Ouvrons les barrières
par Roland Prévost (L’Action Universitaire, volume 8, numéro 3, novembre 1941)
Dans une interview accordée récemment à la revue « Ensemble », Mgr Luigi G. Ligutti, sociologue américain, parlant de notre négligence à renseigner l’étranger sur notre mouvement coopératif, déclarait: « Nous avons l’impression que vous voulez garder les barrières fermées ».
Serions-nous donc trop modestes, ou trop fiers ?
Le mot « propagande » semble horrifier certaines gens ; pourtant, en plusieurs pays, on lui donne la majuscule, non sans raison. L`Église en a compris tout le sens, bien avant les Goebbels de notre époque. La saine propagande insiste sur la vérité ; la propagande fallacieuse dénature les faits. La première renseigne et enseigne; la seconde exagère et trompe. La Propagande est aujourd’hui la quatrième arme des États bien organisés. Ils ne peuvent s’en passer, pas plus qu’une entreprise commerciale n’a le droit d’ignorer la publicité.
Pour survivre, le Canada français doit être un État dans l’État fédératif ; ses frontières invisibles englobent même une partie de la Nouvelle-Angleterre.
Quelques millions de francophones non pas « perdus » mais enclavés dans la masse anglo-saxonne, cela compte ; et cela doit compter toujours davantage, à moins de se satisfaire de la seule existence. On rabâche trop, il me semble, le fait de notre survie : ne vaudrait-il pas mieux désormais lutter pour grandir? Ce qui est impossible, en notre siècle bruyant, sans crier à tout vent que nous sommes ici pour y rester, et y prospérer.
L`Amérique française doit donc, de toute nécessité, organiser sa propagande, la seule arme disponible. Mais cela présuppose l’intelligence de nos besoins actuels, et aussi des nécessités d’un avenir prochain. Actuellement, nous subissons tous côtés, par l’intérieur et par l’extérieur, la pression d’idées et d’opinions formulées par des gens qui ne se préoccupent nullement de nos aspirations. A la longue, nous sommes intoxiqués, au point d’oublier notre propre avenir, les moyens de le préparer. Je crois bien que les seuls qui aient le souci du fait français en Amérique sont certains groupements extra-québecois. Ils nous regardent avec un peu d’envie parce que nous habitons la Nouvelle-France, mais aussi avec un peu de pitié parce que nous savourons béatement notre héritage commun, trop indolents pour le défendre avec acharnement. Les Laurentiens ( ! ) de 1867 à nos jours n’ont pas tellement raison d’être fiers. Si vous ne le savez déjà, voyez plutôt l’Histoire de la Province de Québec, de Robert Rumilly, et vous comprendrez.
Il reste quand même quelque chose qui vaille d’être proclamé à l’étranger, même à faible voix.
Mieux vaut assurément une Propagande timide, que pas de Propagande du tout… Pourquoi nous pâmer dans l’admiration du « miracle des berceaux » ?
Donnons ce plaisir aux autres…
Que pouvons-nous montrer ? Et comment ? C’est tout un programme. D’abord notre parler français, nos artistes, nos artisans, nos paysages, nos richesses naturelles, et même nos coopératives.
Tout cela, direz-vous, n’est pas merveilleux. Mais, à distance, nos lecteurs et nos auditeurs le trouveraient admirable. N’allons pas croire que nous sommes les seuls à gober naïvement tout ce qui vient de loin : c’est un travers commun à tous les peuples, ou presque.
Pour être le plus efficace et le plus économique possible, notre Propagande doit agir par contact personnel. Mais notre publicité touristique ayant commis des bourdes formidables, n’allons pas, cette fois-ci, confier notre Propagande à de vagues scribes qui ne comprennent pas même le Parisian French de Toronto. Il ne s’agit pas – vu notre indigence financière et la dureté des temps – d’éblouir l’étranger par un déploiement d’imprimés luxueux; sous ce rapport, il serait impossible d’étonner les Américains, qui en ont déjà vu de toutes les couleurs.
Par des bulletins périodiques, par des articles dans des publications étrangères, nous finirions par influencer en notre faveur des écrivains, des journalistes, des conférenciers, des intellectuels, des savants, des sociologues, tous gens dont la parole, en certaines circonstances, nous serait utile. Par la presse, par le film, par le radio, nous pourrions répondre aux écrits malveillants ou erronés, contribuer à l’expansion de la culture française sur notre continent, fortifier nos positions à l’extérieur, encourager ceux qui veulent bien nous assurer de leur sympathie, devenir vraiment un « reflet de France en Amérique ». Par des expositions d’art, de musique, de documents historiques, de collections scientifiques, de livres, nous affirmerions la vigueur – parfois réelle – de notre développement intellectuel et nous détruirions la légende, enracinée chez beaucoup d’Américains, du Canayen bon tout au plus à faire un parfait lumberjack.
Voilà quelques mots seulement sur un sujet immense, qui mérite d’être développé. La documentation ne manque pas; avec un peu de bonne volonté, on en pourrait tirer plusieurs articles et peut-être… une thèse de doctorat en sciences politiques !
Roland Prevost.
Note : Un auteur récent a prétendu que le monde anglo-saxon aboutissait à deux impasses. Par ces mots, il ne voulait pas dire que le monde anglo-saxon fut acculé à des impossibilités en politique alors quel sens donneriez-vous à ses paroles.
Il ne reste plus, s’il faut écarter le sens figuré, que le sens propre, qui est celui de voie sans issue, rue qui n’a pas de débouché. L’auteur en cause faisait dont allusion à Wall Street, dans la ville de New-York et à Downing Street, dans celle de Londres : Wall Street, c’est le quartier financier par excellence de l’Amérique, le quartier de la Bourse et des Grandes Banques. Mais les initis déclarent qu’il se traite peut-êtyre encore plus d’affaires et de plus importantes dans Nassau Street, autre cul-de-sac qui se déverse dans le premier. À Downing Street, au contraire, il ne s’agit plus d’affaires. Là se trouve l’hôtel du Gouvernement; la demeure personnelle du premier ministre d’Angleterre s’y trouve aussi au numéro dix. On sait que, dans ce pays, le premier ministre, quoique non reconnu par la Constitution, a un logis officiel. Mais 10, Downing Street, c’est aussi l’emplacement des quratiers généraux de l’Intelligence Service ou service de Contre-espionnage, ainsi que ceux du département de la police secrète du ministère de la Justice. La sortie pour se dernier se trouve dans une petite cour aujourd’hui : Scotland Yard.

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