
Les jardins communautaires de Podor : un lien entre le Québec et le Sénégal
Par Paul-André Boisclair. L’Interdit, mars – avril 1976, vol. 17.
Paul-André Boisclair, bachelier en Pédagogie de l’École normale Jacques-Cartier en 1962 ; licencié es Lettres, Histoire et Géographie en 1965 et qui a suivi des cours de maîtrise en histoire en 1971, nous trace ici le cheminement du Projet Podor qui était sous sa responsabilité. Monsieur Boisclair était en effet Directeur du SUCO/Sénégal en 1974-1976. Il est actuellement membre du Conseil d’administration du Service Universitaire Canadien Outre-Mer.
Podor, à 500km au nord-est de Dakar, jadis lieu de transit fluvial très actif sur le fleuve Sénégal et centre administratif départemental très important.
Aujourd’hui les installations portuaires sont pour la plupart désaffectées et les cadres administratifs sénégalais nommés à la préfecture locale voient leur nomination comme une mise au rencart, un exil.
En 1972, au plus fort de la sécheresse sahélienne, le département fut déclaré zone sinistrée à 100%: les troupeaux de bovins des Peuhis nomades étaient souvent détruits à 75%, les troupeaux d’ovins et de caprins à 50%. Pour les cultivateurs toucouleurs, l’utilisation des greniers à mil était chose du passé. L’ensemble de la population nomade et sédentaire vivait au jour le jour, les vieux s’accrochant désespérément à leur coin de sable, les jeunes migrant massivement vers Saint-Louis, la capitale régionale du Fleuve, ou Dakar, la capitale nationale, en quête d’un illusoire travail.
C’est dans ce contexte que s’amorça en 1974, l’opération «jardins communautaires » du SUCO. Dés 1971, des organismes privés religieux de coopération (Cathwell, Carltas) avaient distribué gratuitement aux populations d’agriculteurs des semences de légumes afin de combler, par des cultures irriguées, la tragique baisse de la production céréalière traditionnelle. Les populations villageoises se tournèrent avec enthousiasme vers cette alternative alimentaire. Dès les premiers résultats, plusieurs villages impliqués sollicitèrent que cette production soit organisée et systématisée.
Les résultats observés dans la zone des terres les plus fertiles longeant le fleuve (Oualo), malgré l’absence de connaissances techniques des paysans et le manque d’outillage approprié, étaient prometteurs: pendant la saison 1972-73, plus d’une centaine de jardins s’étaient développés dans le département impliquant près de 9,000 personnes spontanément regroupées en associations de village.
L’intérêt de la production maraîchère, surtout durant cette période de sécheresse apparaissait évident: production de saison sèche (décembre – mai), les travaux exigés par le maraîchage ne pourraient pas nuire aux cultures traditionnelles de saison des pluies; ces nouvelles cultures permettaient même de combler, dans une certaine mesure, le déficit alimentaire actuel et de diversifier les sources nutritives traditionnellement limitées (encore plus en période de disette) ; la production maraîchère pourrait éventuellement apporter des revenus intéressants aux populations. Mais dans la perspective du SUCO, la composante importante de ce projet sur le plan socio-économique était la possibilité de participer à la mise en place d’une structure communautaire de production qui permettrait à une population donnée d’acquérir une certaine autonomie à l’égard des structures économiques traditionnelles.
Cependant les conditions de l’expérience 1971-1972-1973 ne permettaient pas l’autonomie des diverses communautés villageoises et les rendaient même dépendantes des dons annuels de semences. C’est pourquoi le SUCO répondit à la demande des populations et des autorités locales de mettre sur pied un projet. Dans le cadre de ce projet, il fut prévu la présence d’un technicien en horticulture et un budget de 45,000 dollars pour deux ans, pour l’achat des semences, engrais, matériel horticole et d’irrigation nécessaires. Dans son élaboration, on rechercha d’abord la viabilité et l’autonomie de l’opération: organiser la production maraîchère, dans un département, qui puisse être suffisamment forte pour se poursuivre d’elle-même d’année en année. Concrètement, il s’agissait de promouvoir une activité d’auto-développement capable d’absorber, sur une base de deux ans, les apports techniques et financiers extérieurs.
Ainsi furent définis les deux objectifs principaux du projet. C’est ainsi que Max Grethen, technicien en horticulture avec une expérience de quatre ans au Niger, au Mali et au Congo, s’installa à N’Dioum, en août 1974, au cœur du Département. Les tâches de Max étaient bien définies: distribution du matériel horticole nécessaire (petits outils, semences, engrais), mise en place de l’infrastructure hydraulique de base (puits, pompes), planification de la production, et avec l’appui des six moniteurs d’agriculture du département, coordination de l’initiation des paysans.
Pour des raisons pratiques, il avait été décidé de lancer le projet avec une quarantaine de villages. Plusieurs communautés villageoises se défilèrent devant les implications financières. Cette participation était cependant la clé de voûte de réussite du projet : elle était un indicatif de l’intérêt réel de chaque village et la seule possibilité d’en arriver à l’autonomie.
Il avait été convenu que les paysans verseraient dans une caisse communautaire villageoise le tiers du coût des semences, engrais et petits outils la première année, les deux tiers la deuxième année de même que le coût de la main-d’œuvre des puisatiers.
On prévoyait accumuler de la sorte un fonds de roulement suffisant pour l’entretien des outils et l’achat annuel des semences et engrais. Malgré les hésitations, Max réussit néanmoins à coopter quarante villages.
Mais l’encadrement de ces villages devait présenter des difficultés. Non motorisés, les moniteurs négligèrent certains villages, parfois distants de 20 ou 30km de leur lieu d’affectation.
Par ailleurs, à cause de complications administratives incontrôlables, les vélomoteurs commandés pour les moniteurs n’arrivèrent qu’à la toute fin de la campagne maraîchère 1974-75. Quant à Max, partagé entre Podor et Dakar (500km) et les 200km du département, il pouvait difficilement consacrer plus d’une demi-journée par village dans un mois. Plusieurs furent ainsi pénalisés.
Mais l’«imprévisible » qui bouleversa le plus le déroulement de l’opération fut le retour à une pluviosité presque normale à l’été 1974… La reprise des pluies relança donc les activités culturales traditionnelles. Avec fébrilité et anxiété, on leur consacra, semble-ti-l, toute l’énergie accumulée depuis sept ans de relative inactivité. Au moins le tiers des villages impliqués dans le projet abandonnèrent presque totalement leurs jardins qui furent pour une large part compromis.
Si la première année se solda par des résultats mitigés elle n’en fut pas moins riche en enseignements et le retour des pluies (non démenti lors de la saison 1975) a permis de replacer le projet dans un contexte plus réaliste: il fallait dorénavant beaucoup plus envisager la production maraîchère comme une production d’appoint modeste.
Or le projet avait d’abord prévu donner au maraîchage le rôle d’une culture de remplacement en période de disette.
En 1975-76, vingt-cinq villages poursuivent l’expérience. Adéquatement encadrés, ayant établi un équilibre entre les travaux traditionnels et les travaux maraîchers de saison sèche, avec un fonds de roulement assuré pour la prochaine année, concurrentiels sur les marchés régionaux, les vingt-cinq villages auront acquis après deux ans leur autonomie technique et financière, en ce qui concerne une production maraîchère de type artisanal. Ils auront surtout acquis une certaine indépendance économique vis-à-vis les productions céréalières traditionnelles. Surtout que cette indépendance aura été acquise par une action communautaire. Or, dans le contexte socio-politique traditionnellement féodal chez les Toucouleurs cette démarche collective justifie à elle seule tous les efforts mis dans ce projet puisqu’elle marque une innovation d’importance et à n’en pas douter un progrès vers une libéralisation.
Mais l’autonomie alimentaire du département n’est pas pour autant assurée, loin de là. Et la solution de base restera toujours l’établissement de politiques gouvernementales adéquates sur le plan national à l’égard des productions alimentaires nécessaires à l’autosubsistance du Sénégal.

Jardins du parc de la Batterie et une petite terrasse (chère mais agréable). Photo de GrandQuebec.com.
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