Subnarcose en psychiatrie
La subnarcose ou narcose luminaire est une manœuvre qui réalise artificiellement un état proche du sommeil, mais dans lequel le sujet garde encore la possibilité de communiquer avec le milieu extérieur.
Terminologie : – L’état de somnolence étant provoqué dans le but de permettre certaines opérations psychologiques d’investigation ou de traitement, on se sert souvent des noms de ces opérations pour désigner l’ensemble de la manœuvre qui change alors de nom au gré des tendances de chaque auteur et s’appelle tour à tour narco-analyse, narco-synthèse, abréaction, psychanalyse chimique, psycho-somatique, narco-diagnostic, etc.
Technique. – On utilise actuellement de façon presque exclusive les barbiturates à élimination rapide : pentothal, amythal, nesdonal, privénal, évipan, narconumal, etc. Le produit est introduit par voie veineuse et très lentement, tandis que le malade se livre, si possible à un petit travail intellectuel (compter à rebours, par exemple). Lorsque la voix devient pâteuse, le regard vague, les opérations intellectuelles incertaines, incorrectes, lorsque apparaissent les bâillements et les autres signes habituels de pré-endormissement, l’état de subnarcose peut être considéré comme atteint; selon les auteurs, on arrête alors définitivement l’injection ou bien on laisse l’aiguille en place pour pouvoir administrer de nouvelles doses d’anesthésiques dès que le sujet tend à se réveiller, ou bien encore on pousse systématiquement jusqu’au sommeil afin d’utiliser la phase de réveil. À partir de ce moment, on procède de façon différente selon le résultat que l’on cherche à obtenir.
1. Recherches diagnostics. – Dans l’ordre neurologique, la subnarcose peut extérioriser des atteintes peu apparentes ou impossibles à isoler à l’état de veille : par exemple, un syndrome pyramidal chez un parkinsonien. Avec une technique précise (solution de privénal à 10% injectée à raison de 2 cc par minute), R. Targowla a pu provoquer des paroxysmes épileptiques chez des sujets atteints de mal comitial.
Dans l’ordre psychiatrique, la subnarcose permet parfois des constatations précieuses, mais d’une interprétation délicate : elle modifie peu les troubles primitifs et profonds qui forment l’essentiel structural des psychoses (« symptômes négatifs » dans la terminologie organodynamiste) ; les troubles secondaires, contingents, au contraire (symptômes positifs) subissent d’importantes variations : les uns disparaissent pendant l’épreuve (troubles névrotiques divers, amnésie affective, par exemple), tandis que d’autres s’exaltent jusqu’au paroxysme (crises hystériques apparaissant chez un sujet qui n’avait présenté jusque-là que des symptômes psychiatriques discrets). L’exploration de l’inconscient qui permet l’épreuve apporte par ailleurs d’intéressantes précisions sur le passé du malade, sur la valeur affective des expériences vécues, sur les tendances et les conflits profonds. Elle est donc à ce titre utilisable aussi bien dans les psychoses (Bessière et Fusswerk) que dans les névroses.
II. Action thérapeutique. – L’injection d’une solution barbiturique n’a, par elle-même, qu’une action thérapeutique peu importante. Par contre, l’état de subnarcose facilite de façon appréciable certaines « manifestations » psychologiques : c’est donc la psychothérapie et non la subnarcose qui guérit et les techniques, ici, sont très différentes, selon les thérapeutes et selon les particularités cliniques des cas à traiter; elles sont cependant toujours plus actives, plus directes et aussi plus rapides, même lorsqu’on multiplie les séances, que ne l’est la psychanalyse proprement dite, bien qu’elles s’inspirent largement de cette dernière.
Très schématiquement, on peut dire que la psychothérapie, au cours de la subnarcose, se propose un double but ; elle tend d’abord à provoquer l’extériorisation d’une charge affective latente, liée à certains souvenirs (« abréaction » ou « catharsis »); ensuite, par le double jeu de la narcoanalyse, qui ramène de l’inconscient les données qui se trouvaient enfouies, et de la narco-synthèse, qui reclasse ces données et les intègre harmonieusement à la personnalité. Elle tente de supprimer l’action pathogène des conflits profonds en amenant le malade à en prendre conscience et à adopter à leur endroit une attitude satisfaisante. Le transfert positif qui, le plus souvent, s’établit facilement au bénéfice du thérapeute dès le début de la séance, facilite grandement ces divers « temps opératoires ».
Les indications de la subnarcose sont celles de la psychothérapie dite « en profondeur »; dans les psychoses confirmées, il ne s’agit guère que d’une action d’appoint. Il en va tout autrement dans les névroses et tout particulièrement dans les névroses émotionnelles récentes (psychonévroses de guerre) où l’on enregistre souvent des succès spectaculaires.
III. Applications médico-légales. – La légitimité de l’emploi de la subnarcose en médecine légale est une question fort controversée. Les avocats ont généralement pris position contre la méthode et l’Académie de Médecine s’est récemment rangée à leur point de vue : la plupart des psychiatres ayant une expérience personnelle de la subnarcose lui sont, au contraire, favorables et ils ont avec eux la majorité des magistrats. Un jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Paris au début de l’année 1949 et vraisemblablement appelé à faire jurisprudence a d’ailleurs apporté à leur thèse une confirmation juridique.
À l’origine du débat, il y a la confusion qui existe dans certains esprits entre l’usage médical de la subnarcose et l’emploi abusif qui a pu en être fait par des policiers des aveux. Il faut donc bien préciser que la subnarcose ne doit être employée en médecine légale à des fins uniquement diagnostiques, que si les moyens habituels d’investigation laissent persister un doute sur la nature ou sur la réalité des troubles pathologiques ; que si, d’autre part, l’expert est personnellement rompu à la pratique de ce genre d’investigation et que le prévenu, laissé moralement libre de sa décision, accepte de s’y soumettre. Enfin, les aveux qui pourraient exceptionnellement être recueillis au cours de l’opération, concernant la matérialité des faits, ne doivent pas être communiqués à l’instruction.
J. -M. Sutter.
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