Thyroïde en psychiatrie
La physiologie de la sécrétion (ou plus exactement des sécrétions thyroïdiennes) s’est révélée ces dernières années d’une assez grande complexité. Des différentes acquisitions concernant cette glande, toutes ne sont pas d’un égal intérêt pour le psychiatre. Nous en retiendrons surtout, d’un point de vue pratique, les données suivantes (en renvoyant aux traités et revues spécialisés pour plus amples précisions), particulièrement à l’excellent article de Tusques dans l’Encyclopédie Médicale de la chirurgie psychiatrique.
– Il existe à côté de la thyroxine d’autres hormones iodées, dont certaines plus actives physiologiquement que la thyroxine;
– Ces hormones iodées en circulation freinent normalement le fonctionnement du couple diencéphalo-hypophysaire, et la thyroïde de son côté fixe normalement la thyréostimuline hypophysaire. Il est dangereux d’ignorer cette interdépendance dans la conduite d’un traitement : quel que soit le trouble, hyper ou hypophysaire, en apparence, il est avant tout perturbation d’un équilibre;
– Gonades et corticosurréenales s’intègrent dans cette régulation, et se comportent schématiquement comme des antagonistes de la sécrétion thyroïdienne. Ceci est en fait très nuancé en ce qui concerne les gonades par les ambivalences de la clinique. L’antagonisme thyroïde-surrénale semble assez bien établi;
– Le test à l’iode radioactif (I. 131) avec étude de la fixation et de l’excrétion thyroïdienne est devenu l’examen para-clinique indispensable dans tout dysfonctionnement glandulaire à composante thyroïdienne : on pourrait presque dire : pas de diagnostic, pas de traitement sans test à l’I. 131 préalable, en comparaison avec le classique métabolisme de base, toujours utile ;
– La conclusion serait qu’il reste beaucoup d’inconnues, c’est-à-dire beaucoup de faits cliniques inexpliqués.
Le rôle, entrevu par Marañon en 1929, de certaines prédispositions individuelles dans le déclenchement et l’évolution des maladies thyroïdiennes, semblerait destiné à garder toute son importance.
Cette notion de prédisposition tend à se préciser, soit à travers les analyses psychologiques d’inspiration freudienne ou non de la « personnalité basedowiennne » par exemple, soit dans une optique psychosomatique par la recherche de tares ou de fragilisation nerveuse (séquelles d’encéphalite ou d’encéphalopathies), en particulier en ce qui concerne certains myxoedèmes. La connaissance du rôle récepteur des tissus dont le tissue nerveux, vis-à-vis des hormones et du retentissement sur la régulation glandulaire de troubles métaboliques hormonaux au niveau de ces récepteurs permet d’entrevoir en même temps que sa complexité tout l’intérêt de renouvelé de cette notion de terrain.
1e. L’hyperthyroïdie est surtout représentée par la maladie de Graves-Basedow. Les troubles mentaux de cette affection sont étudiés à l’article correspondant (voir Basedow). Mais il existe, en dehors du cadre propre de cette maladie toute une série de troubles que l’on est souvent tenté de ramener à une origine thyroïdienne, dans le sens de petites manifestations d’anxiété, de phobies, d’obsessions, de tendances dépressives ou psychasthéniques à forme volontiers hypocondriaques, survenant souvent sur un fond caractériel d’instabilité, d’irritabilité, avec sautes d’humeur et « nervosismes ». L’insomnie est très fréquente. C’est l’association de tachycardie, de tremblement, parfois d’un léger gonflement du cou, ou d’une fixité du regard plus rarement qui évoque la participation thyroïdienne. La puberté, la ménopause (v. ces mots), le cycle menstruel rythment l’évolution de ces troubles ou président à leur apparition lorsque les malades sont des femmes.
La preuve étiologique doit en être demandée non seulement au métabolisme de base classique (assez fréquemment augmenté, + 20%, ce qui est modéré mais significatif), mais au métabolisme de base pratiqué sans sommeil (A.Riser) et en comparant les résultats avec ceux du test à l’iode radioactif. La fixation d’I 131 est en principe augmentée dans les hyperthyroïdes. Mais il peut être normal et il est probable dans un certain nombre de cas qu’il s’agit d’hyperstimulinie diencéphalohypophysaire. C’est vraisemblable en particulier pour les troubles de la ménopause et du syndrome menstruel : Gayral et Dauty signalent chez certaines « dysfolliculiniques » une exacerbation pré- et post-menstruelle des symptômes végétatifs, « comme si au syndrome de dystonie F.S.J. qui est bien corrigé par une petite dose de thyroxine ». Il faut de toute façon rester prudent dans l’affirmation de ces diagnostiques de dysfonctionnement diencéphalo-hypophysaire et ne pas les confondre avec le « faux Basedow » ou avec une hyoersympathicotonie pseudo-basedowienne : les conséquence thérapeutiques de telles erreurs peuvent être très graves.
2e L’hypothyroïde réalise dans sa forme la plus complète le tableau du myxoedème : nous renvoyons à ce mot pour son étude. On trouvera de même à l’article « Crétinisme » l’étude des problèmes concernant cette forme d’insuffisance thyroïdienne.
Comme pour l’hyperthyroïdie, ce sont les formes frustes qui posent des problèmes. Des troubles de l’humeur et du caractère se rencontrent également : irritabilité, émotivité, fatigue, s’accompagnant fréquemment d’insomnie. Mais ces troubles surviennent sur un fond psychique particulier où dominent la lenteur intellectuelle, la paresse de l’initiative, donnant une impression globale d’engourdissement aussi bien somatique que mental. La note endocrinienne est donnée par la frilosité, l’apathie, la finesse de la peau et sa sécheresse, la diminution de la pilosité (signe de la queue du sourcil). Ces troubles peuvent être discrets, et ils le sont souvent, et de ce fait passent inaperçus à un œil non averti.
Les circonstances d’apparition, en particulier l’âge des malades, modifient les conditions de diagnostic : il faut y penser devant des enfants ou des adolescents présentant des difficultés scolaires d’ordre intellectuel ou devant certaines dépressions hypocoondriaques de la ménopause, mais il faut aussi reconnaître que l’on soupçonne ce diagnostic plus souvent qu’on en fait la preuve par la mise en œuvre de rigueur des examens de laboratoire (M.B. abaissé, cholestérol sanguin augmenté, fixation de l’iode 131 abaissé).
Il n’est pas d’un intérêt uniquement historique de rappeler que L. Lévi et H. de Rotschild avaient décrit cet ensemble de troubles sous le nom de « tempérament thyroïdien ».
Il faut rapprocher des diverses formes d’hypothyroïdie les « hypométabolismes euthyroïdiens » dont le trouble au niveau des tissus récepteur serait une perturbation du métabolisme de la thyroxine. Des manifestations psychiatriques assez polymorphes pourraient s’y voir.
Un dernier problème est celui des troubles de la sécrétion thyroïdienne au cours de maladies mentales caractérisées. Ce problème a déjà été partiellement abordé lors du problème général des rapports de l’endocrinologie et de la psychiatrie. Les petits troubles d’hyper ou d’hypothyroïdies trouvés dans la schizophrénie l’ont été dans d’autres psychoses sans que l’on puisse en déduire une causalité dans un sens ou un autre.
Il n’y a là rien de spécifique. Tout au plus peut-on admettre avec W. A. Stoll une influence du dysfonctionnement thyroïdien sur le cours évolutif des troubles mentaux.
On a pu observer après thérapeutique de choc chez ces malades des améliorations de ces troubles thyroïdiens (Maurice Porot). Une intervention diencéphalique est très plausible dans ces cas.
Les anomalies des tracés E. E. G., assez fréquentes chez les malades hyper ou hypothyroïdiens n’ont aucune spécificité et doivent être éventuellement interprétées en fonction des connaissances actuelles sur le rôle du terrain.
M. L. Mondzain.
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