Terra Australis Incognita
L’existence des Amériques n’avait pas été prévue et ce continent existait bel et bien; en revanche, la Terra Australis Incognita fut avidement recherchée, alors qu’il ne s’agissait que d’un mythe, le mirage le plus persistant de l’histoire des explorations.
La Renaissance hérita de l’Antiquité la croyance en l’existence de ce vaste continent, situé très au sud et porté généralement sur les cartes sous le nom de Terra Australis Incognita. Cette conviction découlait d’un instinct mais aussi d’un raisonnement. L’horreur du vide incitait l’esprit à placer un continent solide au milieu des vastes étendues marines, situées au sud du tropique du Capricorne. La raison voulait que dans ce lointain sud il existât une masse de terres suffisamment lourde pour contrebalancer celles de l’hémisphère nord, faute de quoi la terre eût basculé.
Le concept demeura d’ailleurs sans grand intérêt jusqu’au jour où , en contournant l’Afrique, les Portugais prouvèrent que l’homme pouvait traverser l’équateur sans périr brûlé vif. Dès lors, la Terra Australis Incognita devenait objet de supputation; on pouvait l’atteindre, elle était peut-être riche. Les hommes se mirent à spéculer sur ses limites, ses habitants et ses richesses. Ils devaient continuer à bâtir des théories pendant des siècles.
A diverses époques de sa longue histoire, on attribua à ce continent austral une position et une superficie telles qu’il couvrait presque tout l’hémisphère sud, jusqu’à l’équateur. Dias et Vasco de Gama, en contournant l’Afrique, repoussèrent ses limites présumées nettement au sud du cap de Bonne-Espérance et Magellan, en doublant l’Amérique du Sud, les rejeta au-delà du 52e parallèle sud, mais seulement le long de la route qu’il avait suivie. Ce continent inconnu ne se rétrécissait que quand la quille d’un navire rabotait les limites que lui assignaient les cartographes.
L’extraordinaire persistance de ce continent fantôme résulte surtout des difficultés que soulevait sa recherche. Au XVIe siècle, l’Espagne et le Portugal exerçaient une action prépondérante dans l’hémisphère sud. Trop occupé à maintenir ses liaisons maritimes avec le Brésil, les Indes et les Moluques, le Portugal ne pouvait distraire les hommes et les navires nécessaires à de nouvelles explorations. De son côté, l’Espagne, qui possédait des bases au Pérou et au Mexique, et maintenait un trafic régulier entre Acapulco et les Philippines, se trouvait bien placée pour explorer le Pacifique sud. Cependant, les alizés du sud-est portaient les bâtiments vers l’équateur et empêchaient pratiquement un navire parti de la côte mexicaine de pénétrer dans le Pacifique sud. Toutes les grandes reconnaissances destinées à balayer la partie du sud du Pacifique devaient obligatoirement partir d’Europe, en doublant pour commencer le cap de Bonne-Espérance.
Autre difficulté, du temps de la Renaissance la navigation demeurait approximative. Un atterrage était rarement repéré avec assez de précision pour permettre à un autre navigateur de l’identifier par la suite. Cette imprécision ne faisait en fait que traduire, du moins dans une grande mesure, l’impossibilité de calculer la longitude avec quelque exactitude. Alors que l’estime permet aisément d’atteindre et même de relever la côte d’un continent, la localisation d’une île est une toute autre question.
En 1508, l’Espagnol Alvario de Mendana découvrit, à quelques 200 milles à l’est de la Nouvelle-Guinée, les îles Salomon, qu’il dénomma ainsi parce qu’il pensait que l’archipel constituait un avant-poste de la Terra Australis Incognita, terre où il espérait trouver les légendaires mines d’or du roi Salomon. On perdu la trace de ces îles et, au cours de son second voyage, Mendana ne put les retrouver. Par la suite, l’archipel fut redécouvert à plusieurs reprises et baptisé chaque fois d’un nom différent; il fallut attendre deux siècles pour restituer à Mendana l’honneur de les avoir aperçus pour la première fois. Par ailleurs, certaines terres mentionnées par Marco Polo s’étaient peu à peu fondues avec la Terra Australis dans l’esprit des géographes. Les explorateurs qui avaient eu le privilège de reconnaître les côtes de la Malaisie et de l’Indonésie n’ayant pas retrouvé les fabuleux royaumes signal.s par Marco Polo, les cartographes avaient simplement repoussé ceux ci vers le sud.
A propos du royaume de Lokak, par exemple, Marco Polo n’avait-il pas dit: “L’or y est si abondant qu’il faut y avoir été pour le croire”. Sans doute s’agissait-il du Siam (l’actuelle Thaïlande), ou de la Malaisie, mais les explorateurs avaient découvert si peu d’or dans ces pays que le royaume de Lokak s’était trouvé rejeté vers le sud par les géographes. Dans l’atlas qu’Abraham Otell, d’Anvers, publia en 1570 et qui eut un retentissement considérable, la côte de Terra Australis, partant du Sud du détroit de Magellan, s’élève en direction du nord-ouest à travers le Pacifique jusqu’à une avancée qui englobait l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Guinée et le fameux royaume de Lokak.
Cet atlas eut une large diffusion en Angleterre, en même temps que courait une rumeur selon laquelle les Espagnols auraient découvert l’Ophir, la riche région des mines du roi Salomon; en conséquence, sous l’impulsion de marchands imaginatifs et d’experts géographes comme John Dee – aussi certain de l’existence de la Terre Australis que des passages du nord-ouest et du nord-est -, des projets d’exploration du continent austral prirent forme petit à petit. Certes, les visées étaient loin d’être modestes. L’expression “Empire Britannique” surigt pour la première fois, et ce fut sous la plume de John Dee qui proclama: l’Angleterre doit avoir le Sud! L’Espagne avait l’Ouest et le Portugal l’Est.
A la recherche du continent austral appelé Terra Australis, les trois premières expéditions profitèrent des vens dominants. Sir Francis Drake, après avoir reconnu les côtes occidentales des deux Amériques, se laissa porter par les alizés du nord-est jusqu’aux Moluques. Pero Fernandes de Queiros appareilla du Pérou et conduisit son expédition aux Nouvelles-Hébrides; l’un de ses navires remonta jusqu’aux Philippines. Se laissant pousser par les vents d’ouest dominants, Abel Tasman découvrit la Tasmanie et la Nouvelle-Zélande; ce Hollandais crut que cette terre constituait la pointe la plus septentrionale du continent mythique. Aucun de ces hommes ne perça le mystère de la Terra Australis, qui demeurera une énigme jusqu’en 1775, date de l’expédition de James Cook.
D’après L’Âge des Découvertes par John R. Hale et les Rédacteurs des Collections Time-Life, 1967.
