La Doctrine Monroe – Le président Roosevelt la définit et la commente
New York, 3 avril 1903.
Le président Roosevelt, arrivé hier matin à Chicago, a prononcé, dans une réunion publique tenue hier soir, un grand discours politique. Reprenant la question qu’il avait déjà traitée dans son dernier message annuel, la doctrine Monroe, il a parlé longuement des récents événements du Venezuela, de l’achat du canal de Panama, de la nécessité d’accroître les forces navales des États-Unis, bref, de tout ce qui touche à la politique extérieure, telle que le président Roosevelt et son secrétaire d’État, l’ont comprise depuis tantôt deux ans.
« Je veux vous parler aujourd’hui, a dit M. Roosevelt à ses auditeurs de Chicago, non seulement de la doctrine Monroe, mais aussi de toute notre position dans l’hémisphère occidental, position si particulière et si dominante qu’elle a amené l’acceptation de la doctrine Monroe comme le trait essentiel de notre politique étrangère. »
Le président rappelle que, depuis l’époque où les colonies espagnoles et portugaises d’Amérique affirmèrent leur indépendance, la nation américaine, la plus forte de l’hémisphère occidental, s’est considérée comme ayant certains devoirs à remplir.
« Nous sommes d’avis que nos intérêts dans cet hémisphère sont plus grand que ceux que peut avoir une puissance européenne quelconque, et envers les républiques plus faibles, nos voisines, nous oblige à veiller à ce qu’aucune des grandes puissances militaires de l’autre côté des mers n’empiète sur le territoire des républiques américaines ou n’y acquière de l’autorité.
« Cette politique nous interdit non seulement d’acquiescer à des acquisitions territoriales, mais aussi, nous porte à désapprouver l’établissement d’une autorité qui serait l’équivalent d’une acquisition territoriale. C’est pourquoi les États-Unis ont constamment été d’avis que la construction du grand canal de l’isthme – construction qui sera le plus grand fait matériel du vingtième siècle, plus grand qu’aucun autre fait similaire dans les siècles précédents – que cette construction ne devait pas être faite par une nation étrangère, mais par nous-mêmes. Le canal doit nécessairement traverser le territoire d’une de nos petites républiques – sœurs. Nous avons mis un soin scrupuleux à nous abstenir de commettre à ce propos, aucune injustice à l‘égard d’aucune de ces républiques. Nous ne voulons empiéter sur leurs droits en aucune façon; mais nous voulons, tout en sauvegardant ces droits, construire le canal nous-mêmes dans des conditions qui nous permettront, s’il est nécessaire, de le surveiller, de le protéger, d’en garantir la neutralité, nous-mêmes étant les seuls garants. Notre intention n’a jamais varié : nous désirions que le canal fût toujours à notre disposition en temps de paix comme en temps de guerre, et qu’en temps de guerre il ne pût jamais être employé à notre détriment par une nation qui nous serait hostile. Cette politique, dans les circonstances existantes, devrait nécessairement profiter aux républiques américaines adjacentes; elle ne pouvait leur nuire. »
Le président résume tout ce qui a été fait depuis deux ans pour réaliser la politique des États-Unis dans l’isthme, la conclusion du traité avec l’Angleterre grâce auquel celle-ci renonçait à ses anciennes prétentions dans l’Amérique centrale, la négociation d’un traité avec la Colombie relatif à l’achat du canal de Panama, enfin le vote par le Congrès de la loi autorisant cet achat à la compagnie française qui a commencé le canal sans pouvoir l’achever. M. Roosevelt considère avec raison que l’ensemble de ces différentes mesures constitue un mémorable triomphe de la diplomatie américaine.
Le discours présidentiel passe ensuite à la question du Venezuela; après avoir indiqué les causes de l’intervention de l’Angleterre, de l’Allemagne et de l’Italie dans ce pays, le président ajoute :
« La préoccupation de notre gouvernement était, bien entendu, de ne pas intervenir inutilement dans une querelle qui ne toucherait ni à nos intérêts ni à nôtre honneur, mais de conserver une attitude de vigilance attentive et le veiller à ce qu’on n’empiétât pas sur la doctrine Monroe ainsi définie : pas d’acquisition de droits territoriaux par une puissance européenne aux dépens d’une faible république – sœur, que cette acquisition prenne la forme d’une saisie flagrante et avouée de territoire ou celle de l’exercice d’une autorité qui, en fait, serait l’équivalent d’une saisie de territoire. »
Le président dit que cette politique du gouvernement des États-Unis a été notifiée par le secrétaire d’État à l’ambassadeur d’Allemagne et à l’ambassadeur de l’Angleterre, et que ces ambassadeurs, parlant au nom de leurs gouvernements, ont donné l’assurance formelle que ceux-ci n’avait pas la moindre intention violer à l’égard du Venezuela les principes de la doctrine Monroe; et le président ajoute que cette promesse a été tenue avec une bonne foi honorable qui doit être pleinement reconnue par nous. » Néanmoins, dans l’intérêt général, les États-Unis ont employé leurs bons offices pour rétablir la paix, et le différend a été renvoyé au tribunal de la Haye.
Le discours présidentiel constate que les conditions dans lesquelles se fera le canal de Panama et la marche des événements du Venezuela n’ont pas montré seulement l’influence toujours grandissante des États-Unis dans l’hémisphère occidental, mais qu’elles ont aussi attesté la ferme intention du gouvernement américaine de faire profiter les républiques – sœurs de cette influence grandissante.
« Nous n’avons pas, dit M. Roosevelt, l’intention de prendre une position qui pourrait offenser justement nous voisins. Notre adhésion à cette loi du droit humain n’est pas une vaine déclaration. L’histoire de nos rapports avec Cuba montre que nous agissons comme nous parlons.
La doctrine Monroe ne fait pas partie du droit international, et bien que je sois d’avis qu’elle pourra y entrer un jour, cela ne sera pas nécessaire aussi longtemps qu’elle rester le trait dominant de notre politique étrangère et aussi longtemps que nous aurons la volonté et la force de la rendre effective. Ce dernier point, mes chers concitoyens, est de toute importance : il est de ceux qu’un peuple ne peut jamais se risquer d’oublier. Je crois à la doctrine Monroe de tout mon cœur et de toute mon âme; je suis persuadé que l’immense majorité de nos concitoyens y croit également mais je préférerais infiniment nous voir l’abandonner que de nous avoir l’affirmer avec jactance, tout en négligeant de la soutenir par une force de combat suffisante, en dernier ressort, pour la faire respecter par toute grande puissance étrangère qui pourrait avoir intérêt à la violer.
Il est donc essentiel que la marine des États-Unis soit forte. Toute la fin du discours présidentiel a été consacrée à la démonstration de cette nécessité politique. M. Roosevelt a terminé par ces mots :
Nous voulons une marine puissante, non pas pour faire la guerre, mais parce qu’elle est la plus sûre garantie de paix. Si nous avons cette marine, si nous continuons à la construire, nous pouvons être assurés qu’il y aura fort peu de chance pour que la nation ait des démêlés extérieures, et nous pouvons être également assurés qu’aucune puissance étrangère ne nous cherchera jamais querelle à propos de la doctrine Monroe.
Les auditeurs du président, au nombre de six mille, ont fait à son discours l’accueil le plus enthousiaste. A mainte reprise, M. Roosevelt a été interrompu par des applaudissements assourdissants. Il a parlé d’une voix forte, en appuyant ses paroles de gestes énergiques. Bref, la réunion d’hier soir a été à la fois un grand succès politique et un grand succès personnel pour le président.
(3 avril 1903).
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