Pierre Cot juge la France à la radio des États-Unis
L’ancien ministre français de l’air, réfugié en Amérique où il enseignera dans une université, condamne Pétain qu’il accuse d’avoir livré sa patrie à Hitler
26 août 1940. Pierre Cot, ancien ministre français de l’air, homme que la presse française de droite a accusé, sans se lasser, avant la guerre, d’avoir, avec le concours du gouvernement du front populaire de Léon Blum, réduit l’aviation de son pays à l’état lamentable dans lequel elle se trouvait en septembre dernier, a déclaré, ce soir, à la radio américaine qu’en capitulant sans engager toutes les ressources de la France Pétain et Weygand avaient livré leur patrie à Hitler.
Cot vient d’arriver aux États-Unis de la Grande-Bretagne où il s’était réfugié après avoir déserté la France. Il fut interviewé par M. Johannes Steel, commentateur. Il a donné ce qu’il dit être ses premières impressions et non pas des jugements finals sur la débâcle française. Cot vient aux États-Unis pour y travailler dans une université.
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Il a dit que la résistance anglaise était admirable et que la Grande-Bretagne devient tous les jours un peu plus forte. Il a ajouté : « Mais l’Angleterre a besoin de matériel de guerre. Nous devons aider l’Angleterre parce que l’Angleterre ne se bat pas seulement pour elle mais pour la liberté et la démocratie. Si l’Angleterre est vaincue la liberté disparaîtra de la surface de la Terre.
IM Cot accusa l’état-major français et la commission supérieure de la guerre de n’avoir pas reconnu la valeur militaire des tanks et des avions. Il révéla qu’en 1936, alors qu’il était ministre de l’air, il avait soumis à l’armée un rapport sur la nécessité où se trouvait la France de doubler les effectifs et le matériel de son armée de l’air. Par la suite il ajouta : « La commission supérieure de la guerre groupait des homme comme Édouard Daladier, Gamelin et Pétain. Ces hommes ne croyaient pas en la force des chars d’assaut et des avions. Ce sont eux qui nous ont préparés à la guerre que nous venons de perdre. »
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Cot a encore dit que la France, durant la guerre, aurait eu besoin d’un jeune général comme Charles de Gaulle, président du comité national français de Londres. « Mais au lieu d’appeler de Gaulle, poursuivit-il, pour réparer les erreurs du vieux Gamelin, ils appelèrent Weygand de sept ans plus âgé que Gamelin. Une étude des ordres militaires que Gamelin a donnés étonnera le monde lorsqu’ils on les publiera. La facilité avec laquelle Allemands entrent en France, a surpris eux-mêmes. »
Cot a dit que l’on avait lancé dans la bataille à peine la moitié de l’aviation de guerre de la France. Des 3,000 avions de première ligne qu’aurait eu son pays, 1,000 se stationnaient en Afrique du Nord. Autres 400 sur les Alpes. D’autres 300 derrière la ligne Maginot. « Au lieu d’utiliser nos 3,000 avions sur le front de l’ouest, poursuivit-il, on n’en utilisa que 1,300. L’Allemagne, pour sa part, avait jeté dans le conflit tout ce qu’elle possédait en fait d’avions. »
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Cot a dit encore que l’on n’avait détruit rien pour gêner l’avance allemande. En fait si l’on dynamitait les ponts, les postes de ravitaillement en essence et les routes, les Allemands auraient mis au moins deux mois à traverser la France. « Durant ces deux mois, a-t-il continué, la France aurait pu transporter de grandes parties de ses armées en Afrique du Nord. Churchill nous a proposé cela. Pétain et Weygand ont refusé. Si la France avait continué de se battre avec sa flotte et son aviation intactes et ses armées de l’Afrique du Nord, la situation serait tout autre aujourd’hui.
Durant l’été nous aurions été capables d’effacer l’empire italien de la carte du monde. Il n’y a pas de comparaison entre le moral des populations anglaises et celui des populations françaises. Dans toutes les classes anglaises, tout le monde est déterminé à ne pas plier devant la menace intérieure ou extérieure du national-socialisme. Les prétentions des Britanniques sur le nombre d’avions allemands qu’ils descendent sont correctes. J’ai eu moi-même l’occasion de vérifier ces chiffres.
La France rapatrie ses blessés qui sont encore dans les îles anglaises
Le comte de Chambrun et sa femme, la fille de M. Laval, viennent aux États-Unis – L’usine Dewoitine n’appartient plus à la famille de ce nom
Gibraltar, 26 août 1940. Deux navires-hôpitaux français, le « Sphinx » 11,375 tonnes, et le « Canada », 9684 tonnes, arrivent, ici aujourd’hui. Ils sont en route pour la Grande-Bretagne. Là où, comprend-on, ils embarqueront les blessés de guerre français qu’ils rapatrieront.
Vichy, 26 août 1940. Le comte René de Chambrun et sa femme la fille du vice-président du conseil, Mé Pierre Laval, partent, aujourd’hui, pour Lisbonne. La-bas ils s’embarqueront à bord d’un clipper qui les conduira aux États-Unis.
New York, 26 août 1940. M. Jules Gardes, ancien gouverneur général des colonies françaises de l’Afrique du Nord, arrive, ici, aujourd’hui, à bord d’un clipper. Il se rend dans les possessions françaises des Antilles. Cela pour y « accomplir une mission extraordinaire que le gouvernement de Vichy lui a confiée. ».
New York, 26 août 1040. M. Émile Dewoitine, constructeur français d’automobiles et d’avions, a dit, à son arrivée à New York, aujourd’hui, que son usine « n’appartenait plus à la famille Dewoitine parce qu’il est lui-même aux États-Unis. » Il a refusé de répondre aux interrogations qu’on lui posait pour savoir si les nazis avaient mis la main sur cette usine. Laquelle, a-t-il révélé, produisait 200 avions par mois, lorsque la France signa un traité d’armistice avec le Reich.
Voir aussi :
- La France demande l’armistice aux Allemands
- Premières lois en France après la défaite
- La guerre et les avions
