Le refus d’aliments, les conduites de refus et la psychologie
Il y a des manières d’accorder les grâces, qui sont plus insupportables que le refus. » (Antoine Gobaud, Chevalier de Méré, écrivain français né en 1607 et mort en 1684. Maximes, sentences et réflexions morales et politiques).
Le refus d’aliments, encore assez improprement appelé sitiophobie*, est un syndrome que l’on rencontre souvent en pathologie mentale.
Il doit être nettement distingué de l’anorexie, trouble physiologique consistant dans la perte de l’appétit, et de la « grève de la faim », attitude délibérée que des sujets conscients adoptent généralement en manière de protestation spectaculaire (tels des cas du lord-maire de Cork en Irlande, de Mahatma Gandhi en Inde) et qui, lorsque le fait se produit chez un détenu, peut placer le psychiatre de l’établissement dans une situation déontologique difficile (Frantz Adam, 1953) entre le respect de la liberté d’un prévenu et le devoir de conserver sa santé.
Le refus d’aliments est un comportement qui répond à des mécanismes divers selon l’état qui le conditionne.
Dans la mélancolie, le refus d’aliments est quelquefois une modalité d’intention suicidaire. Le plus souvent, il traduit l’aboulie et la prostration du malade. Il est fréquent qu’il dépende d’une idée délirante de ruine ou d’indignité (le malade croit qu’il ne pourra payer sa nourriture, qu’il ne mérite pas celle-ci) ou d’une hallucination impérative.
Dans presque tous ces cas, le refus est complet, c’est-à-dire qu’il englobe toutes les préparations et même les boissons.
Au cours de certains délires systématisés de persécution, le malade ne s’alimente plus parce qu’il est persuadé qu’on tente de l’empoisonner. Souvent alors, le refus est partiel. Certains aliments trouvent grâce devant le sujet parce qu’ils lui paraissent offrir des garanties de sécurité : le lait ou l’huile (chez les Nord-Africains qui passent pour des contrepoisons, l’œuf qui est protégé par sa coquille, etc.).
Le refus d’aliments est encore une des manifestations du négativisme et, comme tel, s’observe dans la démence précoce (surtout catatonique), dans certains épisodes de la manie aiguë, de la paralysie générale, de l’hystérie, de la confusion mentale, etc.
On le rencontre encore en relation avec des paroxysmes mystiques (pénitence), des idées hypocondriaques (les aliments ne peuvent être digérés), des idées d’influence (on ordonne au sujet de ne pas manger).
L’intérêt que présente le refus d’aliments du point de vue thérapeutique l’emporte de beaucoup sur sa valeur symptomatique et diagnostique. Il constitue l’un des gros problèmes de la pratique courante.
Quand le refus d’aliments n’est que relatif, la persévérance et la persuasion peuvent suffire à surmonter l’obstacle qu’il oppose au maintien d’un apport calorique indispensable à la vie. Il réclame une éducation convenable du personnel infirmier et des qualités de patience inépuisables. Les aliments devront souvent être amenés à la bouche du malade qui consentira parfois à les déglutir cuillerée après cuillerée.
*Sitiophobie : Terme consacré par l’usage, quoique improprement employé pour désigner le refus de boissons et d’aliments (v. Refus d’aliments). Celui-ci répond, en effet, rarement au mécanisme obsessionnel des phobies. Lorsque le refus d’aliments procède d’une phobie, il est d’ordinaire électif pour un mets déterminé, en liaison avec la crainte de s’intoxiquer, de grossir, une évocation répugnante ou un dégoût irraisonné et insurmontable.
Conduites de refus
Elles englobent, dans la perspective ethno-sociologique, toutes les réactions normales et pathologiques, qui tendent à exclure de la conscience toutes les situations, les représentations, les actes vécus comme des transgressions. Elles s’opposent aux « conduites d’acceptation » (telles que l’aveu) qui, magiquement, engagent le sujet et constituent un « pacte » (consommant ou pérennisant un état de fait), une réalisation symbolique (vécue comme toute autre réalité).
Le reniement et le refoulement (psychanalytique) sont les formes les plus typiques du refus. Nous avons décrit de même « le renversement magique » d’une situation redoutée ou dévalorisante par une situation inverse agie par le sujet : le négativisme en est un cas particulier.
Citons encore :
- Le refus du temps (de grandir, de vieillir, de mourir) ;
- Le refus du risque (besoin de sécurité) ;
- Le refus de la condition humaine, du sexe, de l’échec, méconnaissances systématiques (de Vié), opposition infantile ;
- Les amnésies affectives ;
- Les refus agis : certaines impulsions et « actions de circuit » (au sens de Kretschmer), qui réalisent des gestes, très communs en médecine légale, qui échappent à la volonté réfléchie du sujet.
Baruk a groupé sous le nom de « syndrome de refus de la réalité » un certain nombre des faits précédents méfiance d’origine affective (états passionnels), attitude d’opposition systématique, états délirants et paranoïaques, schizophréniques. Il a utilisé pour son étude le teste de Tsedek.
H. Aubin.
Alimentation artificielle
On doit recourir à l’alimentation artificielle chaque fois que les malades présentent du refus systématique d’aliments.
1. Pendant vingt-quatre à quarante-huit heures, on peut essayer de stimuler l’appétit du malade par l’injection d’une petite dose d’insuline (10 à 20 unités), associée à l’injection de sérum glucose (sous-cutanée : 500 à 1.000 cc).
2. En cas d’échec, on dispose de deux moyens commodes : la sonde oesophagienne, le lavement alimentaire.
A) La sonde oesophagienne. – On se sert d’une sonde en caoutchouc moyennement souple d’une longueur de 50 à 60 cm d’un diamètre extérieur de 6 à 10 mm. L’extrémité, qui doit être introduite dans l’estomac, doit être mousse afin de ne pas léser les organes lors de la mise en place. Elle peut être terminée soit par un bout plein arrondi, soit par une ouverture à bord mousse. À un cm de cette extrémité, se trouve une ouverture latérale. L’autre extrémité de la sonde s’évase de façon à s’aboucher à un entonnoir.
Alimentation. Photo : ElenaB.
Chez les aliénés, on est le plus souvent obligé d’introduire la sonde par la voie nasale. Il est indispensable :
1. D’utiliser une sonde autant que possible aseptique;
2. De lubrifier l’extrémité de la sonde avec de la vaseline ou de l’huile goménolée, afin de faciliter le passage par les fosses nasales.
Le malade doit être immobilisé. Lorsqu’il s’agit d’un malade calme et non opposant, il est possible de l’asseoir, bien enveloppé dans un drap. Le plus souvent, le malade doit être maintenu allongé dans le lit. La partie difficile de l’opération est l’introduction de la sonde dans l’œsophage. Il arrive souvent que l’extrémité de la sonde pénètre dans le larynx (fausse route), ce que déclenche un réflexe de toux et une gêne respiratoire. Il faut immédiatement retirer la sonde de quelques centimètres, puis recommencer l’opération. Pour faciliter le passage dans l’œsophage, il faut essayer de provoquer des mouvements de déglutition en introduisant un peu d’eau dans la bouche du malade. On aura la certitude d’être dans l’estomac si le malade parle normalement la sonde étant en place ou si l’on extrait par la sonde un liquide faisant virer au rouge le tournesol bleu.
Composition du liquide de sonde : Très variable : lait, bouillon, jus de viande, œufs. Il importe de faire absorber au malade sous forme liquide tous les aliments qui doivent constituer une alimentation normale.
Il faut parer à l’absence de vitamines par l’adjonction de jus de fruits, et de préparations vitaminées. Les médicaments appropriés seront administrés à l’occasion du sondage. La quantité totale administrée en une fois ne doit guère dépasser ¾ de litre. Il peut être nécessaire d’administrer 2 à 3 sondes par vingt-quatre heures, chez des malades ayant de l’intolérance gastrique.
Ne jamais oublier de vérifier que la température du liquide de sonde ne dépasse pas 30 degrés, au moment de l’introduction dans l’estomac.
Lorsque le malade vomit régulièrement sa sonde, il faut essayer d’introduire le liquide froid. On peut encore commencer la sonde par l’introduction d’une petite quantité d’eau chloroformée. En d’échec de ces procédés, l’injection sous-cutanée d’atropine ou de belladénal – quinze à trente minutes avant le passage de la sonde – donne parfois de bons résultats.
Avant de retirer la sonde, il y a avantage à la rincer avec un peu d’eau. Puis en pinçant l’extrémité supérieure, on retire la sonde assez rapidement, afin d’éviter que le liquide de sonde s’écoule dans les fosses nasales ou dans le larynx. Une sonde correctement administrée n’est nullement dangereuse, toutefois des accidents mortels ont été signalés.
Si le passage par les narines est impossible, on peut passer par la bouche, mais il est alors indispensable de placer un ouvre-bouche ou un coin en bois pour éviter que le malade ne coupe la sonde avec les dents.
B) Lavements nutritifs. – Si, pour une raison quelconque, le malade ne peut être alimenté par les voies normales, on peut être obligé de recourir au lavement alimentaire. Après avoir donné un lavement évacuateur, on injectera lentement, en se servant d’une canule, une des préparations suivantes :
- Lait : 300 g
- Ou bouillon : 150 g
- Jaunes d’œufs : 2 ou 3
- Sel de cuisine : 1 cuillerée à café
- Laudanam de Sydenham : X gouttes
Dans tous les cas où le malade est alimenté artificiellement, une surveillance attentive de l’état général et du poids est nécessaire afin de déterminer par tâtonnement la quantité et la qualité des aliments indispensables pour éviter une dénutrition dangereuse.
c) Certains cas présentent une difficulté toute particulière : cas des mélancoliques opposants qui, à la suite d’ingestions caustiques, dans un but de suicide, font une sténose de l’œsophage. On est alors parfois obligé de recourir à l’alimentation artificielle par gastronomie.
F. Ramée.
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