Stérilisation en psychiatrie
Historique. – La stérilisation, opération qui consiste à priver les géniteurs de leur possibilité de reproduction, est très ancienne comme conception sociale.
Sémiramis, reine de Ninive, en effet, faisait déjà castrer certains sujets mâles trop chétifs pour éviter l’affaiblissement de son peuple. L’idée d’appliquer cette opération aux aliénés, aux tarés mentaux, semble remonter au XVIIIe siècle avec Franck, médecin allemand.
Au XIXe siècle, elle est déjà en usage dans quelques états américains. En 1925, elle apparaît au Canada. Sur le continent américain, en 1937, elle était en usage dans 27 états des USA.
En Europe, on la voit apparaître d’abord en Suède, puis elle est instaurée vers 1934-1935 dans les différents pays scandinaves : Norvège, Danemark et Finlande, en Suisse dès 1928 (canton de Vaud). On trouvera dans un travail de Martin Ekblad une étude portant sur 479 cas d’avortements provoqués légalement, dont quelques-uns avec stérilisation, des statistiques intéressantes sur l’état psychique des malades avant l’intervention et les conséquences sur ces résultats dans ce domaine. 86% de femmes stérilisées ont manifesté leur reconnaissance d’avoir été opérées et leur santé psychique s’en ressentit favorablement ; on a vu disparaître les symptômes de névroses anxieuses qui avaient motivé l’intervention (Acta Psychiatrica et Neurologica, Copenhague, 1955, in A.M.P., novembre 1956, p. 715).
C’est surtout en Allemagne qu’elle prend une grande extension, et la loi du 19 juillet 1933 la rend obligatoire dans certains cas. Cette loi, coïncidant avec l’intensification de la mystique raciale permit de développer sur une grande échelle cette mesure prophylactique. Elle connut des apôtres ardents tels que Rudin, de Munich, qui poursuivait en même temps la recherche de ses fondements scientifiques, basés sur l’hérédité mendélienne. Rudin se flattait d’épurer la race allemande en dix ans à la cadence de 400.000 stérilisations annuelles portant sur des épileptiques et de tarés mentaux. Rudin insistait sur le péril majeur que constituaient les formes légères, laissées en liberté, tandis que les formes graves étaient généralement internées. Il y avait donc un intérêt au moins aussi grand à stériliser les porteurs sains de tares, les génotypes, que les malades évidents, les phénotypes.
En France, cette conception a eu quelques défenseurs, mais n’a jamais cependant suscité de mesure légale.
Législation. – La législation varie suivant les pays, donnant en certains cas un pouvoir presque absolu aux autorités administratives et médicales, en d’autres, maintenant un certain nombre de garanties à l’individu, voir des appels possibles, parfois même exigeant le consentement de l’intéressé (Canada).
Aucun texte en France n’interdit la stérilisation préventive d’indication médicale. Toutefois, le Code pénal, à l’article 316, indique que le crime de castration est puni de travaux forcés à perpétuité et « s’il n’y a pas eu ablation des organes génitaux mais seulement suppression de la capacité de reproduction, le coupable pourra être poursuivi pour coups et blessures volontaires ou involontaires ».
Technique. – Actuellement, c’est la ligature des canaux déférents et des trompes qui représente la technique la plus courante.
Critique. – Ce procédé d’eugénisme et de prophylaxie mentale est, a priori, défendable.
Il a ses partisans convaincus qui se basent sur des statistiques qu’ils estiment assez probantes : telle celle publiée en Amérique. 1.500 personnes ont été stérilisées en 1949 aux États-Unis. On calcule que les stérilisations faites depuis 1927 (en considérant que la stérilisation de 100 femmes et de 100 hommes peut éviter la naissance de 90 enfants déficients mentalement) auraient empêché la naissance de 19.130 débiles mentaux.
Mais la stérilisation a cependant soulevé de nombreuses objections :
Au point de vue moral, certains y voient une atteinte à la liberté individuelle;
Au point de vue religieux, certaines Églises, comme l’Église catholique, la condamnent;
Au point de vue social, on a fait remarquer qu’on pouvait se priver ainsi de sujets ayant en dehors de leurs crises une réelle valeur et un rendement utile.
En Allemagne même, Bumptke soulignait, à propos de la psychose maniacodépressive, qu’on comptait dans ce groupe beaucoup de sujets d’une grande valeur culturelle et sociale, et que ce serait une perte de capital sans compensation : « Si l’on veut faire disparaitre la folie maniaque dépressive, disait-il, il nous faut aussi nous priver de tout le bien et le bon, de toute couleur et de toute chaleur, de beaucoup d’esprit et de vigueur. Plutôt que de renoncer aux personnes saines appartenant à ce type constitutionnel, je préfère prendre les malades par-dessus le marché … »
Enfin, les critiques les plus importantes sont de l’ordre médical et scientifique. On a fait remarquer qu’il n’y avait pas d’assimilation possible avec les expériences mendéliennes à cycle rapide et toujours individuelles et pures.
Très différentes sont les conditions de l’observation humaine. C’est à peine si le même observateur peut enquêter sur 3 générations au cours de sa vie et, d’autre part, en raison des croisements, des fautes conjugales, des paternités à surprise, la descendance est trop souvent déviée de son type originel.
L’imprécision des catégories mentales a été invoquée et, pour beaucoup d’auteurs, s’il y a quelques cas d’hérédité similaire, le plus souvent, on relève le polymorphisme des manifestations héréditaires (Bersot, Courbon) : schizophrénie, cyclothymie, paranoïa, épilepsie, déséquilibres divers se rencontrant sans ordre déterminé dans la même famille; ce qui nous ramène à l’ancienne théorie de la prédisposition beaucoup plus qu’au déterminisme rigoureux des lois mendéliennes.
La plupart des auteurs de pensée française estiment qu’il est d’autres moyens de prophylaxie mentale, et qu’à côté des tares héréditaires, les influences éducatives, les incidences biosociales, la « péristase », jouerait un rôle au moins aussi important et que c’est de ce côté que l’hygiène mentale doit porter son effort (v. Hérédité et Eugénique).
Il semble toutefois se dessiner actuellement un mouvement en faveur de la stérilisation pour indications psychiatriques. Nous renvoyons pour le détail des discussions et des arguments à l’article de H. Duchêne (Evolution psychiatrique, juillet-septembre 1956) résumant en particulier le travail de Martin Ekblad. Il s’agit dans l’ensemble d’indications plus souvent sociales ou médicosociales qu’eugéniques à proprement parler et il semble également que l’accord de l’individu soit des plus souhaitables.
C’est surtout l’impossibilité ou pour le moins les difficultés d’éducation de l’enfant par les parents et les conséquences tant sociales que pour l’enfant lui-même qui fournissent la base de l’argumentation.
Ant. Porot.
Castration
La castration ou ablation des organes génitaux (accidentelle, criminelle ou chirurgicale) peut entraîner dans certaines conditions d’âge ou de sexe, quelques conséquences morphologiques (obésité, eunuchisme); elle intéresse le psychiatre par des répercussions possibles sur l’état mental – surtout lorsqu’il a suppression des glandes sexuelles et de leur sécrétion hormonale – psychologie des eunuques, accidents neuropsychopathiques de l’avoariectomie, etc.
– Mais la psychanalyse ayant attiré l’attention sur l’importance, dans le développement de la sexualité, des réactions fortement émotionnelles que détermine chez l’enfant, la peur de la mutilation du pénis masculin, on parle couramment, en psychopathologie contemporaine, d’ « angoisse de castration » et de « complexe de castration ».
L’angoisse de castration serait, pour Freud, non seulement la terreur consciente qui résulte accidentellement chez le petit garçon, des menaces maladroites des parents concernant sa tendance naturelle à toucher ou à montrer son sexe, mais l’attitude émotionnelle fondamentale et permanente, quoique profondément inconsciente, qui succède chez lui à la découverte de la différence des sexes : chez le garçon naîtrait alors l’idée déprimante que le pénis peut être enlevé, par punition. Chez la fille, l’idée révoltante que le pénis masculin ne lui a pas été donné ou conservé; d’où sentiment de frustration où sa conséquence de revendication associée à la peur de l’abandon par l’homme.
Le complexe de castration est le système inconscient d’images et d’émotions qu’exprime, chez l’adulte atteint de névrose, la fixation d’une angoisse infantile de castration, non surmontée au cours du développement. Il explique, chez l’homme, la crainte résultant de l’interdiction par le sur-moi, qui altère soit le choix normal du partenaire féminin, soit l’agressivité nécessaire à la réalisation de l’acte sexuel. Chez la femme, la répugnance à accepter la condition féminine et la pénétration vaginale. La psychanalyse voit dans la menace implicite de castration le principal obstacle à la « désexualisation du complexe d’Œdipe »; c’est-à-dire au détachement sexuel de la personne des parents castrateurs. Détachement d’où naît la première morale sexuelle et qui permet d’autre part, à l’état adulte, l’élection du partenaire normal et le désir libre de l’union sexuelle.
La psychanalyse contemporaine attache une très grande importance au complexe de castration, dont l’analyse démontre la valeur symbolique du phallus et de son acceptation ou de son refus et de son appartenance. Les névroses hommes ne parviennent pas à en assumer la pleine possession et les névroses femmes n’acceptent que difficilement et parfois jamais de ne pas l’avoir. Le problème de l’appartenance symbolique, qui se comprend sur le plan fantasmique, joue un rôle primordial tant dans la névrose que dans la perversion. Ce que démontrent des cas de névrose (comme l’obsession) et de perversion (comme l’homosexualité) qui succèdent tardivement à des scènes traumatisantes ayant créé dans la petite enfance des situations non surmontées et se répètent ensuite chez l’adulte, homme ou femme, en entravant sa capacité normale d’assumer sa propre sexuation.
A. Hesnard.
(Ces textes n’ont qu’une valeur historique, ils ont été rédigés dans les années 1950).
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