Témoignage en psychiatrie
Le témoignage est une des pierres angulaires de l’information en justice criminelle; il importe d’en bien connaître les aspects normaux et pathologiques.
1) Le témoignage des gens présumés normaux. – La valeur du témoignage à toujours soulevé des réserves de la part des psychologues et des psychiatres, mais ces réserves n’ont vraiment trouvé leur justification que par la méthode expérimentale (Stern, Larguier des Bagels, Claparède, Ladame, Gross, Lipmann, Ley et Menzerath, Rogues de Fursac, Louis Vervaeck, Gorphe, etc.). On provoque, dans des conditions déterminées et variées, le récit par les témoins, de faits soumis à leur observation.
Tous les expérimentateurs ont été impressionnés par la médiocrité des résultats obtenus chez les sujets normaux. Le témoignage entièrement fidèle reste l’exception et quelle que soit sa sincérité, on peut dire qu’il ne mérite pas la confiance qu’on lui accorde généralement. Claparède faisait entrer dans sa salle de cours un individu travesti et recouvert d’un masque, le laissait vingt secondes sous les yeux de ses élèves. Quelques jours après, leur demandant de reconnaître le masque porté au milieu de 10 autres, sur 22 réponses il en nota 4 seulement d’exactes, 8 hésitantes et 10 franchement erronées. Louis Vervaeck, de Bruxelles, fit une expérience du même genre sur les élèves qui suivaient son cours d’anthropologie criminelle (futurs magistrats, policiers, etc.), donc avertis et en excellentes dispositions pour l’observation. Ses moyennes, pour l’ensemble des évaluations furent : 5% d’exactes, 25% d’approximatives, 25% d’exagérées, 40% d’insuffisantes et 5% de mauvaises. « Les inexactitudes et les erreurs se réduisent, disait-il, dans des proportions considérables dès que les élèves sont prévenus de la nature des expériences auxquelles ils vont être conviés. Mais, même alors, il persiste encore des réponses erronées dans 5 `8% des cas, proportion qui représente sensiblement celle des sujets à éliminer. » Le même auteur a souligné encore l’absence de parallélisme entre la fidélité et le degré d’assurance, ce qui a fait contester la valeur pratique du serment; la diminution progressive parallèle à l’ancienneté du souvenir; le rôle énorme de la suggestion personnelle ou étrangère; l’influence de la façon dont la question est posée; le renforcement par ce coefficient collectif, etc.
Outre les éléments purement intellectuels (mémoire, attention, etc.), il faut toujours penser aussi au coefficient émotif et au désarroi du sujet devant le saisissement de l’événement tragique dont il ne gardera qu’un souvenir troublé. P. Janet avait bien souligné l’action dissolvante de l’émotion sur le souvenir. « Si les bons témoins sont si rares, c’est que les esprits complets et équilibrés sont exceptionnels. (Dupré).
Dans son rapport (Congrès de Rennes, juillet 1951), Cénac a reprise l’étude du témoignage et de sa valeur juridique. Il a spécialement insisté sur le fait que le sujet y projetait les éléments de sa personnalité, ses réactions affectives, ses habitudes mentales. Il a montré qu’au moment de la perception de l’événement, il fallait tenir compte, non seulement de l’aptitude à l’observation, des réactions émotionnelles provoquées, mais aussi de certaines dispositions physiologiques (jeûne, fatigue, ébriété). Par la suite, on pourra assister à l’effacement ou à la scotomisation affective de certains souvenirs ou encore à des dénaturations secondaires dus à la lecture des journaux ou à des conversations; enfin, au moment de la déposition, on doit tenir compte de l’état d’anxiété de certains sujets et de leur crainte d’une compromission possible, de la nature des questions posées et de la conduite de l’interrogatoire (intimidation), de certains mensonges utilitaires ou d’erreurs de bonne foi, enfin des rapports affectifs du témoin avec l’accusé ou l’accusateur qui l’inclinent à la charge ou à la décharge. Aussi Cénac insiste-t-il, sur le plan pratique, sur l’utilité très grande des reconstitutions et sur l’opportunité d’employer des tests d’intelligence, d’attention, de personnalité pour éclairer le niveau mental et les dispositions caractérielles du sujet (agressivité), mais aussi des tests appropriés à l’événement en cause.
À cette occasion, Hesnard a souligné de son côté l’importance d’une inspection en profondeur de la psychologie du témoin. Sa présence dans un événement impressionnant, dit-il, le place dans une situation phénoménologique interhumaine, qui fait de lui un acteur secret de cet événement; elle provoque de sa part une attitude et des conduites révélatrices de ses propres dispositions profondes (génétiques ou historiques), et actuelles ou présentes); avant tout, dispositions à intervenir (d’ailleurs, sans le savoir), soit, comme accusé, soit comme accusateur.
« Le témoin que souhaite le juge », ajoute-t-il, est un idéal objectif, un robot enregistreur et parleur. Mais le témoin vrai, réel, est un être vivant dans un monde de valeurs qui voit et entend du bien et du mal pour lui, c’est-à-dire, une prévention d’accusation ou de culpabilité. Hesnard critique aussi les expériences classiques, « préfabriquées » portant uniquement sur des données sensorielles neutres, qui, pour lui, ne signifient pas grande chose.
2) Le témoignage des enfants. Lasègue, Brouardel, Motet, Legrand du Saulle avaient, depuis longtemps, souligné la fréquence et le danger du mensonge dans le témoignage des enfants; la vérité ne sort pas toujours de leur bouche, comme le veut le dicton populaire. Une suspicion légitime doit s’exercer vis-à-vis du témoignage d’un enfant, surtout lorsque celui-ci est unique ou principal témoin dans une affaire. L’examen psychiatrique aidé de tests, souvent opportun, s’imposera dans les faits d’attentats à la pudeur dont l’enfant peut être victime ou témoin. La suggestibilité fait que le récit s’enrichit et se cristallise au fur et à mesure de l’interrogatoire, dans une formule précise apparemment exacte et désormais invariable ; d’où cette conclusion pratique, en apparence paradoxale : le témoignage doit être considéré comme particulièrement suspect lorsque le récit de l’enfant est trop précis, avec des termes trop appropriés et lorsque, aux différents examens, il ne subit aucune variation. (A. Collin, Heuyer). Ajoutons y aussi la crainte des représailles de la famille quand celle-ci a suggéré une déposition. Mais la place la plus importante du faux témoignage chez l’enfant revient encore à la mythomanie (fréquente chez eux).
3) Le témoignage des mythomanes. –
a) Chez l’enfant les mobiles du mensonge sont variés et souvent mélangés : curiosité, jeu, vanité, cette dernière pouvant s’associer à la malignité. Les petits vicieux sont à la fois enchantés qu’on s’occupe d’eux dans l’opinion publique et les journaux et heureux de nuire : « ils font du même coup autant de bruit que de mal » (Dupré, cas des accusations calomnieuses).
Le dépistage de ces enfants menteurs n’est pas toujours aisé. L’absence d’émotion, l’assurance avec laquelle ils font leur déposition donnent, à première impression, une apparence de crédibilité très grande à leur témoignage. Souvent les récits fabulants sont plus beaux que les vrais, ce qui doit donner l’éveil (v. Mensonge).
b) Chez l’adulte, la mythomanie peut inspirer aussi certains témoignages. Très souvent, par la perversité et la malignité qui la doublent, elle s’attaque au prochain (faux attentats avec ou sans mutilation, viols, mise en scène de faux cambriolages allant jusqu’au bâillonnement réalisé par des domestiques débiles). Autour d’un mythomane actif dont la vanité n’exclut pas le sens utilitaire, peuvent s’agglutiner des comparses, se créer des courants d’action augmentant d’autant le nombre des faux témoignages. Quand la malignité s’ajoute à la mythomanie on a toute une gradation de manifestations qui va de l’insinuation accusatrice aux imputations franchement calomnieuses et aux accusations mensongères (v. Accusation, Mythomanie).
4. Le témoignage des déséquilibrés, des affaiblis et des aliénés. –
a) Il y a toute une catégorie d’individus à sincérité suspecte, petits tarés ou anormaux qui vivent néanmoins de la vie commune : déséquilibrés, vaniteux, débiles, pervers, alcooliques, toxicomanes dont l’intervention, disait H. Claude, constitue un danger pour la bonne administration de la justice et une entrave à la conduite des enquêtes judiciaires. « Ils sont les instigateurs des recherches injustifiées, brouillant les pistes suivies par les policiers; dans les confrontations, en raison des variations dans leurs dépositions, ils sèment le doute en favorisant les suspicions. Leur témoignage n’a souvent pas plus de valeur que celui des enfants ; ils sont, du reste, souvent atteints eux aussi de mythomanie ».
b) Chez les vieillards et les affaiblis, avec le fléchissement de la mémoire (surtout de la mémoire de fixation pour les choses récentes), il y a souvent apathie, incuriosité, parfois aussi fabulation. Le témoignage chez les vieillards peut être aussi vicié par des idées de préjudice si fréquentes à cet âge.
c) Les aliénés peuvent avoir parfois à témoigner en justice. La tendance naturelle est de rejeter leur témoignage en bloc, mais des psychiatres, après des études minutieuses (Lalanne, Ley et Menzerath, Rogues de Fursac), ont montré par des recherches expérimentales en série du genre des tests appliqués aux normaux, que leur témoignage ne devait pas être récusé à priori. La Cour de Cassation a décidé, en matière générale, que l’état d’aliénation mentale d’un individu ne s’oppose pas légalement à ce que son témoignage soit produit (H. Claude). Les conclusions que Rogues de Fursac a tiré de ses expériences comparatives sont à retenir : le témoignage des psychopathes considéré au double point de vue de la fidélité et du savoir, est, d’une façon générale, inférieur à celui de normaux. Cependant, dans tous les états psychopathiques étudiés, on trouve en proportion variable des sujets chez lesquels le coefficient de fidélité est égal ou supérieur au coefficient le plus faible fourni par les normaux. L’infériorité du témoignage des psychopathes se manifeste plus dans l’insuffisance numérique des renseignements qu’ils fournissent que dans le nombre des erreurs qu’ils commettent. La valeur du témoignage d’un psychopathe est toujours une question d’espèce et ne peut être fixée qu’après une expertise de crédibilité.
Le psychopathe est officiellement dispensé du serment qui paraît, en ce qui le concerne, une formalité vide de sens. La suggestibilité chez les arriérés étant parfois très grande, l’interrogatoire devra se faire avec une grande prudence.
La comparution de tous ces malades à l’audience doit être évitée et leur audition sera remplacée avec avantage par la lecture de la déposition faite au cours de l’information. Dans la pratique, du reste, le recours au témoignage des aliénés demeure très rare.
Ant. Porot.
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