Lutyens, un célèbre architecte

Lutyens : du domestique anglais au pouvoir classique

Parmi les derniers géants de l’architecture, il n’y a pas eu que des modernistes, tel qu’on serait tenté de le croire devant la prolifération de bâtiments fonctionnalistes dans nos villes. Ont également existé des gens qui puisaient à des sources ancrées beaucoup plus loin dans le temps. Sir Edwin Lutyens, architecte anglais né en 1869, est de ceux-là.

Au moment de la célébration du 100e anniversaire de sa naissance, son oeuvre a créé une nouvelle vague d’intérêt chez les historiens. Il est ironique de constater que cet architecte, que rejettent certains tenants du modernisme, sous prétexte qu’il n’a pas su se laisser imprégner de l’esprit du XXe siècle, était par contre l’objet d’une admiration profonde tant chez Frank Lloyd Wright que chez Le Corbusier. Pour sa part, ce dernier devait hériter d’une commission similaire à celle qu’avait obtenue Lutyens quelques années plus tôt, à savoir la construction du siège du gouvernement en Inde.

Pour Lutyens, il s’agissait de répondre aux besoins d’un gouvernement colonialiste, imposant sa règle au peuple indien en bâtissant une nouvelle capitale à la Nouvelle-Delhi, alors que Le Corbusier devait ériger à Chandigarh, un monument à une Inde nouvellement indépendante. Dans les deux cas, cependant, l’intervention fut d’ordre totalement étranger au pays et fort peu concernée par l’architecture locale. Lutyens ne cachait pas son indifférence vis-à-vis l’architecture indienne qu’il jugeait presque sans intérêt.

C’est donc dans cet état d’esprit qu’il en vint à créer un splendide monument classique à l’état colonialiste anglais. L’œuvre de Lutyens à la Nouvelle Delhi est ainsi décrite par un de ses compatriotes, en 1931: «Soudain, sur la droite, se profile à l’horizon une silhouette de tours et de dômes ensoleillés, roses et crème, contre le bleu du ciel: il en émane la fraîcheur d’une tasse de lait et la grandeur de Rome.»

Toutefois, la carrière de Lutyens avait commencé dans une tout autre direction. Établi à son compte dès l’âge de 20 ans, après avoir fait travaillé quelques mois chez l’un des architectes réputés de l’époque, Lutyens construit une première résidence de campagne, dès 1889. En Angleterre, il existe alors une tradition de grandes villas chaleureuses, recouvertes d’immenses toits en pente et entourées de ces jardins si chers au coeur des Anglais. Lutyens s’inspire de cette architecture «vernaculaire» qu’il renforce et raffine à sa façon. L’année 89 marque également sa rencontre avec Gertrude Jekyll, artiste et paysagiste hors pair. Jusqu’à la fin de sa vie, elle collaborera avec l’architecte : Lutyens lui érigera d’ailleurs un cénotaphe d’une extrême simplicité qu’il entourera de quatre arbres, plantés en guise de sentinelles.

Lutyens ne construira pas qu’en Angleterre, mais aussi en France où il effectuera une dizaine de commissions pour des clients «anglophiles». Son intérêt pour le classicisme s’éveillera vers le début du siècle et se reflétera d’abord dans les résidences qu’il construit dans le style «géorgien». Un peu plus tard, d visitera l’un de ses anciens collègues, l’architecte Baker qui travaille en Afrique du Sud Celui-ci, qui puise magistralement aux sources classiques, en donnera le goût définitif à Lutyens: ensemble, ils travailleront éventuellement à la conception de la Nouvelle Delhi dans un langage néo-classique Malheureusement, cette association ne survivra pas à certaines divergences d’opinion survenues en cours de construction.

Lutyens, qui était un être rempli d’humour, réglera maints conflits à l’aide de jeux de mots, forme d’esprit qu’il affectionnait particulièrement. Cet amour de l’ambiguïté se reflétera dans ses bâtiments où il créera divers types d’effets, à la surprise parfois désagréable de ses clients. Ceux-ci lui demeureront cependant extrêmement fidèles. Selon Gavin Stamp, conférencier invité par la compagnie Alcan pour exposer le travail de Lutyens, ce dernier aurait possédé « les trois traits de caractère essentiels à la réussite d’un architecte : du charme, du charme et encore du charme. »

Évidemment, il s’agit là d’un charme tout à fait bourgeois. Toujours selon Stamp «Lutyens n’était pas intéressé aux problèmes sociaux et c’était la un de ses points forts»… Lutyens construit pour la classe dirigeante. Vers la fin de la première guerre mondiale, il devient Lun des architectes anglais les mieux en vue et on lui confie la tâche de construire plusieurs monuments pour commémorer les morts de la guerre.

À Londres, il érigera le Cénotaphe de Whitehall, puis il exécutera, en France, nombre de cimetières pour les soldats de l’Empire britannique tombés au champ de bataille. Grâce à son esprit inventif, il saura exprimer la mort de façon à la fois discrètement respectueuse et grandiose. On lui doit, entre autres, un magnifique portail en ziggurat, l’arche de Thiepval, en Picardie, terminée en 1924.

Entre-temps, on lui confie une commande tout à fait inusitée: celle d’exécuter une maison de poupée dédiée à la reine Marie. Cette maison est aujourd’hui exposée au Château de Windsor, en Grande-Bretagne. Lutyens se penche sur ce problème avec la même ardeur qu’il applique à ses autres projets et construit, à l’aide de centaines d’artisans, une demeure royale miniature. L’ameublement est composé de répliques exactes à échelle réduite: les tapis sont tissés, le piano lilliputien a un son juste et il y a même un minuscule pois sous le matelas de la princesse. Le jardin miniature est évidemment confié à Mme Jekyll, la fidèle compagne de travail de Lutyens.

Le conférencier Gavin Stamp, qui vient d’organiser à Londres une splendide exposition sur l’oeuvre de Lutyens, présentait au public montréalais, mardi soir dernier, les travaux les plus remarquables de l’architecte. Malheureusement, l’exposé dénotait un manque déplorable de sens critique. Ponctuant son discours d’épithètes tous plus élogieux les uns que les autres, Stamp donnait l’impression qu’avec suffisamment de bagout et le jargon approprié, on pourrait arriver à faire gober n’importe quoi à n’importe qui, technique nullement nécessaire pour faire apprécier l’oeuvre de Lutyens dans son ensemble.

Mis à part son mépris pour le «style Beaux-Arts, oh tellement ennuyeux», Stamp ébauche à peine le contexte historique dans lequel on doit situer Lutyens. Son geste le plus éloquent à cet effet est de mentionner Albert Speer, architecte de Hitler, et de dissuader le public d’établir un lien entre Lutyens et l’architecture du Troisième Reich. Cette obsession par rapport au fascisme et la façon dont on y associe certains architectes néoclassiques, est pour le moins regrettable. De la part de Stamp, on sent un désir de se montrer à la page, en acquiesçant la mode actuelle qui consiste à lancer à tort et à travers, dès qu’on est à court d’arguments, cette accusation ultime: fasciste! Hitler aimait aussi les toits en pente: les architectes qui les construisent devront-ils un jour se disculper devant l’opinion mondiale ?

(Par Odile Hénault, texte paru dans le journal Le Devoir, le 27 mars 1982).

Plan et élévation d’un «bâtiment» breveté en 1889 par Sir Edwin Lutyens. Le dessin représente une sorte de présage de son activité qui devait prendre place d’abord dans la campagne anglaise, puis en Inde. Image libre de droit.
Plan et élévation d’un «bâtiment» breveté en 1889 par Sir Edwin Lutyens. Image libre de droit.
Plan et élévation d’un «bâtiment» breveté en 1889 par Sir Edwin Lutyens. Le dessin représente une sorte de présage de son activité qui devait prendre place d’abord dans la campagne anglaise, puis en Inde. Image libre de droit.
Le dessin représente une sorte de présage de son activité qui devait prendre place d’abord dans la campagne anglaise, puis en Inde. Image libre de droit.

Des solutions architecturales modernes basées sur les solutions de Lutнens

L’architecture d’aujourd’hui s’inspire du génie de Lutyens et cherche activement de nouvelles solutions, basées sur ses propositions, mais complétées par de nouvelles idées développées sur la base de la technologie moderne et des matériaux les plus récents. Ainsi la cause pour laquelle l’architecte a dû lutter est toujours vivante et inspire des jeunes générations des architectes et bâtisseurs.

Architecture moderne inspirée des idées de Lutyens. Auteur du projet : Groupe COC.

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