L’Irlande menacée par sa neutralité lors de la Deuxième guerre mondiale
Les bombes allemandes sont tombées, ces jours derniers, sur le territoire de l’Éire, ce qui a provoqué des protestations immédiates du gouvernement Valera auprès de Berlin, car l’Irlande entend défendre sa neutralité contre tout venant. M. de Valera réitérait il y a quelques semaines sa résolution de repousser par les armes tout État belligérant qui tenterait de pénétrer en territoire irlandais. Cela signifie clairement, bien que M. de Valera ne l’ait pas précisé, que l’Irlande regarde du même œil la Grande-Bretagne et l’Allemagne et que le mot invasion définit pour aussi bien une expédition britannique destinée à renforcer les défenses irlandaises qu’une attaque de parachutistes allemands.
Avec la Suisse, l’Irlande est aujourd’hui le seul pays de l’ouest européen qui ait réussi à sauvegarder sa neutralité. Combien de temps pourra-t-elle encore la conserver ? Y-a-t-il quelque espoir que ce petit pays, qui n’est nullement capable de résister a une agression allemande, ne partage pas le sort des autres nations qui ont été, les unes après les autres, depuis un an, les victimes de leur neutralité?
Neutralité du gouvernement Valera
Jusqu’ici, cette neutralité, qui dispensait la Grande-Bretagne d’assurer la défense des côtes irlandaises, faisait évidemment l’affaire de l’Allemagne, qui n’a rien négligé pour faire de l’Éire un centre commode d’espionnage, et elle s’y connaît… « Il faut remarquer, écrivait naguère M. J. Dolebecque. dans 1’Action Française, que ce n’est pas d’hier que des agents allemands pullulent en Irlande. Dés l’époque du régime Cosgrave, de nombreux « techniciens » germaniques avaient reçu des emplois dans les travaux publics, notamment dans l’entreprise du barrage du Shannon, de nombreuses firmes à capitaux allemands avaient été installées. Bref, les éléments d’une « cinquième colonne » ont été soigneusement assemblés. Dans ces conditions. on conçoit que l’Allemagne ait « respecté » la neutralité de l’Éire tant que cette neutralité était particulièrement propice à ses projets. Mais aujourd’hui ?
Hélas! les proclamations de neutralité du gouvernement Valera ne peuvent empêcher que, géographiquement, l’Irlande soit « la terre classique des débarquements ». De même que la Belgique, la Hollande et le Danemark étaient marqués pour l’invasion, l’Irlande semble bien être aujourd’hui, a cause des lois inexorables de la géographie, une proie d’autant plus tentante pour l’agresseur quelle est à peu près sans défense et que l’Allemagne a eu tout le temps d’y préparer à loisir, grâce à la neutralité, la réception de ses parachutistes.
La Grande-Bretagne connaît le danger qui la menace de ce côté et sa flotte veille. D’autre part, l’Ulster. dont la loyauté envers l’Angleterre est restée inébranlable, est un puissant atout dans les mains du gouvernement britannique.
Aucune sympathie
On ne saurait prendre M. de Valera comme un suspecté de sympathie pour le régime naziste. Cependant son attitude présente à l’égard de la Grande-Bretagne est bizarre. Cette attitude évidemment dicte son comportement. Et la majorité de son peuple le supporte. Cette attitude n’en parait pas moins paradoxale, étant donné la tournure que prennent les événements. L’amoncellement de nuages assombrit donc le ciels l’Irlande. Militairement, l’Éire ne saurait résister à une agression allemande qu’avec le secours immédiat de la Grande-Bretagne. Économiquement, l’Irlande dépend presque entièrement de l’Angleterre.
Ses exportations vont à la Grande-Bretagne dans la proportion de 90 pour cent. Les importations qui lui sont indispensables pour vivre (charbon, blé, pétrole), ou pour travailler (matières premières de l’industrie), dépendent presque absolument do la marine britannique qui les amène. « La vie économique de l’Irlande, comme l’écrivait un correspondant du « Temps » au début de la guerre, est une sorte d’influx de l’opulence anglaise. Inversement, si, dans le ravitaillement anglais, la part de l’Irlande n’est que 5 pour cent sont précieux, étant à la porte voisine et pouvant heureusement combler, en cas d’accident, une période creuse dans les arrivages d’outre-mer. » Donc, tout devrait favoriser, du côté irlandais, un rapprochement avec l’Angleterre, rapprochement auquel le gouvernement de Londres a préparé les voies par son attitude conciliatrice depuis le début des hostilités.
Obstacles
Mais il y a d’obstacles du « vieil antibritanisme » historique et sentimental, devenu un réflexe, à force de temps, et dont l’empire devient d’autant plus grand que l’individu qui en s’anime et est moins conscient, réfléchi, éclairé. » Ce sentiment est encore très vif dans les masses irlandaises, qui ne semblent pas avoir la moindre idée que l’Irlande soit une part de l’Europe et doive, bon gré mal gré, en partager le sort. »
Fasse le ciel que l’Irlande, éprise de liberté, cramponnée farouchement à sa neutralité, n’ait pas bientôt a regretter dans l’asservissement sa politique actuelle, qui a été néfaste à tant d’autres petits peuples de l’Europe.
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