
Le français en Acadie et le rôle des RR.PP. Eudistes
S’il y a aujourd’hui en la Nouvelle-Écosse un problème d’une extrême importance et dont la solution décidera un jour de notre réelle survivance comme peuple, c’est bien celui de l’étude du français dans nos écoles. Depuis plus d’un quart de siècle la lutte sévit dans la presse, dans nos parlements et la lutte dure encore. Bien des revendications ont été faites mais peu ont été écoutées.
Ceux qui dirigent le bureau d’éducation veulent du français dans les écoles mais du français commercial, comme de l’espagnol ou de l’allemand. Juste le nécessaire pour se tirer d’affaire dans le monde. Ils ne veulent pas nous donner ce dont nous avons besoin pour croître, grandir et prospérer. Et pourtant nous vivons au Canada, qui est un pays bilingue. Deux grandes races ont fait ce pays ce qu’il est. Deux grands génies ont élaboré sa constitution et ses lois.
Toujours la lutte sévit: c’est presque la persécution. Un grand nombre ignorent complètement l’âme de ce qui fait notre sécurité dans ce beau pays qui est le nôtre. On trouble l’âme de nos petits enfants dont les ancêtres ont tant souffert; on les méprise parce qu’ils sont français, peut-être parce qu’ils possèdent ce qu’il y a, humainement, de plus beau au monde: la culture française. On cherche à les angliciser de toute manière. Tel est le problème angoissant de chaque jour, problème qui s’aggrave de plus en plus au fur et à mesure que s’élabore le nouveau programme scolaire, qui sera annoncé par le surintendant d’éducation en temps opportun.
Ainsi deux grands génies se trouvent en conflit: le génie saxon et le génie latin. Le génie saxon, celui qui gouverne, est pratique, commercial et scientifique. Le génie latin est littéraire et philosophe.
Toujours imbue de ces idées scientifiques comme prétendues seules bases à toute formation intellectuelle, la classe enseignante a formé des gens sans culture. Elle s’est figuré que le but de cet enseignement devrait être de loger dans la mémoire des enfants le plus de connaissances utiles et on l’a dirigé exclusivement vers la documentation, négligeant totalement le développement de l’esprit. Cela a duré pendant plusieurs années; mais voilà qu’enfin la lumière se fait jour. Le latin et le grec sont remis en honneur. Ces deux langues mortes ne sont plus traitées comme des vieilleries négligeables, qu’il faut mettre de côté. Elles deviennent des sujets obligatoires.
C’est le retour aux études classiques. Notre élite s’y applique avec un dévouement à toute épreuve et une fois en contact avec ces auteurs de l’antiquité, elle se sent comme attirée vers ©es grands maîtres de Rome et de la Grèce qui ont illuminé les siècles du rayonnement de leur génie, qui ont laissé derrière eux les trésors de leurs chefs d’œuvre.
À partir de 1890, l’étude du français ainsi comprise a joué un rôle de premier ordre dans notre province, surtout dans la partie sud-ouest de notre pays. L’enseignement classique dans notre beau collège Sainte-Anne a été le salut du pays dans toutes les sphères de la société. Elles sont rares les institutions au Canada où se déploient tant de zèle, tant de dévouement pour l’éducation de la jeunesse.
Il existe en Hollande, au Musée d’Amsterdam, une œuvre d’art qui caractérise bien la destinée de nos apôtres éducateurs. Il s’agit de l’un de ces petits tableaux où la lumière jaillit en quelque sorte de l’obscurité.
Un homme debout regarde avec une attention méditative une lampe qui brûle sur une table. Ce n’est rien, mais au bas on lit ces mots profonds et mélancoliques: “Je me consume au service des autres”.
C’est bien là la devise el la pratique de nos apôtres éducateurs dans ce collège. Ils donnent tout leur temps, tout leur dévouement, sans rien demander pour eux-mêmes, à l’éducation de notre jeunesse: ils se consument au service de notre peuple; et ainsi que cette lampe qui éclaire le voyageur dans son chemin, ainsi nos Pères Eudistes, par leur savoir, éclairent notre jeunesse et lui tracent la voie qu’elle doit suivre dans la vie.
Ainsi sans bruit, sans appels éclatants à la coopération extérieure, ces bons Pères travaillent à la restauration de notre existence nationale. Et pour y arriver, que nous donnent-ils? Ils nous donnent une jeunesse forte; une jeunesse qui prie, une jeunesse qui croit. La Foi a été le grand rempart de la civilisation; elle a été notre grande force, notre refuge dans nos malheurs. Nos Pères ont préféré l’exil, plutôt que de la renier.
Nos bons Pères Eudistes nous donnent aussi une jeunesse qui pense. « L’homme, » nous dit-on, “a été par la pensée couronné d’honneur. C’est elle, en effet, qui l’enlève, qui l’ennoblit. Rome triompha de la Grèce par les armes mais a son tour elle est vaincue par la pensée. La pensée! voilà ce qui domine dans le monde. Les œuvres matérielles périssent vite tendis que les monuments de la pensée résistent à la main des temps et vont porter aux générations futures la gloire et l’admiration.
Los Pères Eudistes nous donnent aussi une jeunesse fidèle: fidèle à Foi, à sa langue, à ses coutumes, à ses traditions, à ses souvenirs; aussi, une jeunesse qui veuf une jeunesse qui combat, une jeunesse avec un idéal, une jeunesse qui veut vaincre, qui sache se dévouer, qui sache mourir à la Subercase.
Une jeunesse ainsi formée ne peut demeurer inactive au sortir du collège. Le 16 mai 1926 les jeunes de la Baie Sainte-Marie se réunissent pour se grouper sous l’égide de l’Association catholique de la Jeunesse Canadienne en vue de former un cercle qui portera le nom de “Cercle Acadie’. Depuis l’affiliation de ce cercle, l’enseignement du français a pris un nouvel essor. Raconter tout le travail qu’a fait notre groupe depuis sa fondation nous mènerait trop loin.
Qu’il nous suffise d’ajouter que ce cercle a fait œuvre d’apostolat par excellence. Il contribue sa grande part dans toutes nos œuvres religieuses et nationales. Il fait tout son possible pour activer le recrutement de notre société mutuelle l’Assomption, pour fonder notre presse quotidienne et aussi pour promouvoir l’éducation parmi les nôtres. Ainsi il tait honneur au collège Sainte-Anne, honneur au pays, honneur à l’Acadie tout entière.
Par J.- Émile LeBlanc, West Pubnico, N.-É., le 12 décembre 1929.
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