
L’accession à la propriété et la Commission sacerdotale d’études sociales du Québec
Dans la brochure qu’elle consacre à la participation des travailleurs à la vie de l’entreprise, la Commission sacerdotale d’études sociales signale l’existence de nombreux prolétaires chez nous. Les événements actuels permettent de constater d’une manière bien nette la véracité de cette affirmation. Que l’abandon possible de la régie des loyers soulève de si fortes protestations signifie que le nombre des locataires, dans les villes populeuses du moins, l’emporte de beaucoup sur celui des propriétaires. L’un des moyens les plus efficaces de diminuer le nombre croissant des prolétaires, c’est évidemment de favoriser l’accession à la propriété. Les travailleurs, et par travailleur il faut entendre ici tous ceux qui ne sont pas les propriétaires des moyens de production, c’est-à-dire les salariés, veulent jour de la sécurité, de la liberté et là être des « hommes au sens plein du mot ». Or le moyen ordinaire mis à la disposition de l’homme pour jouir de ces bienfaits, c’est pa possession d’une certaine quantité de biens matériels.
L’enseignement des papes
L’enseignement de la doctrine sociale catholique est catégorique sur ce point. Dès Rerum Novarum, Léon XIII insistait avec force sur la nécessité de rendre la propriété accessible à la masse des hommes. Même si elle est un peu longue, cette partie de l’encyclique vaut d’être citée, elle s’applique encore aujourd’hui, parce que, au lieu de se répandre, la propriété a tendance à se concentrer dans les mains du petit nombre : « Il importe donc, écrivait-il, il y a maintenant près de soixante ans, que les lois favorisent l’esprit de propriété, le réveillent et le développent autant qu’il est possible dans les masses populaires. Ce résultat, une fois obtenu, serait la source de précieux avantages ; et d’abord d’une réparation des biens certainement plus équitable.
La violence des révolutions politiques a divisé le corps social en deux classes et a creusé entre elles un immense abîme. La toute-puissance dans l’opulence ; une faction qui, maîtresse absolue de l’industrie et du commerce, détourne le cours des richesses et fait affluer en elle toutes les sources ; faction, d’ailleurs qui tient en sa main plus d’un ressort de l’administration publique.
De l’autre, la faiblesse dans l’indigence : une multitude, l’âme ulcérée, toujours prête au désordre. Eh, bien ! Que l’on stimule, l’industrieuse, activité du peuple par la perspective d’une participation à la propriété du sol, et l’on verra se combler peu à peu l’abîme qui sépare l’opulence de la misère et s’opérer le rapprochement des deux classes.
En outre, la terre produit toute chose en plus grande abondance. Car l’homme est ainsi fait que la pensée de travailler sur un fonds qui est à lui redouble son ardeur et son application. Il en vient même jusqu’à mettre toute son ardeurs dans une terre qu’il a cultivée lui-même qui lui promet, à lui et aux siens, non seulement le strict nécessaire, mais une certaine aisance. Et nul qui ne voit sans peine les heureux effets de ce redressement d’activité sur la fécondité de la terre et la richesse des nations.
Sa Sainteté Pie XII a parlé non moins nettement. « La propriété privée, disait-il-est d’une façon toute spéciale le fruit naturel du travail, le produit d’une intense activité de l’homme, qui se l’acquiert grâce à son énergique volonté d’assurer et de développer par ses efforts son existence personnelle et celle de sa famille, de se créer à lui-même et aux siens un domaine de juste liberté, non seulement en matière économique, mais en matière politique, culturelle, religieuse. »
La recherche des formules
Mais tout ceci paraît extrêmement loin des conditions présentes de l’organisation de l’économie. Si l’on regarde chez nous, il faudra bien conclure que, sauf nos cultivateurs qui sont heureusement dans la très grande majorité des cas, propriétaires de leurs terres et un certain nombre d’artisans. Il est très difficile de trouver une solution à ce problème de la propriété des moyens de production, des instruments de travail et que, par contre, elles comportent sûrement des avantages pratiques incalculables. Elles exigent l’accumulation d’énormes capitaux que les travailleurs ne peuvent eux-mêmes rassembler que dans de rares circonstances.
Il est l’acquisition de la propriété familiale, c’est-à-dire plus justement du gîte de la famille. De ce côté, il y a évidemment à accomplir, et ce serait déjà beaucoup si la majorité des familles étaient propriétaires de leur maison. Aussi les efforts doivent-ils être particulièrement intenses, soutenus. Et pourtant que d’obstacles encore !
Le système économique moderne est faux à sa base même. À beaucoup, il ne permet pas de réaliser cet idéal ou, seraient-ils prêts à l’atteindre que déjà la génération a avancé et qu’il leur faut céder la place à d’autres. Mais pourquoi n’ont-ils pas agi plus tôt ? La raison en est assez peu compliquée : c’est qu’ils n’étaient jamais sûrs du lendemain ; c’est qu’ils ont toujours redouté de se voir obligés, sans avis préalable, de déménager ailleurs leurs pénates pour répondre aux exigences de l’activité industrielle ou tout simplement pour avoir un emploi ; c’est qu’ils ont craint, après de cruelles expériences souvent, de se trouver un bon matin sans travail et perdre ainsi le fruit de leurs épargnes ; c’est aussi, malheureusement, qu’ils ont été sollicités avec trop de force par l’appât de l’accessoire.
Aussi, pour que l’enseignement si judicieux des souverains pontifes se réalise dans notre société moderne, faut-il atteindre à un état de choses tel que le travailleur lui-même, par un acte personnel et réfléchi, en arrive, en épargnant sur son salaire, quand il dépasse le minimum vital, à mettre les sommes nécessaires à l’abri, afin de pouvoir les utiliser quand les mauvais jours viendront ; faut-il, de plus, tout en conservant les avantages du développement technique actuel, trouver les moyens, les formules, qui permettront au travailleur d’avoir en pleine propriété sa propre maison, ses instruments de travail, une certaine somme de biens, afin qu’il puisse mener avec les siens une vie indépendante. Route longue, difficile, semée d’embûches, mais sur laquelle il faut avoir le courage de s’engager.
Par André Roy, L’Action Catholique, 8 février 1950.

Facebook
Twitter
RSS