Histoire de la Louisiane

L’histoire merveilleuse de la Louisiane française

par Geneviève de la Tour Fondue

De nombreux historiens, dont les ouvrages ont paru tant à Paris, qu’à New-York, Amsterdam, Leipzig, Montréal ou la Nouvelle-Orléans, se sont passionnés pour l’aventure prodigieuse de quelques Français courageux et déterminés qui, bravant les pires difficultés et les plus grandes souffrances, entreprirent la découverte et la mise en valeur de la Louisiane.

Tous ont retracé l’humour et la détresse, l’héroïsme et la jalousie, l’endurance et la cruauté qui marquèrent les débuts de la colonisation.

Ce qui est moins connu, ce sont les liens de filiation, puis de fraternité qui ne cessèrent d’unir la Louisiane et la Nouvelle France. Non seulement bien des noms comme ceux de Joliet, d’Iberville et du Marquis de Vaudreuil leur sont communs, mais encore, en dépit de cadres naturels et de climats différents, on peut dire que les expériences initiales et les relations avec les indigènes révèlent dans les deux pays les mêmes difficultés, ce qui explique comment la jeune colonie naissante rencontra peut-être plus d’appui et de compréhension au Canada qu’auprès du pouvoir métropolitain, toujours en retard sur les sacrifices et les besoins locaux.

Par un juste retour des choses, la Louisiane allait devenir la seconde patrie d’un grand nombre d’Acadiens lors de leur pénible exode. L’accueil qu’ils y reçurent et leur parfaite adaptation ne sauraient s’expliquer sans des rapports antérieurs dont la continuité et la solidarité ne s’étaient jamais démenties.

C’est en 1672, que l’intendant Jean Talon entend parler, pour la première fois, de cette rivière mystique que les sauvages appellent « Meschasipi » ou « Messesipi » et des vastes contrées qu’elle traverse, par des Jésuites des missions revenus à Québec après leur tournée.

Séduit par l’idée d’explorer des routes nouvelles, M. Talon fait appeler Louis Jolliet, un Québécois élève des Jésuites qui, grand voyageur, fait la traite des fourrures et sait aussi dessiner les cartes.

Il lui explique son plan, met quelques fonds à sa disposition et lui enjoint de rejoindre sans tarder, au Sault-Sainte-Marie, le Père Jacques Marquette dont on lui a dit merveille, qui parle six dialectes et s’est fait aimer de tous les sauvages qui l’ont approché.

« Au début de mai 1673, sept hommes blancs et les conducteurs sauvages se répartissent dans deux longs canots d’écorce, qui contiennent déjà des provisions, une chaudière, des instruments rudimentaires d’astronomie, des présents pour les sauvages de rencontre, et l’indispensable pour le saint-office. Le Père Marquette s’agenouille pour mettre le voyage sous la protection de Madame la Vierge, il monte à son tour, et les pagaies s’enfoncent dans le lac Dauphin ». (Régine Hubert-Robert: « L`Histoire merveilleuse d’la Louisiane Française », p. 13).

Cette mission interrompue par l’hiver a conduit les deux explorateurs sur le Mississipi jusqu’au pays des Arkansas. Le Père a fondé la Mission de l’Immaculée-Conception chez les Kaskakias où il meurt le 19 mai 1675. Joliet a dessiné une carte après avoir reconnu que le fleuve se jette dans le golfe du Mexique. Il rentre à Québec où il fait son rapport au Gouverneur et à l’Intendant. Tous deux sont très contents et Frontenac décide de signaler la chose à Colbert, alors ministre de la marine.

À Québec, tout le monde s’entretient du pays fabuleux exploré par Jolliet. « C’est riche sans bon sens, a-t-il expliqué, bien meilleur que par chez nous où la terre est sous la neige six mois de l’année ». Un « Te Deum » de gratitude est chanté à la cathédrale. Jolliet reçoit en récompense de ses périls l’île d’Anticosti. Puis tout rentre dans le calme.

De toute autre envergure est la mission de Cavelier de la Salle. Lui aussi est un vieux routier de la forêt canadienne et des Grands Lacs, quoiqu’il soit originaire de Normandie. Mais il a eu l’appui du Roi, des compagnons d’armes et des fonds intéressants, sans compter des concessions pour la traite des sauvages et des cuirs. Pourtant les sept années qui précéderont la prise de possession de la Louisiane seront des années de déceptions et d’épreuves. Tentatives d’empoisonnement, assassinats, incendies, froid, tempêtes, trahisons, jalousies, rien n’y manque. Mais Cavelier de la Salle a l’âme d’un chef dont l’endurance et l’audace ont rarement été dépassées. Grâce à  l’aide sans défaillance du Chevalier de Tonti, le 9 avril 1682, tous deux signent, avec leurs compagnons présents, une proclamation érigeant en colonie du Très Puissant Roi Louis XIV le pays de Louisiane, depuis l’embouchure de la rivière St. Louis, appelée aussi Ohio, jusqu’au golfe du Mexique.

Lorsque Cavelier de la Salle rentre à Québec, toujours centre des expéditions louisianaises, Frontenac n’est plus là. Irrité de la sottise de son successeur, la Salle se rend en France où il obtient une audience du Roi. Louis XIV, charmé par ce nom de Louisiane et conquis par le prestige de cet immense pays ajouté au sien, nomme M. de la Salle Vice-Roy de l’Amérique Septentrionale et met à sa disposition des fonds et tous les éléments nécessaires à un premier établissement, c’est-à-dire des bâtiments, des hommes, des armes et des approvisionnements.

Le départ s’effectue de la Rochelle, le 24 juillet 1684; 280 personnes sont du voyage avec les équipages.

À peine au large, les difficultés commencent : tempête qui disperse la flotte, dissensions avec le commandant de l’escadre, attaque de fièvre, capture par des corsaires espagnols, préface de quatre années de souffrances sans nom qui se termineront tragiquement par l’assassinat de La Salle. Les quelques survivants de l’expédition qui n’ont pas péri de faim, de misère ou qui ne se sont pas entre-tués, remontent vers Montréal et Québec, d’où ils s’embarquent pour la France.

Des traces de désolation subsistent partout où la mission a Dassé: le Fort St Louis est plein d’ossements humains et dans la Baie St. Bernard il ne reste plus Qu’une coque échouée. Cette aventure a duré de 1684 à 1688.

Sans la ténacité canadienne, peut-être la Louisiane aurait-elle été abandonnée à son lamentable sort. La triste fin de La Salle a fait mauvais effet à Versailles où l’on ne veut plus autoriser une nouvelle expédition. Pourtant la Louisiane hante les esprits. Dès son enfance, Pierre Le Moyne d’Iberville a entendu parler de ce pays sans neige, ce qui tient du miracle pour un petit Canadien. Devenu lieutenant de marine à 37 ans, après maints exploits, il finit par obtenir la confiance du Roi et se voit confier une nouvelle mission. Il réussit à retrouver les traces de la mission.

La Salle-Tonti et décide de fonder un établissement durable, le premier de la Louisiane. L’expérience de défricheur des Canadiens qui l’accompagnent est précieuse. Quatre-vingts hommes vont tenir garnison au fort de la Baie des Biloxis et tâcher de vivre en bonne intelligence avec les sauvages et les Espagnols, leurs voisins.

Déjà, dans ce premier établissement, tout le drame de la Louisiane est en gestation : les déceptions du climat, la menace des Espagnols ou des sauvages aiguillonnés par eux, la famine, la maladie et la mort.

L’histoire de M. de Bienville, en qui s’incarne toute la Louisiane à ses débuts, en donne un autre aperçu. A I 7 ans, il a fait le coup de feu au Canada ; à 20 ans il est explorateur et bras droit de M. d’Iberville ; à 22 ans il est Gouverneur. Un vent de dénigrement qui succède à beaucoup d’autres malheurs, souffle jusqu’à Versailles ; Bienville est destitué. Le 9 juillet 1 706, M. d’Iberville a succombé à une attaque de fièvre jaune.

Bienville n’a plus personne pour le défendre. En dépit de son courage, de sa sincérité, de sa compétence et de ses efforts tenaces, il est sacrifié. Mais il demeurera dans la colonie, malgré les disputes qui l’environnent, son autorité et son expérience des sauvages étant irremplaçables.

Chaque fois qu’un gouverneur fait des bêtises ou demande son rappel par lassitude, Bienville redevient gouverneur, à charge pour lui de réparer toutes les bévues des autres, de conclure des traités avec les indigènes, de calmer les rebelles et d’organiser le ravitaillement et le commerce de la nouvelle colonie. Quarante-quatre ans de sa vie s’écouleront dans ce pays où il aura usé ses forces.

Quand il le quitte pour la dernière fois, en 1742, il est remplacé par le Marquis de Vaudreuil, qui en est à ses premières armes d’administrateur colonial.

Pourtant la Louisiane grandissait et les habitants fixés sur son sol prenaient nettement conscience de leur mission de nation française de l’Amérique du Nord. Il serait trop long d’en retracer par le menu toute l’évolution historique et politique. Acquise au milieu des fièvres, à coups de mousquets et de hache, par le sang et les larmes, elle demeure un instrument politique aux mains du pouvoir central, un gage, une terre à vendre ou à céder, selon les exigences des guerres européennes.

Mais la race française s’y est solidement implantée, avec ses vertus et ses défauts, sa haute spiritualité et ses négligences. Des couvents de Capucins, de Jésuites, d’Ursulines et de Sœurs Grises ont fait florès, rappelant en cela l’essor des missions religieuses ou Canada. Après le passage de Vaudreuil, alors que les contingences matérielles sont moins lancinantes, la vie intellectuelle et sociale s’épanouit pour se perpétuer longtemps après la cession de la colonie aux États-Unis.

Rien n’est plus proche de la vie que l’on mène à Ville-Marie ou à Québec, sous le régime français, que celle de la Nouvelle-Orléans, jeune capitale orgueilleuse.

« Âgée de cinq ans à peine, en 1727, la Nouvelle-Orléans, bien que nid à commérages, a des allures de grande ville et plaît si fort aux habitants qu’ils fredonnent qu’elle vaut Paris. Déjà, les citadins traitent les campagnards des autres paroisses de « dos blancs ».

« C’est surtout une ville étrange de mille âmes, en comptant les troupes, dans laquelle les darnes de qualité, en robe de soie à paniers, aussi bien fardées et attifées qu’à Versailles, précédées le soir par des porte-flambeaux ; des gentilshommes magnifiquement accoutrés de broché, le ruban à l’épaule, en bas de soie blanche et fins escarpins, qui lorsqu’ils sont bouclés, remplacent la perruque par leur chevelure naturelle, retombant très bas ; des croquants en droguet brun et chapeau de castor ; des paysans en cotte et coiffe; des Capucins en chausses et houppelande ; des laquais galonnés ; des coureurs-de-bois et des chamoiseurs habillés de peau frangée et chaussés de quantiers ; des soldats à tuniques élimées auxquelles il manque des boutons et des brandebourgs; des noirs en cotonnade passée et des nègres libres, à l’épiderme délayé par de successifs blanchissages conjugaux ; des sauvages vêtus en tout et pour tout d’un braguet, et quand il fait froid de mitasses en peau blanche, se coudoient, se saluent, se courtisent, baisent des mains fines, croisent le fer, se prennent à la gorge, s’injurient, bénissent, braillent et vivent petitement et indolemment dans des maisons basses en planches de cypre, sur solage, ou dans des habitations plus belles de briques ou colombage, à péristyle, dont les fenêtres sont encore vitrées de mousseline.

Pendant des mois, chaque année, les crues du Mississipi noient les rues de la ville, qui demeurent marbrées de flaques même à la beLle saison. Pour ne pas souiller leurs atours, les belles dames se font soulever par leurs esclaves pour les franchir, ou les traversent en chaise à porteurs. Chaque nuit on entend le concert coassant des grenouilles et des crapauds et les maringouins tourbillonnent en tout temps.

« La ville est un panier de crabes. On daube sur tout, sans arrêt. Les dames n’ont rien à faire qu’à échanger des ragots, se chamailler, se raccommoder après leurs brouilles. Il y a bien des anguilles sous roche, des complicités, des scandales, et quand il n’en reste plus, on en invente ».

Heureusement, les gens de bien travaillent, se réunissent le soir en « compagnées » et perpétuent les vertus de la vieille France en chantant les ballades des provinces natales, en travaillant pour les pauvres ou en organisant des concerts intimes.
Le Traité de Paris, en 1763, porte un double coup aux établissements français de l’Amérique du Nord. Le Canada est le premier et le plus complètement atteint. Mais au moins il a eu les honneurs du combat. La Louisiane, elle, se voit amputée de la rive gauche du fleuve, sans avoir même tiré un coup de canon. C’est le premier pas d’une destinée malheureuse, vouée aux concessions perpétuelles.

Les Français sont consternés, les sauvages se lamentent. Suit la cession de la Nouvelle- Orléans aux Espagnols, en 1765. En 1803, la Louisiane n’est plus dans l’histoire de la colonisation française qu’un souvenir ému, alors qu’elle entre dans la communauté américaine avec tout le prestige des bonnes acquisitions.

Cette fois les Louisianais ne protestent plus. Ils aspirent à une paix et à une stabilité qu’ils sont las d’attendre. Au fond de leur cœur, cependant, continuera de brûler, telle une lampe vacillante, un souvenir fidèle à cette France qui avait tout de même beaucoup souffert pour qu’elle naisse, pour qu’elle vive, pour qu’elle rayonne.

Louisiane
Louisiane, Nouvelle Orléans, hôtel Houma. Photo de GrandQuebec.com.

Geneviève de la Tour Fondue
Mai 1942

Voir aussi :

Laisser un commentaire