La mort de Léon Trotski

Léon Trotski est mort :  Avant de succomber, il accuse Staline de l’avoir fait assassine

La presse canadienne couvre l’assassinat de Léon Trotski en août 1940 :

Mexico, 21 août 1940. –

Léon Trotski est mort ce soir, après avoir accusé formellement la police secrète de Staline de l’avoir fait assassiner. Cet agitateur professionnel a eu une vie extrêmement mouvementée. De son vrai nom Lev Davydovich Bronstein, il était né en Ukraine où son père était un riche fermier juif.

Il devint socialiste à l’âge de 17 ans et quitta ses parents. Deux ans plus tard, il était arrêté pour la première fois dans sa longue carrière. Il rencontra Lénine en Finlande. Durant la Grande Guerre, il vécut dans plusieurs pays. Il était à New York, où il fournissait de la copie à plusieurs journaux lorsque le tsar abdiqua. Il s’embarqua immédiatement pour l’Europe où il alla rencontrer Lénine et plusieurs de ses disciples à à Saint-Pétersbourg. C’est là qu’il complota avec eux et qu’il prépara le coup d’État qui renversa le régime Kerenski.

Une fois au pouvoir, Lénine en fit d’abord son ministre aux Affaires étrangère» puis son ministre de la Guerre. C’est à lui que la Russie doit d’avoir la formidable machine de guerre qu’elle possède maintenant.

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On croyait généralement qu’il succéderait à Lénine lorsque celui-ci mourut en 1924 mais Staline s’empara du pouvoir et l’a conservé jusqu’à aujourd’hui. Les deux hommes devinrent des ennemis mortels. Trotski fut destitué et exilé. Il devint un errant. Rendant plusieurs années il ne put entrer dans un pays sans en être chassé quelques mois plus tard. En 1937, il arrivait au Mexique qui avait accepte de lui donner refuge.

Depuis son arrivée au sud du Rio Grande, Trotski fit souvent parler de lui. Il écrivait beaucoup. Cet homme appelait Staline et ses partisans une bande de destructeurs sans principe. Il prédisait que le Comintern ferait faillite. Ce révolutionnaire disait enfin que la police soviétique en voulait à sa vie.

Il fut souvent en danger. Peu de temps après son arrivée ici, un de ses gardes du corps était tué près de lui. Le 24 mai de cette année, il échappa miraculeusement à la mort lorsque des inconnus firent feu dans sa maison.

Il se querelle un jour, avec Diego Rivera, le fameux peintre mexicain, chez qui il vivait, et quitta sa maison.

San Francisco, 21 août 1940.

Diego Rivera, peintre mexicain, a déclaré aujourd’hui que l’on tenterait vraisemblablement de l’abattre maintenant que Trotski, avec lequel il a déjà eu une violente querelle, est mort. « Je dois m’attendre à quelque chose, a-t-il déclaré, bien que je n’aie eu aucune relation avec M. Trotski depuis quelque temps. J’ai le pressentiment qu’il m’arrivera quelque chose ».

Mexico, 21 août 1940. (PA.)

Ledit Trotski a déclaré, dit-on, ce soir, sur ce qui sera vraisemblablement son lit de mort, à son secrétaire: « Cette fois, c »est bien la fin. Mon agresseur était un membre de l’Ogpou, la police secrète soviétique ou un fasciste. Mais je crois plutôt que c’était un homme de Staline. »

En dépit de la conviction qu’il a qu’il va mourir, les amis du bolchéviste, lequel est maintenant âgé deb61 ans, ont fait dos arrangements pour faire venir, ici, par avion, demain, le Dr Walter Dandy, un spécialiste des opérations du cerveau. M. Dandy est de Baltimore.

M. Joseph Hansen, le secrétaire du mourant, a aussi dit que le vieillard lui avait donné ce testament politique: « S’il vous plait, dites h nos amis que je suis certain de la victoire de la quatrième Internationale. Allez de l’avant. »

Voici selon Hansen comment l’agression dont Trotski a été victime se serait déroulée : « Léon Trotski lutte maintenant contre la mort. Il a de grandes chances de trépasser. II fut abattu par un agent de l’Ogpou de Staline. Trotski connaissait son assassin, Frank Jackson, depuis six mois. Jackson avait la confiance de Trotski parce qu’il avait des relations avec le mouvement trotskyste en France et aux États-Unis.

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Les deux hommes se voyaient souvent. Jamais nous n’avons soupçonné Jackson d’être un agent de l’Ogpou. Jackson arriva, hier, chez Trotski vers 5 h. 30 en lui disant qu’il venait d’écrire un article sur lequel il désirait connaître son avis. Trotski le fit entrer dans son étude. Quelques minutes passèrent puis on entendit des cris et le bruit d’un corps-à-corps. Deux des secrétaires du vieillard se ruèrent à son secours pour le voit tomber dans leurs bras, la figure en sang. L’un des gardes s’empara de l’agresseur pendant que l’autre prenait soin de Trotski. Le reste est maintenant connu du public. »

Mexico, 21 août 1940. –

Léon Trotski le génie de la révolution bolchéviste, est toujours a deux doigts de la mort, ce soir, pendant que la police interroge une fille de Brooklyn, État de New-York, afin de savoir ce qu’elle connaît de l’homme qu’elle a présenté elle-même à Trotski, il y a près d’un an, et qui, hier, durant une conversation, s’est rué sur lui en lui donnant des coups de pic.

Le secrétaire du vieil agitateur, M. Joseph Hanson, a, entretemps, rapporté par téléphone, à New York, que Trotski, avant d’entrer dans le coma, cet après-midi, a déclaré qu’il n’en reviendrait pas. Il a aussi formellement accusé Joseph Staline de « l’avoir eu ». « Je ne survivrai pas à cela », a dit le blessé. « Staline a finalement réussi à m’avoir, après tant d’échecs. »

La situation du révolutionnaire, célèbre dans le monde entier, est si critique que ses médecins n’entretiennent aucun espoir de le sauver. Il souffre d’une blessure au crâne, qui lui a découvert le cervelet, et d’une fracture à la base du crâne. Il est aussi blesse n l’épaule et à la cuisse droites.

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L’agresseur de Trotski prétend s »appeler Frank Jackson mais son nom véritable, selon la police, est Jacques Mortan Van den Dreischd. Il est âgé de 36 ans. Belge de naissance, il a vu le jour n Téhéran, en Perse.

La fille qui a présenté Van den Dreischd à Trotski, Sylvia Agaloff, de Brooklyn, serait la soeur de Ruth Agaloff, secrétaire de Trotski, durant son séjour à Paris, il y a quelques années.

La police a dit que la belle « Sylvia » leur a avoué que Jackson s’était présenté à elle comme un géologiste. Hier, il avait prétendu être journaliste. « Sylvia » ne sait pas au juste ce que Jackson fait pour vivre. Elle a répété que ce dernier lui avait dit récemment qu’il avait hérité d’une forte somme d’un parent décédé.

Léon Trotski victime d’un complot international

C’est ce que prétend maintenant la police secrète du Mexique

Mexico, 22 août 1940. — La police mexicaine poursuit, ce soir, son enquête sur l’assassinat de Léon Trotski qui, à son avis, est une affaire qui a toutes les apparences d’un complot international. Elle a obtenu de nouvelles déclarations de l’homme qui est détenu comme son meurtrier, Frank Jackson, qu’elle prétend maintenant être un citoyen américain.

Les amis de Trotski, entretemps, s’emploient à disculper la belle Sylvia Ageloff, de Brooklyn, une amie de Jackson. Ils disent qu’elle a été, utilisée sans le savoir comme outil par Jackson et qu’elle ignorait tout du projet qu’avait fait ce dernier de débarrasser la terre de celui que l’on i a appelé « le génie de la révolution bolchéviste ».

La belle Sylvia est la personne qui présenta Jackson à Trotski et pendant des mois elle joua le rôle d’une admiratrice éperdue du Juif Bronstein.

(À Chicago, l’avocat de Trotski aux États-Unis a déclaré que Jackson avait admis qu’il avait reçu l’ordre de la police secrète soviétique de tuer Trotski ou de consentir à ce que sa mère qui est en Russie soit exécutée.)

(À New-York, Alexandre Kerenski, chef du gouvernement russe révolutionnaire qui renversa le régime du tsar, a admis qui Staline avait pu ordonner la mort de Trotski. Il a ajouté, cependant, que Trotski était lui-même le plus impitoyable de tous les terroristes bolchévistes et qu’il était mort de la même façon qu’il avait fait tuer des centaines de ses adversaires.)

La mort d’un révolutionnaire

Les dernières paroles de Trotski mourant a son secrétaire furent celles-ci : « Dites à nos amis que je suis certain de la victoire de la Quatrième Internationale. Allez de l’avant ! » Pouvait-on attendre un autre testament de celui qui était l’incarnation même de la révolution ?

Et les naïfs qui voyaient en Trotski exilé, chassé de la Russie communiste, un paisible observateur des événements contemporains, revenu de erreurs de jeunesse, seront-ils maintenant convaincus que l’homme qui vient de mourir de la main d’un assassin, était resté un révolutionnaire. Ainsi, de sa retraite forcée au Mexique, il continuait de travailler activement à à la révolution mondiale? Qu’en pense la Gazette, qui annonçait naguère avec un stupide emphase la publication d’une série d’articles du compère de Lénine sur la guerre actuelle et qui donnait Trotski pour l’un des rares hommes dignes d’éclairer ses lecteurs ? Rien n’est plus bête qu’un béta prétentieux : La Gazette a donné sa mesure ce jour-là.

Trotski, avons-nous dit, était l’incarnation même de la révolution. En effet, il n’était pas révolutionnaire parce qu’il voulait, par la révolution, atteindre un but quelconque, précis, dont la conquête eut marqué le terme de son action destructrice. Il était révolutionnaire par amour de la révolution et il voyait en elle une entreprise continue, incessante, jamais finie.

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Il croyait, comme Saint-Just, que la révolution cesse d’être la révolution dès qu’elle s’arrête, dès que son œuvre cesse d’être changement et destruction. Cela explique son attitude à l’égard du régime actuel de la Russie soviétique, qu’il ne jugeait pas révolutionnaire, mais, tout au contraire, traitre à la révolution. Cela explique aussi la haine dont le poursuivait son successeur Staline. Le chef actuel de la Russie redoutait les menées révolutionnaires de Trotski ! O paradoxe!

Trotski avait finalement trouvé asile au Mexique, après avoir été expulsé de Scandinavie et s’être vu refuser l’entrée do tous les pays d’Europe. Âgé de soixante, ans, il était encore très actif et entretenait des relations avec tous les milieux subversifs. Sa mort violente débarrasse le genre humain d’une vermine dangereuse. Ce n’est sûrement pas nous qui irons verser un pleur sur sa barbiche malfaisante.

Trotski est mort par les moyens qu’il a prêches

New-York. 22 août 1940. – Alexandre Kerensky, leader de la première révolution russe qui renversa le tzarisme, a déclaré, ici, que Trotski, le plus sanguinaire des terroristes bolchéviks, est mort par les moyens mêmes qu’il a toujours prêchés. Il ajoute cependant que – selon lui – la mort de Trotski a été ordonnée par Staline.

(Journal Le Canada, 22 août 1940).

Léon Trotski
Léon Trotski. Photo : iStock, libre de droit.

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