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Passage du Nord-Ouest et les idées de Sir Gilbert

Passage du Nord-Ouest et les idées de Sir Gilbert

Passage du Nord-Ouest et les idées de Sir Gilbert

Sir Humphrey Gilbert, un demi-frère de Sir Walter Raleigh, était le défenseur lu plus éloquent du passage du nord-ouest. Brillant représentant de cette classe d’hommes d’action, si exclusivement anglaise, qui s’est toujours signalée par son courage à tout risquer, sa solide instruction et sa ruse innée, Sir Gilbert réunit un dossier détaillé afin de contrer les arguments des partisans du passage du Nord-Est. Il avait pour principal opposant Anthony Jenkinson, qui avait gagné la Russie par mer et traversé le continent européen jusqu’à la mer Caspienne. Un jour de l’hiver 1565-1566, les deux hommes confrontèrent leurs points de vue sur le problème des routes polaires en présence de la reine Elisabeth.

Les arguments de Jenkinson ne nous sont parvenus que sous forme de mentions dans le plaidoyer que Gilbert publia dix ans plus tard sous le titre de Discours sur la Découverte d’un Nouveau Passage vers Cathay. Un simple coup d’œil à cette narration montre dans quelle atmosphère de crédulité et d’astuce les projets de voyage par le nord voyaient le jour.

Conforme à l’opinion de la plupart des géographes contemporains, la thèse de Gilbert admettait l’existence du passage Nord-Est mais soutenait que, plus malaisé à franchir que celui du Nord-Ouest, il obligeait les navires à monter plus haut en latitude. Selon lui, une fois doublé le Labrador, la route s’inclinait régulièrement au Sud-Ouest et, par le détroit d’Anian, débouchait dans le Pacifique: elle suivait la ligne droite qui, sur une carte actuelle relierait la baie d’Hudson et Seattle. Les navires l’empruntant se seraient trouvés pendant la majeure partie du voyage dans des eaux aux températures voisines de celles qui baignaient l’Angleterre.

Il est frappant de voir comment, dans son plaidoyer, Gilbert attaque Jenkinson point par point puis développe sa thèse. Nul voyageur n’avait emprunté l’une ou l’autre de ces routes et les contradicteurs étaient obligés de fonder leur arguments sur les renseignements concernant les approches des deux passages, et qui dans la plupart des cas n’étaient qui des ouï-dire relatifs aux voyages de l’époque ou des informations tirées des écrits des anciens. Toutefois, Jenkinson s’était entretenu avec un pêcheur tartare, qui s’était avancé – disait-il – très loin vers l’est sans rencontrer autre chose que des eaux libres.

« Sur quoi je lui ai répondu », écrit Gilbert, « que les Tartares étaient des Barbares, ignorant tout de l’art de la navigation… D’ailleurs, en mer on ne peut voir à plus de 20 milles ». Jenkinson avança ensuite un fait précis; une corne de licorne avait été trouvée sur le littoral de la mer de Barents et ces animaux magiques pullulant, comme on le sait, dans l’empire de Cathay, la corne n’avait pu dériver que par le passage du Nord-Est. À quoi Gilbert rétorqua que la corne aurait coulé entre deux eaux avant d’atteindre l’Europe. Et d’ailleurs, ajoutait-il, pourquoi soutenir que la corne était d’origine asiatique alors que les autorités du Moyen Âge admettaient l’existence de l’Asinus Indicus, animal à une corne, et ceci sans faire mention des poissons portant une corne. (L’animal dont on discourait relevait évidemment de la légende et le poisson n’était autre que le narval, auquel on doit vraisemblablement toutes les cornes de licorne.) Sur ce point, Gilbert voyait juste, mais par hasard.

Ayant ainsi réfuté, non sans satisfaction, les arguments de Jenkinson, Gilbert passa à l’offensive. Il cita Pline, qui avance que « certains Indiens sont portés par la tempête sur les côtes de l’Allemagne ». Et on a encore vu des Indiens débarquer sur ces rivages en 1160, précisa Gilbert. Ces visiteurs, il en était certain, venait de Cathay par le passage du Nord-Ouest, et d’ailleurs, le fait pouvait se prouver. Les vents contraires et de forte mers interdisaient aux Indiens de doubler en pirogue le cap de Bonne-Espérance. S’ils étaient venus d’Asie par voie de terre, on aurait signalé leur passage en Europe méridionale.

Les résultats décourageants des efforts des navigateurs anglais pour pénétrer dans la mer de Kara, au-delà de la Nouvelle-Zemble, prouvaient que ces Indiens n’avaient pu emprunter le passage du Nord-Est. Comment des voyageurs venus de Cathay auraient-ils pu traverser l’Arctique si inhospitalier? Le fait est bien connu, dit Gilbert, «si près du pôle, le froid perçant de l’air, particulièrement épais, raidit et surcharge la voile et les cordages de telle sorte qu’aucun marin ne saurait hisser ou amener une voile. De plus, près du pôle, la brume et les brouillards assombrissent l’air au point que le marin ne peut diriger son navire et choisir sa route. Et aussi, à une telle hauteur en latitude, le compas varie très soudainement, toutes choses qui bien sûr les ont conduits, ces voyageurs, à leur perte, bien qu’ils aient été gens possédant un plus grand art de la navigation, que les Indiens ».

Gilbert concluait que tout, dans sa démonstration, prouvait l’existence d’une seule voie possible vers la Chine par le nord, celle du passage du Nord-Ouest. Il existait et l’Angleterre devait en profiter. Avec des présomptions moins fortes, Colomb avait découvert l’Amérique; l’Angleterre se devait de rattraper son retard. Le passage du Nord-Ouest constituerait une route maritime plus courte que celles empruntées par les Espagnols ou les Portugais; donc les frais de transport des produits de Cathay seraient moins élevés.

« Il y a un autre avantage », ajouta Gilbert, « nous pouvons peut-être peupler certaines de ces contrées et y établir quelques besogneux de chez nous qui troublent le bien-être public, et que leurs besoins conduisent à commettre des délits outrageants pour lesquels ils sont condamnés au gibet ». Ces « besogneux » fonderaient une colonie – le Mozambique de l’Amérique du Nord – qui servirait de relâche pour les navires affectés au passage du Nord-Ouest, et aussi de centre pour le commerce de la fourrure et du poisson séché.

Cet ultime argument de Gilbert, avancé plutôt comme une réflexion après coup, sera en définitive la seule de ses idées qui confirmeront les faits : la colonisation anglaise de l’Amérique du Nord.

Même sans s’arrêter à l’éloquent plaidoyer de Gilbert, les perspectives qu’offrait la recherche du passage du Nord-Ouest semblaient bonnes. Certains se rappelaient que, dès 1509, Sébastien Cabot avait découvert l’entrée d’un bras de mer, en fait, en fait les abords de la baie d’Hudson. Certes, le navigateur avait été obligé de faire demi-tour en raison de la dérive des glaces et d’une mutinerie, mais la baie amorçait sans doute l’inclinaison de la côte vers le sud, en direction du détroit d’Anian. Mieux, la baie était peut-être un détroit permettant de rejoindre le Pacifique. D’autres parlaient de la «mer de Verrazano », au nord de la Caroline, pour démontrer la proximité des côtes du Pacifique.

Le progrès méconnu (c’est arrivé en 1937)

La marche actuelle du pro- grès scientifique a été parfaitement illustrée par l’indifférence presque complète du public vis-à-vis des récents événements au pôle nord. En août, il y à vingt-cinq ans, le monde entier se passionnait profondément pour la randonnée épique du capitaine Scott et de ses compagnons, de même pour le voyage d’Amundsen.

Maintenant, on relègue dans un pied de colonne un petit paragraphe: “Le professeur Schmidt, revenant du pôle nord, est rentré hier à Moscou”. Et personne n’y fait attention.

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Carte des régions polaires par John Dee, dessin à l’encre sur vélin, 1582, Free Public Library, Philadelphie (Fernand Bourges). La carte montre les routes suivies par quelques-uns des nombreux explorateurs qui tentèrent d’atteindre l’Asie en passant par le nord de l’Europe ou par le Nord de l’Amérique. Willougby, Chancellor, Burrogh et Barents s’engagèrent en direction du Nord-Est, mais ils se trouvèrent bloqués le long des côtes de la Russie. Les Anglais Frobisher, Davis et Hudson tentèrent de trouver le passage du Nord-Ouest, mais leurs voyages continuèrent surtout à la reconnaissance d’une large partie des côtes septentrionales de l’Amérique. L’étendue maximum et l’étendue minimum de la zone navigable sont figurées sur cette carte et entourent la calotte glaciaire permanente.

D’après L’Âge des Découvertes par John R. Hale et les Rédacteurs des Collections Time-Life, 1967.

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