Le partage des habitats

Le partage des habitats

L’histoire est faite de ces luttes pour le contrôle du lieu habité

Il faut habiter ces zones que l’on appelle campagnes pour rapidement comprendre que toute mixité des populations ne va pas de soi. Y séjourner brièvement suffit parfois pour faire réaliser comment deux mondes se côtoient, le lien se faisant difficilement entre les habitants «de souche» et ces nouveaux arrivés qui sont les villégiateurs. Les relations sont difficiles entre ces deux groupes, l’un depuis toujours luttant avec la nature, pour assurer sa subsistance et garantir sa survie, l’autre venant y résider dans un esprit de fusion avec celle-ci, prêchant son besoin de silence et une volonté de conservation du paysage: les pelouses qu’il étale et engraisse, les piscines qu’il creuse, les stationnements asphaltés comme les aménagements paysagers en monobloc trahissent toute ­ fois son origine urbaine.

Vivre dans les grands espaces amène sou ­ vent à voir la nature comme une ressource indé­ finiment renouvelable: la nouvelle politique énergétique américaine témoigne d’un tel état d’esprit. La nature est alors perçue comme étant au service de l’homme, devant être exploitée pour la satisfaction des besoins immédiats. Tel fut longtemps le sort attribué à la forêt québécoise, immense, avec ses bois, ses lacs, ses rivières. La pollution ne semblait point sur elle avoir d’emprise, la reproduction de ses es ­ pèces, qu’elles soient fauniques, florales, halieutiques ou sylvicoles, apparaissant même ne jamais devoir être menacée.

Puis, les grandes compagnies forestières et les gouvernements firent un jour l’annonce de campagne de reboisement. Le nettoyage des lacs et des rivières fut avancé com ­ me une mesure nécessaire. Les citoyens et utilisateurs des lieux virent leur responsabilité impliquée dans les processus d’entretien et de conservation. Des lois suivirent D’autres sont annoncées quand d’autres encore sont réclamées. D’ailleurs, sur ces sujets, toutes les études actuellement menées s’entendent la préservation des systèmes existants et la protection des écosystèmes peuvent seules assurer la survie de ce qui fait au Québec la fierté de tous et une ressource de premier choix.

Il semblerait que le temps de l’exploitation à outrance soit chose du passé. Rien n’empêchera toutefois un individu d ’ opérer quelque part une coupe à blanc et de considérer un lieu donné comme un dépotoir tout à fait convenable. Il au ­ rait «chez lui», dans son territoire, le «droit» de faire comme bon lui semble. Toute pénalisation étant alors perçue comme une autre manifestation qui tient de l’injustice. L’histoire de l’homme est d’ailleurs faite de ces luttes pour le droit de contrôle du lieu qu’il habite. Les principes moraux sont souvent tombés, et, tombent encore, devant les décisions lo­cales. À l’extrême, des luttes se mènent toujours sur la planète pour affirmer une prépondérance religieuse ou ethnique.

Aussi, serait-t-il demandé à quelques-uns d’oublier certains éléments qui constituent leur identité, sous prétexte d’une meilleure gestion, ou en retour de simples avantages économiques, qu’ils ne céderont point à l’invite. Que vous leur garantissiez ou non que rien ne sera modifié en profondeur, que tout demeurera identique à l’exception des appellations, ne serait-ce que des lieux, il est à prévoir que la lutte à venir sera grande.

On découvre rapidement qu’il est plus facile de transformer des façons de faire que de donner un nouveau nom aux choses : longtemps, au Québec, des gens sont allés au théâtre voir des films. Et des gens qui habitent des villes qui n existent plus sont toujours originaires de Port-Alfred ou de Haute-rive. Quand des villes, au-delà même de l’appellation, ont été des symboles, des moments de l’histoire, comme Boucherville ou Westmount, Mount-Royal ou Outremont et qu’aux citoyens qui en sont fiers vous avancez les mérites de vivre dans un arrondissement portant le même nom, les droits de gérance étant toutefois soumis à une autre structure urbaine élargie, attendez-vous à recevoir une rebuffade. Toute consultation, qui interdirait la remise en question de la validité du projet global, est presque inutile.

Ajouter à cela une taxation aux montants incertains, une centralisation des services de l’embauche, de nouvelles politiques de gestion, un autre palier administratif et, à coup sûr, un bras de fer s’engage. Opérez cela simultané ­ ment sur tout un territoire et, pour quelques succès obtenus, nombreuses seront les contestations et leur nature diverse, fil semblerait que la majori­té citoyenne ne soit capable d’accepter que ce qui est vaste et vague: un référendum sur le maintien d’une adhésion à l’ONU ou à une ZLEA est rarement réclamé avec force, incluant le recours, qui serait nécessaire, à l’appareil juridique.)

L’identité d’une personne est faite d’un nom, majoritairement d’une adresse sur une rue, et du nom d’un lieu. Le pays est ou non une source de fierté: il fait souvent partie d’un projet de nature politique. Qu’un élément soit menacé d’extinction et c’est la personne même, pour plusieurs, dont l’existence serait alors remise en question. Il a pris longtemps à l’homme pour comprendre que la fusion avec la nature était nécessaire. Dans un territoire comme le Québec, dont les projets politiques ne font pas l’unanimité, où les projets de société sont multiples, sou­ vent inavoués de peur de «faire peur», tout changement à la géographie du lieu sera contesté. Il est plus facile de dompter la forêt que l’homme, de s’acclimater aux besoins des systèmes naturels que de transformer les images et les habitudes quotidiennes.

(Par Normand Thériault, texte paru dans le journal Le Devoir, le 27 mai 2001).

Un bonhomme de neige dans une forêt québécoise. Photo de Nataliya Vorobyeva.

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