Le bilan de dix années de prohibition aux États-Unis
Avec l’année qui vient de finir, voilà une décade révolue de domination prohibitionniste aux États-Unis. Quel bien transcendant le dix-huitième amendement a-t-il apporté à nos voisins? Il est curieux de lire à ce sujet le réquisitoire que vient d’écrire Henry H. Curran, un des adversaires les plus acharnés de la prohibition.
Nous en citons ici quelques passages, traduits librement: « Je vais cueillir pour vous quelques-uns des fruits les mieux venus du jardin prohibitionniste, lequel nous coûté la jolie somme d’un billion de dollars par année. Comme chacun sait, la culture de ce jardin fut imposée pendant que nous étions à la guerre ».
« Vous voulez en connaitre les résultats? Voilà: les droits du Sénat et de la police soumis sans restriction à une oligarchie puissante. On lui a présenté sur un plateau d’argent les principes pour lesquels nos pères se battirent et moururent.
« L’hypocrisie est devenue un élément de notre vie nationale. La suprême élégance, dans nos grandes familles, est de parler “dry” et de vivre ‘“wet”’. Cette moquerie envers la loi entraîne fatalement chez les Américains le manque de respect de toutes les lois.
« Une corruption subtile couvre maintenant le pays tout entier, avec le résultat qu’il se boit presque autant de boissons
illicites après dix ans de prohibition, qu’il s’en buvait au grand jour avant 1918.
« Les revenus que l’État percevait sur la vente de l’alcool vont maintenant aux grands contrebandiers de spiritueux. lis s’en servent d’ailleurs pour combattre l’État.
« Plus de mille hommes, femmes et enfants (peut-être plusieurs milliers) ont été tués pendant la mise en force de « la noble expérience ». C’est un joli résultat pour in pays civilisé !
« Lorsque les prohibitionnistes prirent le pouvoir, ils annoncèrent qu’ils comptaient surtout réduire la criminalité. Les prisons sont maintenant bondées à un tel point qu’on commence à y voir un danger national, Il faudra dépenser des sommes énormes pour bâtir d’autres geôles et empêcher les prisonniers de se révolter.
« Les cours de justice sont surmenées. Les ravages causés par l’alcool sont aussi élevés qu’avant la prohibition. Il y à autant de fous dans les asiles et de malades dans les hôpitaux qu’auparavant. Les riches et les pauvres continuent à en souffrir. Les statistiques sur ces faits sont indiscutables.
« Les chauffeurs d’autos ivres encombrent nos routes. L’habitude du flacon de poche, qui s’est développé à un degré extraordinaire depuis dix ans, est responsable de ce danger nouveau.
« Naturellement, les méthodes nouvelles de travail et une prospérité continuelle depuis la guerre ont rendu nos ouvriers plus satisfaits de leur sort. Mais je défie les économistes de prouver que la Prohibition ait contribué dans la moindre mesure à ce progrès américain.
« Conclusion: la Prohibition nous coûte en dix ans dix billions de dollars. Mettez à côté de cela les bénédictions dont elle nous a comblés et jugez vous-mêmes si elle en vaut la peine »
Or ce qu’il y a de plus singulier, c’est que le surintendant de la fameuse « Auto-Saloon League », F. Scott McBride donne, lui aussi, son impression sur la décade prohibitionniste qui vient de finir. D’après lui, le progrès de la « sobriété nationale » est lent, mais sir; on assainit les basfonds, grâce à la Prohibition; la prospérité devient générale, la mortalité diminue et la jeunesse est meilleure qu’’autrefois.
Le surintendant admet que les arrestations pour ivresse augmentent, mais il en donne pour raison une plus grande vigilance de Is part de la police. Il prétend que c’est là une preuve incontestable que “l’attitude sociale” est en vole de changer…
Voilà ce qui fait que votre fille est muette! conclurait en blaguant le moins spirituel des hommes.
(Ce texte date du 12 janvier 1930).
Rapport statistique du 3 mai 1930
New York, 3 mai. — Dans son numéro daté du 3 mai, le « Literary Digest » abandonne provisoirement son vote d’épreuve national sur la Prohibition pour donner les résultats fournis par un autre scrutin dans différentes classes de la société. Les résultats sont très intéressants.
Pour les banquiers, les chiffres sont les suivants: Maintien, 35,210; modification, 15.096; abolition, 34,518.
Ministres — Maintien, 20,863; modification, 3.884; abolition, 15912.
Éducateurs — Maintien, $5422; modification, 22,705; abolition, 38,956.
Avocats — Maintien, 18,101: modification, 9,743: abolition, 34,836.
Médecins — Maintien, 19,956: modification. 13,558; abolition, 32,235.
Abonnés au “Literary Digest” — Maintien, 224,921; modification, 110,465: abolition, 238.270.
Ces chiffres, convertis en pourcentages, donnent les résultats suivants (toujours dans l’ordre: maintient, modification, abolition.
- Banquiers: 41.50 pc: 17.80; 40.70.
- Ministres: 57.58 pc; 8.29; 34.12.
- Éducateurs: 60.74; 14.46; 24 80.
- Avocats: 28.85; 15.53; 55.62
- Médecins: 30.34; 20.64; 49.02.
- Abonnés: 30.41; 19.36; 41.93.
Seraient donc nettement secs les éducateurs et les ministres seulement.
Cela s’explique, fait observer un confrère de New-York, si l’on part de cette idée que la loi est faite pour des mineurs, pour des gens qui 2e savent pas se conduire. C’est bien un peu cela, en effet, puisque la Prohibition à d’abord été inventée pour les Peaux Rouges! C’est une lai pour sauvages ou pour enfants, Il n’est pas surprenant que les éducateurs ne voient dans le monde que des politiciens et que certains clergymen nous prennent tous pour des sauvages à évangéliser.
La saisie du Skipalong
Déry et Chenel plaident non coupables
Samedi ont comparu devant le juge Monet, Lorenzo Déry, capitaine, et Moise Chenel, membre de
l’équipage, de la barge appréhendée pour transport illicite de liqueurs. Ils ont plaidé non coupables, et ont été mis en liberté sous caution de 32,000, jusqu’au jugement qui doit avoir lieu le 13.
On sait que la police a procédé vendredi, jour de la Confédération, à la saisie de la barge « Skipalong’ sur le Saint-Laurent, et que le bateau contenait 3.000 gallons de liqueurs.
Déry habite 26’s rue Fraser, à Québec, et Chenel, 14 rue Lavigueur, également à Québec.
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