Sommeil en psychiatrie
« Le sommeil naturel représente pour l’homme un mode périodique de restauration dont le renouvellement suivant un rythme journalier est indispensable (Tournay). Aussi, toute perturbation de cette fonction périodique et nécessaire retentit-elle sur la santé générale et l’équilibre nerveux.
Du point de vue psychologique, rappelons que Pavlov en faisait un phénomène d’inhibition corticale, et que Hess avait localisé dans le mésodiencéphale un centre régulateur de la fonction hypnique. Actuellement, à la suite des travaux de Ranson, Magoun, Maruzzi, on tend au contraire à admettre que l’état de veille « procède de l’activité tonique » d’un appareil dynamique, ou d’éveil, sous-cortical, cette activité tonique étant entretenue par des facteurs humoraux, par l’effet dynamogène des afférences somatiques (notamment trigéminées) transmises au cortex, qui à son tour ne les reçoit pas passivement (Morin, Psychologie du S.N. central, Masson éd., 1958). Cet appareil stimulant l’activité corticale est la substance réticulée de Ranson et Magoun. Les résultats expérimentaux de Hess pourraient s’interpréter par une action dépressive sur la réticulée d’un « centre régulateur hypnique » hypothétique. Ajoutons enfin que le sommeil se caractérise sur les enregistrements E.E.G. par une synchronisation de l’activité électrique des neurones corticaux : à l’endormissement, apparition et modulation des ondes alpha (« fuseaux » du sommeil), puis ondes lentes de type delta et aplatissement des rythmes corticaux (nous n’insisterons pas d’avantage sur les recherches de corrélations électrocliniques entre E.E.G. et états de conscience, dont l’intérêt déborde en fait largement le cadre de cet article).
Le sommeil se traduit par une suspension de la conscience traversée par une activité onirique, le rêve, remémoré ou non au réveil, et par une résolution de tonus musculaire.
L’une des caractéristiques du sommeil est que le dormeur peut toujours être réveillé par une sollicitation extérieure, ce qui différencie le sommeil de la stupeur et du coma. Les phases d’endormissement et de réveil sont propices à certaines manifestations mentales : le mentisme, les hallucinations dites hypnagogiques (de l’endormissement) ou hypnopompiques (du réveil).
On a décrit certaines dissociations de la fonction hypnique (« sommeil dissocié ») de Lhermitte), représentée par des phénomènes oniriques ou hallucinatoires isolés (hallucinose-pédonculaire) ou des dissolutions brusques du seul tonus musculaire (cataplexie) associés ou non à des attaques de narcolepsie (syndrome de Gelineau).
Delmas-Marsalet a décrit une épilepsie « morphéique » se produisant au moment de l’endormissement et dont l’équivalent mineur est représenté chez un certain nombre de sujets par des décharges brusques des membres. Soulignons enfin les variations individuelles dans le besoin de sommeil, selon les tempéraments (grands dormeurs, petits dormeurs).
Troubles du sommeil. – Le sommeil peut s’écarter de son équilibre normal par excès ou par insuffisance : hypersomnie et insomnie.
1. Hypersomnie : Si l’on met à part les stupeurs, les comas, les sommeils toxiques ou médicamenteux, on peut distinguer deux variétés d’hypersomnies : la forme continue qui va de la simple somnolence à la léthargie et la forme discontinue représenté par des accès de narcolepsie de durée variable avec ou sans onirisme, avec ou sans cataplexie. S’il y a une hypersomnie survenue en pleine santé apparente et s’installant progressivement, on pensera, en cas de fièvre, à un processus encéphalitique secondaire ou primitif, à l’encéphalite dite léthargique en particulier. La tryponosomiase ne se voit guère qu’en pays endémique, mais il faut toujours penser à la possibilité d’une hypertension crânienne, d’une tumeur du 3e ventricule, d’une syphilis basilaire, d’une azotémie ou d’un état d’acidose diabétique – toutes affections qui commandent leur traitement particulier. Les attaques de narcolepsie sont justiciables du traitement d’éphédrine.
2. Insomnies : Rigoureusement, ce terme ne devrait s’appliquer qu’à la perte totale du sommeil, mais l’usage l’entendu à tous les sommeils mauvais ou insuffisants; il y a des insomnies du début de la nuit, du matin et des insomnies médionocturnes.
La cause du mauvais sommeil peut être évidente : crises douloureuses viscérales, asthme, décompensation cardiaque, algies diverses, états fébriles ou infectieux, etc. Sur le plan psychique, il faut distinguer les insomnies au cours des psychopathies et les insomnies dites névropathiques.
a) Insomnies dans les psychoses : L’insomnie annonce presque tous les états confusionnels quelle qu’en soit l’origine : infection ou intoxication. Elle est un prodrome fréquent des grandes psychoses anxieuses et des psychoses dites réactionnelles. Dans la psychose périodique, elle annonce le début d’un accès maniaque : en plein accès, il arrive que ces malades ne dorment qu’une ou deux heures par nuit et, parfois, pas du tout; le retour du sommeil est un signe de déclin de l’accès. On a même décrit une forme de la psychose périodique caractérisée par des phases d’une simple insomnie prolongée (l’Insomnie périodique de Logre). Dans la mélancolie, le sommeil est profondément troublé et s’accompagne toujours d’anxiété plus ou moins intense. C’est surtout le matin, au petit jour, que cette insomnie anxieuse atteint son paroxysme et dicte souvent des raptus suicides. Certains délirants chroniques ont aussi de mauvais sommeils, torturés qu’ils sont par leurs hallucinations et la charge anxieuse qui soustend leur délire.
Mentionnons aussi pour mémoire l’agitation nocturne et la somnolence diurne de certains idiots et déments, les déments séniles en particulier.
La conduite à tenir devant ces insomnies secondaires doit s’inspirer du traitement de la maladie en cause.
b) Insomnies névropathiques : Elles sont extrêmement fréquentes et les neuropsychiatres comme les praticiens sont très souvent consultés à ce sujet. Il convient de faire le point exact de ces insomnies névropathiques.
Et d’abord il y a de faux insomniaques qui se plaignent – suivant leur expression – d’«entendre sonner toutes les heures» : leur habitus extérieur, leur bonne santé générale démentent cette allégation, car il n’y a pas de véritable insomnie, tant soit peu durable, sans amaigrissement. De tels sujets sont de petits pantomimes qui se sont forés une attitude dans laquelle ils se complaisent, qu’ils promènent de cabinet en cabinet et qu’ils font accepter volontiers par un entourage innocemment complice. Il faut, en présence de ces faux insomniaques, leur faire toucher du doigt leur erreur et surtout se garder de l’alimenter par des médications intempestives, mais il y a de faux insomniaques qu’on pourrait dire sincères : ce sont les sujets qui ont l’impression, au réveil, de n’être pas reposés et qui concluent à l’insomnie (sommeil non réparateur).
Il y a ensuite tous les petits anxieux, tous les sujets victimes de conflits affectifs plus ou moins refoulés ou en proie à des soucis d’affaires, à du surmenage, que leurs préoccupations harcèlent particulièrement la nuit. La plupart de ces sujets, du reste, font déjà un usage abusif des hypnotiques, des barbiturates en particulier. Aujourd’hui, cette vente des hypnotiques, trop facile autrefois, est soumise à une réglementation plus sévère pour leur délivrance.
Actuellement, c’est ce que l’on appelle les « tranquillisants » ou « pilules de bonheur » qui sont l’objet d’une consommation trop souvent abusive.
Le moins qu’on puisse dire de cet abus est qu’il renforce la dépression nerveuse des sujets qui s’y adonnent. Enfin, a l’inverse des précédents, certains sujets surmenés, qui se « doppent » avec des toniques (strychnine, orthédrines, maxiton, etc.) présentent souvent un sommeil réduit ou superficiel.
La conduite à tenir varie suivant les cas et suivant les circonstances. Il faudra, avant tout, rechercher s’il n’y a pas quelques affection latente ou ignorée du sujet, quelque erreur d’hygiène générale ou alimentaire (surmenage, abus de café, de thé, d’alcool, de tabac, suralimentation, etc.). Si rien n’existe de ce côté, un examen psychique approfondi pourra montrer quelques petites tares névropathiques, une anxiété latente, des conflits affectifs qu’une psychothérapie en profondeur pourra apaiser. Il faut surtout se garder d’entretenir la petite toxicomanie barbiturique dans laquelle de tels sujets ont facilement glissé ; parfois même, si cette dernière est ancienne et trop accusée, une cure d’isolement et de sevrage sera nécessaire, permettant en même temps la cure psychothérapique; on recourra alors à des moyens physiques : bains chauds le soir, bains d’électricité statique.
Au point de vue médicamenteux, il faudra être très prudent dans l’emploi des hypnotiques, bien régler leur horaire, savoir les varier pour éviter l’accoutumance. La médication opiacée peut trouver quelquefois une indication passagère quand l’anxiété conditionne l’insomnie.
Dans certains cas enfin, où l’insomnie est liée à un état dépressif ou anxieux manifeste, une série d’électrochocs a la plus heureuse influence.

Azotémie
I. Troubles mentaux dus à l’azotémie dans les néphrites. – Lemierre, procédant au démembrement de l’urémie cérébrale, attribue à la rétention azotée une symptomatologie particulière. Le malade, toujours las, somnole le jour, ne peut dormir la nuit, sa vue est obscurcie par la rétinite, il a des troubles digestifs. Ces troubles psychiques sont des psychoses durables dues à la rétention lentement ascendante des déchets azotés.
Des états de confusion mentale typique ont été signalés dans des cas d’azotémie pure. Chez un malade de Merklen, désorientation, onirisme professionnel, écholalie et secousses myoclpniques. Chez un malade de A. Porot, atteint d’une néphrite aiguë toxique mortelle avec azotémie de 5 g : même tableau confusionnel avec onirisme et myoclonies terminales. H. Claude a signalé des fugues urémiques.
II. L’azotémie dans les psychoses. – Chez tous les malades présentant des tableaux délirants ou de confusion mentale, l’azotémie doit être étudiée. Chez les grands confus, sous-alimentés, Targowla fait remarquer qu’un taux de 0,40 doit être considéré comme déjà élevé; c’est surtout dans les confusions mentales infectieuses que cette hyperazotémie est fréquente.
Des hyperazotémies élevées lorsqu’elles sont en rapport avec des néphrites aiguës sont curables. On a voulu faire de ces hyperazotémies élevées un symptôme cardinal de l’encéphalite psychosique aiguë dite azotémique (Toulouse, Marchand et Courtois).
Ce problème des hyperazotémies dans les encéphalites, primitives ou secondaires, a suscité des controverses intéressantes ; on a parlé d’azotémie extra-rénale (Laignel-Lavastine).
Lemierre, J. Delay et Tardieu ont fait une bonne critique de tous ces problèmes. Plusieurs facteurs peuvent intervenir:
Un élément rénal qui peut être un processus de néphrite infectieuse concomitant ; il s’agit alors d’une encéphalose azotémique, mais peut-être aussi d’une simple inaptitude fonctionnelle du rein.
Le métabolisme azoté est fortement troublé, soit par atteinte de la fonction uréogénique du foie, soit par désassimilation azotée considérable et consomption tissulaire, ce dernier phénomène étant lui-même sous la dépendance d’une atteinte des centres neuro-végétatifs par le processus encéphalitique – atteinte portant sur les centres régulateurs du métabolisme des protides et de l’eau.
En définitive, toute rétention uréique dans les psychoses aiguës relève d’une discordance entre la proportion d’azote et les moyens dont le rein dispose pour l’éliminer.
Les auteurs proposent de remplacer le terme d’azotémie extrarénale par celui d’azotémie sans néphrite.
Narcolepsie
Ce terme, que l’on emploie trop souvent improprement comme synonyme d’hypersomnie, ne doit s’appliquer qu’à une forme particulière de cette dernière, caractérisée par des attaques brusques et paroxystiques de sommeil, se produisant en pleine santé apparente; le besoin de dormir est irrésistible et invincible se manifestant à intervalles plus ou moins rapprochés.
Le début est brutal, surprend le sujet au milieu de son travail et de ses occupations, n’importe où, parfois à table, parfois dans une situation dangereuse. On a noté quelquefois des prodromes sous forme d’une aura fugitive. Les possibilités de réveil provoqué sont très diminuées ; la durée est généralement assez courte, parfois quelques secondes ou quelques minutes, plus rarement une ou plusieurs heures.
Le rythme de ces accès est variable : mais on a noté souvent leur retour périodique dans des conditions semblables avec forme et durée égales pour chaque accès.
La première description de la narcolepsie remonte à Gelineau (1881) qui en avait bien noté tous les caractères précités. De nombreux travaux sont venus confirmer cette première description.
On doit à J. Lhermitte de bonnes études sur le trouble du sommeil, constitué par deux composantes, l’une psychique intéressant la conscience, l’autre corporelle intéressant le tonus musculaire et neurovégétatif.
La dissolution brusque et profonde de conscience qui caractérise la narcolepsie est en effet très souvent accompagnée d’une dissolution brutale du tonus musculaire qui caractérise la cataplexie (v. ce mot). C’est à cette association narcolepsie-cataplexie, que l’on réserve aujourd’hui le nom de « syndrome de Gelineau ». On y a noté très souvent quelques composantes psychiques, le rôle des émotions agréables ou désagréables.
Le mécanisme de ces attaques narcoleptiques n’est pas encore définitivement élucide : mais il paraît certain qu’il met en jeu les dispositifs régulateurs de la fonction hypnotique avec les centres corticaux d’inhibition (théorie de Pavlov) et les centres régulateurs disposés autour du IIIe ventricule.
H. Gastaut et B. Roth (S.N. 7 novembre 1957) pensent d’après leurs études E.E.G. que la narcolepsie et la cataplexie sont des phénomènes transitoires, non critiques qui n’ont rien à voir avec l’épilepsie. Les narcolepsies essentielles doivent dépendre d’un trouble fonctionnel de la structure responsable de l’état vigile et de la régulation du sommeil, structure que l’on prête aujourd’hui à la formation réticulée du tronc cérébral. Certains arguments permettent de suspecter l’existence de deux systèmes réticulés d’éveil dont l’un utiliserait comme médiateur l’adrénaline et occuperait le tegmentum mésoencéphalique tandis que l’autre serait cholinergique et plus haut situé dans le thalamus.
D’une étude de Heyck et Hess, de Zurich (anal. In Pr. Méd., 30 avril 1955, p. 649) basée sur 30 cas de narcolepsie essentielle dont 29 ont fait l’objet d’une étude E.E.G., il résulterait que les particularités les plus notables de ces tracés sont les modifications très rapides et parfois même la coexistence de rythme de sommeil et de rythme de veille. Ces altérations ne sont pas sans évoquer les aspects observés dans l’état de fatigue extrême, et le surmenage physique. Selon l’intensité du trouble, on peut distinguer, à côté des formes caractérisées, de nombreux aspects : neurasthénie avec fatigue et troubles du sommeil, état de surmenage dans lesquels on peut parler de formes dégradées de narcolepsie.
Il y a bien, semble-t-il, une narcolepsie essentielle, dans laquelle les attaques se prolongeront pendant des années sans modification ou sans addition d’autres symptômes. On a noté sa prépondérance dans le sexe masculin et chez des sujets dans la force de l’âge. On a aussi noté parfois son caractère familial (Cohn et Cruvant).
La parenté de cette narcolepsie essentielle avec l’épilepsie a été soutenue, il y a longtemps déjà, par Féré, sur certaines identités de la symptomatologie clinique; contestée par d’autres auteurs, elle semble avoir trouvé récemment sa justification dans la ressemblance des tracés électro-encéphalographiques (R. Cohn et B.-A. Cruvant, H. et J. Roger, Gastaut) ; cependant, si l’on a vu parfois alterner les deux séries de crises, chez un même sujet ou dans une même famille, dans la majorité des cas l’attaque est franchement épileptique ou franchement narcoleptique. Ajoutons que, si l’épilepsie présente quelquefois des équivalents stuporeux, ces derniers ne sont pas assimilables à la vraie narcolepsie qui, elle, a tous les caractères d’un sommeil physiologique.
Il y a, à côte de cette forme dite essentielle, des narcolepsies symptomatiques qui ne démasquent leur vraie cause qu’au bout d’un certain temps : les accès se rapprochent et s’allongent et peuvent faire place à une somnolence plus ou moins continue avec enrichissement d’autres symptômes de localisation. C’est le cas de certaines tumeurs cérébrales et tout particulièrement des tumeurs intéressant la région du XXXe ventricule. Certaines formes d’encéphalite provoquent des attaques de narcolepsie. On en a signalé aussi comme séquelles de traumatisme crânien.
– On peut voir quelques attaques de narcolepsie chez des diabétiques et chez des azotémies, précédant la phase de coma permanent.
– Enfin, il existe des apparences d’attaques de narcolepsie ou de cataplexie en rapport avec une disposition hystérique; l’hypnose provoquée peut produire aussi des attaques de sommeil plus ou moins profond mais toujours réversible par les procédés habituels.
La thérapeutique des attaques de narcolepsie est représentée aujourd’hui par les amphétamines comme l’Ortédrine, la Pervitine, le Maxiton, etc.
Mais il faut toujours chercher à détecter, derrière l’attaque de narcolepsie d’apparence primitive, un facteur organique ou physiopathologique possible qui réclamera son traitement propre.
Ant. Porot.