dont on honore les blagues plus ou moins drôles.
En fait je ne plaisantais pas. Je n’étais même pas intrigué. J’ai fait le lien seulement plus tard. Et pour ce qui est du métro, je le prends une fois ou deux par année, l’été quand il pleut trop fort pour que je sorte ma bicyclette. L’hiver quand il fait trop froid et que ma voiture refuse de partir.
Justement, j’avais à faire à Longueuil l’autre soir, et mon auto était en panne. Va pour le métro. Un monde fou. c’était l’heure de la sortie des bureaux. J’étais debout, à l’extrémité d’un compartiment, tassé par derrière et par devant, je regardais dans le vide comme les bestiaux qu’on change de pacage.
Quand soudain, dans le vide, qu’est-ce que je vois?. Si vous m’entendez venir avec mes gros sabots, c’est que vous prenez souvent le métro, mais moi je ne savais pas. C’est incroyable, mais c’est ça pareil, je ne savais pas! Et quand j’ai vu mon nom imprimé en gros caractères, je me suis dit merde, me voilà rendu fou. J’hallucine. Me voilà comme Réjean Tremblay, je vois mon nom partout.
*
Je me hausse sur la pointe des pieds, pour regarder par dessus les épaules et entre les têtes, et l’affiche m’apparait dans son entier, couvrant tout le panneau, à côté de la fenêtre. « Plein le dos? Pierre Foglia les mardis, jeudis el samedis.»
D’abord, de surprise, j’ai failli crier: « Mais c’est moi ça, Pierre Foglia! ». Je dis bien de la surprise. Pas de la fierté et pas encore de la colère. En fait, je ne me sentais pas vraiment concerné. Peut-être que si au lieu de « plein le dos », ils avaient dit « plein le cul », peut-être que je me serais mieux reconnu.
Et puis tout de suite après, dans la même seconde, je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé à nia mère. Plus précisément à la fois où j’étais allé couvrir je ne sais plus quoi, en Europe, pour la section des sports, j’en avais profité pour passer chez nous, et en revenant j’avais écrit une chronique sur ma mère, mon père, la maison, comment c’était, comment ils vivaient. Je l’avais découpée et la leur avais envoyée. C’est le seul papier imprimé que ma mère n’a jamais lu de moi. Et elle m’avait répondu dans une lettre que j’ai encore: «Tu sais je suis fâchée. T’avais pas besoin d’écrire tout ça, la cousinière à bois, les lapins, lé jardin, ma qu’est-ce que ça les intéresse au Canada? Tu sais lé monde il est petit et si les voisins y viennent à savoir, ma qu’est qui vont dire ?
Les voisins y pensent que tu fais le journaliste au Canada… Au moins, tu me fais plaisir, né signe pas lé nom dé Foglia! ». Entre-temps, je m’étais faufilé, et je me retrouvais devant le panneau, quasiment le nez dessus. Je comprends maintenant les « je vous ai vu hier dans le métro, de dos! » Mais comment ont-ils pu faire un truc pareil sans m’en parler ? Foutent mon nom partout, dans les wagons, et sur les murs en affiches de huit pieds de haut, et me demandent même pas mon avis! ma permission. Non mais ça va pas non !
*
Je me sentais comme une demi-livre de margarine que le premier cou venu peut étaler sur ses tartines. Gênez-vous pas les boys! Pourquoi pas un petit commercial à la TV, tant qu’à faire? Avec Simone sur mes genoux. Ou en train de manger un spaghetti. A bicyclette peut-être, avec un t-shirt du centenaire ?
J’étais bien plus estomaqué que vraiment pompé. Je me disais voyons, je travaille à LA PRESSE qui est une entreprise de communications, les gens qui m’entourent, mes chums, mes boss, sont des spécialistes en communications. Et d’entre tous les spécialistes, les plus spécialisés sont sûrement les gens du service de la promotion dont la job est, précisément, de communiquer au public que c’est à LA PRESSÉ qu’on trouve les meilleurs communicateurs.
Je ne comprenais pas comment, dans toute cette gang de spécialistes; il ne s’en était pas trouvé au moins un, pour songer à la plus élémentaire des communications, celle qui consiste à avertir le messager qu’il a un message à porter!… C’est la moindre des choses, et tellement plus poli, il me semble, que de lui accrocher ce message dans le dos comme un poisson d’avril que tout le monde verra, sauf lui.
Finalement, l’incident a été enterré dans le bureau d’un boss, je ne sais plus lequel, son nom m’échappe ici, qui m’a assuré que cela ne se reproduirait plus. A la bonne heure ! Fier de son coup malgré ce petit accroc-là, me désignant l’affiche encadrée sur son mur, il m’a dit:
— Franchement, comment trouvez-vous le message ?
« Médium! » ai-je finement répondu, en discret hommage à ce cher Marshall Mac Luhan qui fit tant pour que la communication devienne une science… Elle qui n’avait été jusque-là, la pauvre, qu’un quelconque art de vivre.
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