Sénescence et affaiblissement intellectuel

Sénescence, parkinsonisme et affaiblissement intellectuel

1. Considérations générales. – L’affaiblissement intellectuel consiste en un déficit acquis et définitif des différentes compositions de l’intelligence. Une fois amorcé, le processus de fléchissement peut s’arrêter et se stabiliser à un certain palier, mais il peut aussi se poursuivre jusqu’à une déchéance démentielle.

La notion d’affaiblissement intellectuel doit être fondamentalement distinguée de celle d’insuffisance primitive, de faiblesse native et constitutionnelle (débilité mentales et autres arriérations).

Du point de vue symptomatique d’ailleurs, la situation du malade qui fléchit intellectuellement, diffère sensiblement de celle de l’infirme qui n’acquiert pas ou acquiert peu. Les résidus du premier sont d’une autre qualité que les disponibilités du second et se reconnaissent ordinairement à la plus grande étendue, à la plus grande variété des connaissances (vocabulaire, écriture, praxies), à la correction relative des automatismes socialisés (attitudes, formules verbales, nature des préoccupations, aptitudes professionnelles).

On ne confondra pas avec les états d’affaiblissement intellectuel vrai certains états qui peuvent en prendre le masque : les états d’inhibition d’origine affective, mélancolique ou émotive, les aboulies des asthéniques, la fatigabilité et la dépression des psychasthéniques, la lenteur d’élocution et la monotonie du débit des parkinsoniens, les déficits neurologiques spécialisés des aphasiques, des agnosiques, des apraxiques; encore est-il que M. Marie a insisté sur la fréquence d’un petit déficit intellectuel chez les aphasiques. De même, on ne prendra pas pour un affaiblissement intellectuel définitif certains états de persévération mentale, dans lesquels s’installent quelques malades au décours d’une psychose aiguë et qui restent réversibles par une thérapeutique appropriée.

Ajoutons que l’usage réserve ce terme d’affaiblissement intellectuel aux seuls états de déficit irréversibles; aussi ne range-t-on pas généralement sous ce vocable les états d’affaiblissement et de dissolution transitoires et curables tels qu’en réalise la confusion mentale à sa phase aiguë; cette dernière pouvant cependant, mais à titre de séquelle, engendrer des affaiblissements intellectuels définitifs.

« Le vrai mal de la vieillesse n’est pas l’affaiblissement du corps, c’est l’indifférence de l’âme. » (André Maurois, écrivain français, né en 1885 et décédé en 1967, L’Art de vivre). Image : © Megan Jorgensen (Elena)

Le fléchissement intellectuel peut être parfois dissimulé à l’arrière-plan d’autres symptômes et demandera à être recherché. Il y des affaiblissements dans lesquels la baisse de niveau se fait sentir également dans tous les secteurs; d’autres dans lesquels elle est plus frappante dans certains d’entre eux : attention, mémoire, jugement, etc. Malgré la diversité apparente des tableaux cliniques, l’affaiblissement intellectuel offre toujours une certaine constance dans ses éléments essentiels : l’attention tend à devenir nulle, les mémoires s’abolissent, les propos sont pauvres, parfois incohérents, les actes tendent à se raréfier et à se stéréotyper.

C’est au stade de début qu’il est important de reconnaître l’affaiblissement intellectuel pour établir, dès ce moment, le pronostic. On le suspecte déjà devant la réduction du rendement professionnel, le rétrécissement du champ de la curiosité, la viscosité de l’association d’idées, la difficulté d’adaptation aux situations nouvelles qui se traduit insidieusement par un certain misonéisme, la répétition d’erreurs banales, d’oublies, la bradypsychie, l’appauvrissement du vocabulaire, l’illogisme des décisions et des désirs. De nombreux tests classiques et simples peuvent alors révéler les déficits (d’attention, de mémoire, de jugement) dans une analyse détaillée. On obtiendra souvent des indications suffisantes d’une courte lecture à haute voix dont on demandera ensuite un résumé, d’une épreuve de calcul mental, suivie de l’exécution des quatre opérations élémentaires de l’arithmétique, de la critique d’une phrase absurde, d’un problème simple sur la monnaie.

2. Revue clinique. – L’affaiblissement intellectuel est réalisé par des processus anatomiques et cliniques assez divers qui lui impriment des aspects un peu différents. Nous renvoyons pour l’étude détaillée de chaque cas particulier aux affections en cause dont il nous suffira de donner une rapide nomenclature.

a) La confusion mentale qui accompagne certaines maladies infectieuses peut laisser des séquelles durables d’affaiblissement intellectuel. Cela se voit surtout chez les jeunes sujets et les adolescents et se produit parfois à retardement (pyrexies de l’enfance, fièvre typhoïde, encéphalites réactionnelles diverses).

b) C’est également par ce mécanisme de dissolution confusionnelle et aussi par l’injure organique portée aux centres nerveux que certaines intoxications peuvent entraîner des affaiblissements intellectuels dont celui de l’alcoolisme est un bel exemple. On observe aussi cette séquelle dans l’intoxication oxy-carbonée.

c) Certains traumatismes crâniens, certaines commotions cérébrales peuvent entraîner à leur suite des états de ralentissement, d’affaiblissement intellectuel vrai favorisés par l’inertie et parfois le calcul utilitaire. De même, certaines insolations graves laissent à leur des fléchissements de mémoire et d’attention définitifs.

d) Les états déficitaires juvéniles sont de nature et de formules diverses. Certains d’entre eux relèvent d’une origine infectieuse banale; d’autres paraissent consécutifs à de petites poussées d’encéphalite mineure qui ne vont pas jusqu’à la déchéance démentielle. Il en est d’ordre dégénératif, comme c’est le cas dans la démence précoce dite du type Morel.

À côté d’eux, se trouve la schizophrénie, telle que l’a conçu E. Bleuler., dans laquelle le déficit est plus apparent que réel, le désordre étant essentiellement constituée par la dissociation intra-physique (Bleuler), la discordance (Chaslin) avec replis dans l’autisme, perte de contact avec l’ambiance.

e) Chez les délirants chroniques, l’affaiblissement intellectuel peut survenir au bout de quelques années; toutefois, il est exceptionnel dans les folies raisonnantes et chez les paranoïaques qui gardent et exploitent longtemps leur vigueur intellectuelle. Mais dans les psychoses hallucinatoires chroniques, un moment vient où le tonus psychique fléchit, l’auto-critique se perd, les stéréotypies s’installent et l’activité pragmatique s’éteint progressivement.

f) Involution sénile et démence organique. – Dans les affaiblissements pré-démentiels organiques, le fléchissement n’est presque toujours que le premier stade d’une démence souvent escortée de signes neurologiques; il procède volontiers par à-coups et la dégradation suit, dans sa marche descendante, la courbe de la détérioration organique.

Dans la paralysie générale au début, l’affaiblissement du jugement, de la mémoire doivent être recherchées avec soin derrière une exaltation apparente des facultés. Les signes humoraux et neurologiques permettent un rapide diagnostic.

Dans l’artériosclérose cérébrale, l’affaiblissement se fait par à-coups et par paliers en rapport avec de petits ictus et il se transforme vite en démence. Un affaiblissement intellectuel progressif est souvent le premier signe d’une encéphalose du type Pick et Alzheimer ; enfin, il peut marquer la phase initiale de développement d’une tumeur cérébrale.

Dans les états d’involution présénile, l’affaiblissement intellectuel se produit généralement sous forme lente et insidieuse. Mais ce simple fléchissement peut être précipité dans son évolution par des facteurs organiques ou physiologiques (artériosclérose cérébrale, auto-intoxications, etc.)

Dans les démences séniles, le sujet glisse progressivement vers un affaiblissement simple (forme apathique) et peut tromper longtemps son entourage par la conservation de ses automatismes ; dans la forme presbyophrénique, il y a un cortège de bavardages incohérents et de fabulation qui alertent assez vite les proches. Dans tous ces cas, la mémoire est généralement la première et la plus profondément atteinte des facultés.

3. Thérapeutique. – Il n’y a pas de traitement curateur de l’affaiblissement intellectuel constitué. On peut seulement tenter de stabiliser la détérioration au stade atteint et de compenser les déficits par la stimulation des capacités restantes en escomptant le jeu des vicariances. Une certaine rééducation ou réhabilitation doit ainsi être instituée devant certains déficits partiels, surtout instrumentaux, chez des sujets encore jeunes (après tumeur ou traumatisme par exemple). On doit surtout organiser l’existence de l’affaibli (réadaptation) en fonction de ses résidus utilisables que les tests psychologiques aideront à déterminer.

L’attitude thérapeutique la plus sûre réside dans la prophylaxie de l’affaiblissement intellectuel pendant l’évolution ou la convalescence des psychoses qui peuvent y conduire. Cette action dépend étroitement de l’étiologie mais aussi des données nouvelles concernant la biologie des cellules nerveuses qu’il convient de protéger ou de restaurer (respiration, irrigation, échanges ioniques, etc.).

4. Conséquences médico-légales. – L’affaiblissement intellectuel, quand son caractère irréversible se confirme, justifie le plus souvent et impose parfois des mesures préservatoires. La capacité civile des affaiblis n’est plus entière, leurs actes deviennent contestables. De même, la responsabilité pénale en cas de crime ou de délit sera matière à discussion sous l’angle de la démence au moment de l’action (art. 64. C.P.).

L’affaiblissement intellectuel résultant d’un accident ou d’une lésion provoquée par un acte criminel ouvre pour la victime droit à réparation (expertise en dommage). Il est enfin la cause d’une réduction d’aptitude ou d’une incapacité pouvant provoquer la réforme pour les militaires et personnels civils de l’État, la mise en invalidité pour les bénéficiaires de la législation des assurances sociales.

Ant. Porot et Ch. Bardenat

Bradypsychie

Ralentissement des processus intellectuels et du courant de la pensée. Difficulté à évoquer les souvenirs, réponses données à retardement, réactions habituellement tardives caractérisant cet état que l’on décrit surtout dans les processus encéphalitiques, en particulier dans la maladie de Cruchetvon Economo et dans les syndromes parkinsoniens (syndroms bradykinétiques de l’Écolo hordelaise). On le rencontre aussi dans les atteintes des zones frontales et du corps calleux.

On l’a également signalé dans les intoxications oxycarbonées (forme bradykinétique de Ajuriaaguerra et Rouault de La Vigne).

Il est enfin une forme fréquente, mais transitoire, de bradypsychie : celle qui marque le début de la confusion mentale avant la dissolution complète de la conscience et qui peut survivre comme séquelle post-confusionnelle (confusion mentale chronique de Régis et Laures).

On pourrait en rapprocher aussi la viscosité psychique des épileptiques sur laquelle a insisté Mme Minkowska.

H. Aubin.

Sénescence

La sénescence est la perspective biologique sous laquelle apparaît dans son âge avancé l’homme conservant les attributs d’une santé normale.

Il ne faut la confondre ni avec la vieillesse (notion purement chronologique) ni, comme on le fait parfois, avec la sénilité (notion pathologique).

L’âge de son apparition est variable selon les sujets. Elle répond à des modifications progressives et généralement insensibles des activités physiologiques, tissulaires et métaboliques qui n’ont guère fait l’objet d’études systématiques (gériatrie) et où l’on se contente un peu trop sommairement de voir un processus d’usure.

Les effets de la sénescence sur le corps et sur l’esprit ne sont d’ailleurs pas fatalement parallèles.

Dans le domaine psychique, l’examen de la sénescence peut être abordé en confrontant ses déficits (aspect négatif) avec ses émergences (aspect positif) pour aboutir à une certaine synthèse.

L’aspect négatif est le plus communément décrit et souvent confondu avec l’involution dite présénile (v. Présénile). Il pourrait se résumer, d’après Dublineau, en une baisse simultanée du tonus des moyens d’investissements (fonctions d’affirmation et d’adaptation) et des moyens de transport; le régime des « sources d’énergie » s’infléchit, les tendances à la conservation sont moins impérieuses et plus économiques, les seuils d’acuité sensitivo-sensoriels s’élèvent et favorisent l’isolement et la sédentarité, autotropisme des intérêts, tandis que les potentiels d’activité extérieure sont limités par les possibilités vasculaires.

L’aspect positif de la sénescence dérive, pour une part, de ces fléchissements : le tonus, moins dispersé, libéré en particulier des complications hétérosexuelles, peut s’investir dans les œuvres pures de l’intelligence et, en particulier, s’orienter dans le sens des fonctions de synthèse, de rationalisation (au détriment, d’ailleurs, des fonctions analytiques); le sujet voit de haut et de loin et accède plus facilement aux spéculations supérieures, à la « sagesse » intellectuelle et affective.

Mais on peut concevoir (Dublineau) cet aspect positif, pour une autre part, comme l’épanouissement qui prolonge l’âge de la plénitude, lequel succède à la résolution d’une crise climatique ou évolutive. Les instances neuves libérées de la crise (spiritualisation psycho-affective) sont en mesure de s’orienter sur le milieu et d’y investir; la socialisation qui en résulte retentit à son tour sur le sujet pour l’enrichir et lui offrir « des chances de renouvellement », ne fût ce que dans « l’art d’être grand-père ».

L’hygiène mentale de la sénescence doit s’inspirer de ces remarques. Elle préviendra ou retardera peut-être la baisse de tonus par l’hormonothérapie, la prophylaxie vasculaire, la préservation toxique et toxinique (Marchand). Elle favorisera l’économie de ce tonus par la réduction rationnelle des sources extérieures d’intérêt, tout en évitant l’inaction (danger de la « retraite »), soit par le choix d’une occupation compensatrice, soit, mieux encore, par un reclassement dans le métier. A. Feil a bien montré, du reste, que l’intérêt de l’individu ne s’oppose pas sur ce point à celui de l’économie sociale, car les travailleurs âgés dans l’entreprise compensent par la qualité de leur production et une meilleur utilisation de l’outillage la diminution de leur rendement quantitatif.

Il faut, d’autre part, empêcher l’isolement affectif, la rétraction et l’égocentrisme du vieillard pour tendre, au contraire, à la bonne intégration dans la famille, le clan, les générations montantes qui peuvent bénéficier (et la civilisation avec elles) de son expérience.

En effet, sur le plan affectif, Répond a souligné récemment certaines causes d’isolement moral et de fléchissement du vieillard : cessation de l’activité, dévalorisation sociale, atteintes à la sécurité moral et matérielle, rupture de liens affectifs irremplaçables. Il faut donc maintenir le plus de contacts possibles avec l’extérieur, l’isolement affectif et social étant le grand mal de la sénescence.

On ne saurait trop insister d’ailleurs (H. Meng) sur le fait que c’est, dès l’âge de la maturité, que se prépare une harmonieuse vieillesse par le maintien d’un bon équilibre entre une vie affective et sexuelle normale et une discipline corporelle et sociale qui puisse déterminer l’attitude spirituelle favorable de l’homme (comme de la femme), vis-à-vis de lui-même, au moment de la « crise ».

Ch. Bardenat.

Parkinsonisme

1. Dans la maladie de Parkinson vraie (présénile), parallèlement à la rigidité et au raidissement moteurs, il y a lenteur de l’idéation (bradypsychie), manque de vivacité et de souplesse dans le courant de la pensée. Derrière le masque figé, le regard fixe et le mutisme apparents, l’esprit garde son attention et le jugement sa rectitude. Si la vie mentale paraît ordinairement comme « bloquée », on peut assister – comme dans l’ordre moteur – à de brusques décharges, à des répétitions précipitées de mots (palilalie) et même à des stéréotypies verbales.

Le masque figé, l’attitude, la stupeur peuvent en imposer au début pour une stupeur mélancolique ou catatonique, erreurs que les signes et testes moteurs empêcheront de commettre.

Mais il faut savoir que, très souvent, le parkinsonisme s’annonce par un véritable état mélancolique (mélancolie d’involution) et ce n’est que plusieurs mois ou quelques années après ce lever de rideau que le syndrome moteur s’installe.

On a signalé aussi chez quelques parkinsoniens une certaine instabilité anxieuse ordinairement escortée de troubles vasomoteurs.

Dans quelques cas rares, on a rencontré quelques manifestations hallucinatoires ou oniriques en rapport avec une extension des processus vers le pédoncule et le locus niger. Des accidents de ce genre ont été relevés chez des malades ayant pris de trop fortes doses de scopolamine ou d’atropine; ils sont alors éphémères.

2. Dans le parkinsonisme postencéphalitique, on peut relever les mêmes phénomènes de bradypsychie, mais les troubles de l’humeur et du caractère y sont plus marqués. Sigwald et Bonduelle, après d’autres auteurs, ont souligné chez des parkinsoniens dont l’état psychique habituel est normal, des crises violentes, mais passagères d’excitation annoncées par de l’angoisse et qui ont la même signification que les crises oculogyres ou les redoublements paroxystiques de l’hypertonie; elles cèdent, du reste, aux médications antiparkinoniennes de synthèse et ne doivent par provoquer une mesure d’internement. Les troubles du sommeil et l’onirisme y sont aussi plus fréquents.

Enfin, rappelons les perversions acquises postencéphalitiques de l’enfant.

X.Abély, P. Guiraud et Marchand (S.M.P., 10 mars 1958) ont fait remarquer, avec observations à l’appui, que ce syndrome mental post-encéphalique peut n’apparaître que très tardivement. De tels cas ne sont pas rares.

– La capacité civile des parkinsoniens vrais est, en principe, conservée. Ils sont plus gênés, dans la pratique de la vie et la gestion de leurs intérêts par leur infirmité motrice que par la faiblesse mentale. Ils ont de la peine à donner des signatures et il faut envisager à temps pour eux l’opportunité de leur faire signer une procuration, ou recourir à une interdiction ou à un conseil judiciaire. Au stade ultime de la maladie, le ralentissement intellectuel peut être assez sérieux pour qu’on puisse contester leur capacité civile.

Mêmes considérations pour les postencépahlitiques. La responsabilité pénale dans les cas de perversions acquises ne saurait être admise.

Ant. Porot.

Voir aussi :

Survivre aux études

« Dès que l'on commence à épier son corps, le vieillissement a commencé. (Claudette Boucher, Jamais plus les chevaux). Image : © by  Megan Jorgensen.
« Dès que l’on commence à épier son corps, le vieillissement a commencé. (Claudette Boucher, Jamais plus les chevaux). Image : © by  Megan Jorgensen.

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