Syndrome de domestication

Avons-nous été domestiqués par nos propres animaux domestiques?

Et si le « syndrome de domestication » était la nature humaine?

Les spécialistes s’interrogent encore sur l’éventuelle diminution de volume du cerveau humain par rapport au poids corporel. Quoi qu’il en soit, nos cerveaux sont plus petits que ceux des Néandertaliens. Les Australiens de sexe masculin appartenant à des populations aussi bien sédentaires que nomades ont vu, par exemple, leur volume crânien diminuer de 9% entre le pléistocène et notre époque, l’holocène. Il y a environ 12 000 ans, ces changements se sont produits chez presque tous les humains. Notre cerveau moderne, avec un volume d’environ 1350 cm cube, est moins gros de 10% que celui de 1500 cm cube que possédait l’homme de Neandertal. Le passage à l’agriculture a généralement accéléré ces transformations physiques.

Au début de la domestication, les animaux ont trouvé un abri, un régime alimentaire transformé par l’agriculture et une protection contre les prédateurs grâce à un confinement relatif. Ces innovations ont réduit leurs besoins sensoriels, facilitant la poursuite de la domestication. Alors que nos animaux domestiques adoptaient un mode de vie où l’activité et les stimulations étaient moins importantes, les humains en ont fait autant. En assurant à leur bétail des conditions plus sûres, plus sédentaires, les hommes en ont également tiré profit. Le confinement lui-même a été mutuel. En nous éloignant de la nature pour nous installer dans des fermes, nous sommes devenus, concrètement, un animal de ferme comme les autres. John Allman, spécialiste du cerveau au California Institute of Technology, affirme que, par l’agriculture et d’autres modes de réduction des risques quotidiens de l’existence, les humains se sont domestiqués eux-mêmes. Nous dépendons désormais d’autrui pour notre alimentation et notre logement. À cet égard, nous ne sommes pas très différents des caniches.

Les créatures domestiques n’ont pas besoin de compter sur leur intelligence pour assurer leur survie. Elles sont censées accepter leur sort, sans faire la fine bouche. Les vaches et les chèvres ne semblent pas s’intéresser beaucoup à leur environnement; elles n’en ont pas besoin. Pas plus que les humains qui les gardent.

L’archéologue Colin Groves écrit : « Les humains ont subi une réduction de leur conscience environnementale parallèle à celle des espèces domestiques, et exactement pour la même raison. » Il présente la domestication comme une sorte de partenariat dans lequel « chaque partenaire, à un certain degré, est protégé par son association avec l’autre ». Groves affirme que la sécurité a conduit nos sens à l’émousser et explique que les modifications cérébrales ont provoqué chez les humains « le déclin de l’appréciation environnementale ».

On trouver cette affirmation intéressante. Il utilise l’adjectif « environnementale » pour désigner la totalité de notre environnement. Mais il semble que cette observation s’applique aussi à notre conscience du monde naturel. « À vrai dire, a observé Emerson il a fort longtemps, peu d’adultes sont capables de voir la nature. La plupart ne voient pas le soleil. »

On pourrait dire que l’aliénation de l’humanité à l’égard de la nature n’est qu’une habitude. Nous savons qu’il a existé à une date récente des chasseurs-cueilleurs tribaux vivant en résonance étroite avec le monde vivant. Mais que penser si le problème de l’aliénation par rapport à la nature – l’idée du bannissement du paradis? – est indissociable de la nature humaine réelle? Notre nature humaine a-t-elle été altérée par l’autodomestication? Avons-nous été domestiqués par nos propres animaux domestiques? Et si le « syndrome de domestication » était la nature humaine?

Robinson Jeffers :

La race de l’homme fut créée
par l’effroi et la douleur…
… il apprit à égorger les bêtes et à massacrer les hommes,
et à haïr le monde.

Les changements que nous sommes imposés en nous installant dans notre « domesticité » civilisée ont-ils véritablement entraîné des modifications humaines touchant le stockage des graisses, la sexualité, la fréquence des naissances multiples, le déclin des facultés sensorielles, les faces plus plates aux dents trop nombreuses et un comportement docile comparables à celles que nous observons chez d’autres animaux domestiques?

Une chose est sûre : notre image de nous-mêmes en créatures post-évolutionnaires, purement culturelles, éloignées des pressions de la sélection et contrôlant notre destin, cette image-là est fausse. Nous avons tendance à penser que les humains ont évolué, puis ont cessé d’évoluer et que la culture a commencé. Loin de là.

Le début de l’agriculture et les cultures florissantes de la civilisation ont eux-mêmes représenté des transformations considérables de l’environnement humain, qui ont massivement modifié les pressions de la sélection. Les pressions qui avaient pour effet de maintenir la taille, la force et l’acuité sensorielle du chasseur se sont atténuées, alors que celles qui tendaient à favoriser un comportement plus coopératif, un élargissement des compétences sociales et la répression des pulsions violentes se sont accentuées. Des humains petits, plus minces, à l’ossature fine n’étaient sans doute pas des champions de la chasse au mammouth. Mais ayant besoin d’une moindre quantité de calories, il survivaient peut-être mieux aux mauvaises récoltes.

Darwin a forgé l’expression de « sélection naturelle » parce qu’il comparait les mécanismes observés dans la nature avec la sélection artificielle appliquée à l’élevage du bétail. Mais la nature ne sélectionne pas vraiment; elle filtre. L’environnement fait fonction de filtre, et, lorsqu’il se modifie, il filtre différemment. En un mot : alors que les pressions changent, l’homme reste un chantier en cours.

Regardez la créature en évolution dans votre miroir. Rendez-vous compte de tout le trajet qu’il nous reste à parcourir pour être universellement aussi bons les uns avec les autres, ou aussi amusants les uns pour les autres, que les bonobos.

On a dit qu’il n’existe pas deux espèces plus semblables que les loups et les humains. Quand on observe les loups non seulement dans toute leur beauté et leur adaptabilité mais dans toute leur brutalité, cette conclusion s’impose.

Vivant comme nus le faisons en meutes familiales, écartant les loups humains qui vivent parmi nous, gérant les loups qui sont en nous, nous pouvons facilement reconnaître les dilemmes sociaux et les quêtes sociales des vrais loups. Il n’est pas surprenant que les Amérindiens aient considéré les loups comme des esprits frères.

Observez les similitudes entre loups mâles et mâles humains. Elles sont franchement frappantes. Il existe très peu d’espèces dans lesquelles les mâles améliorent directement la survie des femelles ou des jeunes tout au long de l’année. La plupart des oiseaux mâles n’apportent ainsi à manger aux femelles et aux jeunes que pendant la saison de reproduction. Chez quelques poissons et quelques espèces de singes, les mâles s’occupent activement des jeunes, mais uniquement quand ces derniers sont en bas âge. Les douroucoulis, les primates, mâles portent et protègent les bébés, mais ils ne les nourrissent pas. Les lémurs mâles défient les prédateurs, permettant aux femelles de s’enfuir, amis n’apportent pas de nourriture.

Aider à trouver de la nourriture toute l’année, apporter à manger aux bébés, aider à élever les jeunes pendant plusieurs années jusqu’à leur maturité, et défendre les femelles et la progéniture contre les individus qui menacent leur sécurité est un ensemble de qualités que l’on rencontre très rarement chez un mâle. Sauf chez les mâles humains et les mâles loups – ce sont à peu près les seuls. Et des deux, le plus fiable et le plus fidèle n’est pas l’homme.

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Le « syndrome de domestication » est-il de la nature humaine? Photo de GrandQuebec.com.

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