Espace vital et astral (Ce texte a été rédigé par Paul-Louis Hervier en 1940)
Une jeune nièce, dont je connais l’imagination toujours en éveil, vint me voir l’autre matin pour me raconter une étonnante histoire sur un ton légèrement enfiévré.
– Hier soir tard, me dit-elle, je cherchais à mon poste de T.S.F., une émission étrangère lorsqu’en tournant et retournant mes manettes, je pris un appel inconnu, bientôt suivi d’un discours en une langue étrange qui ne m’a rappelé aucune langue morte ou vivante, puis un concert commença qui me parut différent de tout ce que j’ai entendu jus qu’ici: la mélodie était douce, suave, avec des harmonies nouvelles et semblait produite par des instruments extraordinaires! Les numéros du cadran ne correspondaient à aucun poste du monde; j’eus soin de ne toucher à rien, tremblante à l’idée que l’audition put soudain cesser. Mon oncle, veux-tu que je donne mon avis? Eh bien! j’ai capté la planète Mars.
Je crois bien que ma nièce prenait ses désirs pour des réalités, mais son histoire m’en a rappelé une autre : celle d’un voisin de campagne qui avait découvert dans son champs des bâtons calcinés, curieusement assemblés et qui était persuadé avoir trouvé les débris d’une fusée envoyée par des habitants de Mars.
J’ai été en froid pendant plus d’un an avec cet inventif voisin parce que je lui répondis en souriant que je voulais bien croire que c’étaient les débris d’une fusée, mais que cette fusée avait très bien pu être tirée de Montmartre ou de Fourvières ou de Notre-Dame, de la Garde ou encore du mont Everest ou d’Aiguille du Coûter, au-dessus des Mouches.
Bien avant Jules Verne, l’idée de joindre la planète Mars avait germé dans les cervelles inventives. Mais, depuis quelques années, avec les progrès de l’électricité, de la T.S.F., de l’aviation et des appareils propulseurs, on en parle encore davantage.
Qui n’a pas son projet pour aller faire un tour au-delà de notre trop petit domaine?
Les anticipations des romanciers ou des savants faisaient jadis hausser les épaules aux gens sérieux qui pensaient : « Pourquoi donner tant d’importance aux choses impossibles? Ne perdons pas notre temps à des billevesées! »
Mais aujourd’hui, ceux qui se souviennent de l’époque où le téléphone était une rareté et qui ne pouvaient as prévoir qu’ils vivraient assez pour se mettre à l’écoute devant un meuble élégant qui leur dispenserait des voix et des sons envoyés des quatre coins de la terre, ceux-là sont prêts à concevoir qu’un jour, en tournant un bouton, on pourra entendre les êtres humains identiques à nous ou dissemblables) des autre univers qui roulent dans l’espace.
Pour l’instant, des inventeurs entêtés, audacieux, sûrs d’eux-mêmes s’imaginent qu’ils vont pouvoir faire, sous la forme d’une fusée percutante, détonante, un cadeau inattendu à Mars. De temps à autre, on signale des essais, on en parle beaucoup, mais l’histoire n’a pas de suite. À la fin de 1929, le docteur Oberth devait tirer une fusée d’une petite île de la Baltique, la faire monter à cinquante ou soixante mille mètres de hauteur, munie d’appareils divers accrochés à de petits parachutes résistants. Los petits parachutes ont-ils ramené à terre les observations qui devaient permettre de faire des calculs et des expériences nouvelles? Deux autres savants allemands. Fritz von Opel et Max Valier devaient, eux aussi, faire des tentatives. Max Valier voulait faire traverser à une fusée le Pas-de-Calais, afin de pouvoir, avec des données certaines, en construire ensuite une plus puissante qui pourrait l’emporter comme passager. Le professeur Sheldon, à cette époque professeur de physique à l’Université de New York, avait coutume de répéter :
Tôt ou tard, nous atteindrons sinon la Lune, tout au moins des hauteurs très élevées au-dessus de notre atmosphère.
Mais le plus optimiste de tous a été le professeur Robert H. Goddard de l’Université Clark, dans le Massachusetts. Son grand plaisir était de s’amuser avec des fusées. En 1921, tous les journaux du monde annoncèrent qu’il allait envoyer une fusée gigantesque dans la Lune. Il reçut de plusieurs pays étrangers vingt demandes de jeunes gens intrépides, désireux d’être des passagers volontaires. On déclina les offres, mais on publia, – au conditionnel – des prévisions sur ce qui allait se passer. La vitesse de la fusée serait telle que le voyage durerait quatre jours. Mais les frais d’études, d’établissement, de construction, devaient arrêter deux millions et demi de francs. Il n’y eut pas un mécène pour accepter d’avancer cette petite somme. La tentative n’eut pas lieu et le professeur Goddard se contenta de perfectionner en théorie les données de son invention.
En 1925, il fit annoncer que son appareil, plus solidement construit, se déplacerait à une vitesse double de celle qu’il avait primitivement annoncée. Aujourd’hui, dix-neuf ans de nouveaux travaux lui feraient, s’il vivait encore, déclarer certainement qu’il pouvait aller dans la Lune et en revenir dans une même journée.
N’oublions pas de mentionner que M. Robert Renault – Pelleterie, dont les inventions ont été si profitables à l’aviation, parla, dès 1929, d’une fusée capable d’explorer les espaces de l’immensité aérienne.
Écouter des voix lointaines semblait une utopie; on en écoute trop, malgré soi, à présent. Aller dans la Lune, c’est un tic! Oui, mais le jour où nous irons chez les Lunaires, eux, viendront chez nous, et pour peu que les Lunaires soient lunatiques, cela nous promet pas mal d’incidents diplomatiques. Et nous avons bien besoin de cela!
(Paul-Louis Hervier, de la Société des Gens de lettres, 1940).
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