Destinées des novateurs

Milieux scientifiques : Le sort des novateurs en médecine et en biologie

Si la plupart des savants sont des hommes modestes, sincères, laborieux, recherchant avec passion la vérité, il faut bien reconnaître qu’il est glissé, de tous temps, dans les milieux scientifiques, des individus d’une qualité morale ou intellectuelle très inférieure. Ou a vu de lamentables imbéciles occuper des situations très élevées.

D’autres savants sont des esprits brillants, souvent remarquables, mais dominés par l’envie, la haine de leurs collègues; ils dépensent tout leur talent à essayer de jeter le discrédit sur les découvertes qu’ils n’ont point faites, à opposer des critiques stériles aux faits les mieux établis.

Généralement suivis, au moins pendant quelque temps, par la foule des esprits médiocres, ils s’acharnent contre tous ceux qui font figure de novateurs, retardant souvent de plusieurs dizaines d’années les progrès de la science. Si celui qui a lancé une idée nouvelle, découvert un fait important, n’a pas bec et ongles pour se défendre, il est généralement condamne a mourir incompris, déçu, aigri, méprisé. La postérité le venge, mais son jugement vient trop souvent tard.

Lorsque en 1672, Régnier de Graaf, établit par une sérié d’expériences, que l’ovaire des mammifères produit des œufs comme celui dos oiseaux, il vit son ancien maître Swammerdam revendiquer la priorité de cette découverte. La raison en était que van Horne avait, en 1668, écrit incidemment quelques lignes au sujet et que Swammerdam s’en attribua la paternité. Van Horne étant mort entre temps, ne pouvait plus le contredire.

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Or, l’honnête de Graaf avait parfaitement rendu justice a ses prédécesseurs et cité Van Home. Son œuvre, basé sur des recherches qui avaient dure plusieurs années, ne pouvait raisonnablement être parallèle avec une simple hypothèse. Accusé publiquement de plagiat, il se défendit; à des libelles anonymes qui parurent contre lui, il répondit durement en publiant des lettres de Swammerdam où cet injuste maitre le reconnaissait pour le véritable auteur de la découverte. Mais ces émotions furent fatales à de Graaf: miné par le chagrin et l’indignation, il mourut dans un accès de fureur, à l’âge de trente-deux ans.

Le grand botaniste français Adanson vivait à une époque où faisaient florès les méthodes ou systèmes utilisés pour classer les plantes. Les uns les répartissaient d’après les feuilles, d’autres d’après les pétales, les étamines, etc. C’étaient autant de classifications artificielles. Le premier, Adanson chercha a réunir les plantes qui « conviennent ensemble », non par un caractère choisi arbitrairement, mais par le plus de caractères possibles. C’est par ce moyen qu’il réussi à établir des « Familles de plantes »’ et a jeter 1es bases d’une systématique naturelle.

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Malheureusement, Adanson n’avait pas de chaire du haut de laquelle il put répandre ses idées. La chaire de botanique du Muséum était occupée par Antoine Laurent Jussieu, qui s’efforça de s’approprier l’idée féconde d’Adanson et de prouver, contre l’évidence, que le grand savant n »était pour rien dans la découverte de la méthode naturelle. S’il n’osa pas d’abord le passer sous silence, il n’hésita pas, deux ans après sa mort, à rayer le nom d’Adanson dans dans la deuxième édition de son libre « Genres plantarum ».

Il crut pouvoir décrire les plants qu’Adanson avait apportées du Sénégal sans faire la moindre mention du collectionneur. Lamarck osa écrire l’article « Famille » dans l’Encyclopédie méthodique sans même citer le nom de celui qui avait fondé les familles végétales. Une cabale s’efforça de répandre la légende que non seulement Adanson n’avait rien innové, mais qu’il s’était approprié, à la façon de Bernard de Juisseau. Les faits, les document», prouvent cependant que aucune discussion possible qu’Adanson fut le véritable initiateur de la méthode naturelle.

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Aigri, le grand savant se confina dans l’isolement, travaillant avec ardeur, mais refusant de publier ses découvertes. Réduit a la misère, perclus de rhumatismes, nourri d’un peu de café et de sucre grâce au dévouement d’uni ancienne servante, il connut, dans ses dernières années, « le désespoir de ne pouvoir continuer ses travaux pendant de longues nuits, faute de feu et de lumière ».

La fièvre puerpérale, ce fléau redoutable, avait pris les caractères d’une véritable épidémie à mesure que l’on créait un peu partout des maternités, rassemblant dans les mêmes locaux un grand nombre de femmes en couches. On invoquait comme cause un « génie épidémique ».

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En 1848. un jeune médecin hongrois, Semmelweis, devint assistant à la clinique obstétricale de Vienne, dirigée par Klein. La mortalité y cueillait entre 3 et 8 pour cent et avait atteint en 1842, 31 pour cent. Constatant que la fièvre puerpérale était plus fréquente dans la division où travaillaient les étudiants que dans celle où ne pénétraient que les sages-femmes et dans laquelle les explorations de femmes en travail étaient plus rares, Semmelweis eut l’intuition du mécanisme de l’infection. Il prescrit l’isolement des femmes infectées, ordonna que tout le personnel se lavait les mains, désinfectât les instruments, etc., avec une solution de chlorure de chaux. Il inventa l’antisepsie a une époque où personne ne soupçonnait le rôle pathogène des microbes.

Les résultats furent magnifiques. La mortalité tomba de 12.24 pour cent à 3 pour cent et même 0.9 pour cent. Semmelweis communiqua ses découvertes à l’Académie. Mais il renversait les idées traditionnelles. Klein, froissé du succès de son élève ne voulut pas le reprendre comme assistant. Ayant perdu sa place, Semmelweis dut rentrer dans son pays. Après avoir obtenu à Pest une situation modeste et sans traitement, il fut enfin nommé professeur d’obstétrique à l’Université de Pest.

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Il lui fallut alors lutter, au moyen d’articles dans la presse, contre la routine et l’inertie du personnel. Celui qui « crée de nouvelles générations de praticiens infecteurs. Il montra donc que la fièvre puerpérale est «une infection par un agent externe ». L’origine de l’élément septique, disait-il c’est le cadavre du véhicule. C’est la main de l’opérateur, le linge, les éponges, les mains des sages-femmes, des gares ». Il faut donc éviter l’introduction de tout principe septique. Il faut le neutraliser aussi rapidement que possible quand il est dans l’organisme et il recommandait l’emploi des solutions de chlorure de chaux.

Grâce à ces préceptes, si remarquables pour l’époque, il abaissa considérablement la mortalité à la Maternité de Pest. Ces méthodes inédits provoquèrent à nouveau, de la part de nombreux médecins, des critiques si vives et si injustes que, dépité et aigri, le malheureux Semmelweis en perdit finalement la raison. II mourut à quarante-six ans dans une maison d’aliénés.

Il serait facile de multiplier ces exemples. Ne se trouvera-t-il pas un historien pour les rassembler et faire réfléchir ceux qui oublient qu’en matière de science. Il faut vérifier ayant de critiquer et savoir s’incliner devant les faits bien établis. »

Professeur E. Guyenot. Journal de Genève, août 1940.

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Sort des novateurs… Illustration de GrandQuébec.com.

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