La rage au volant

La psychologie prend le volant

La rage au volant fait jaser au Québec. Un innocent automobiliste abattu à Laval, un vieillard tabassé par un repris de justice, une voiture immobilisée tamponnée à Trois-Rivières…

Sans compter les dizaines d’autres incidents qui, sans faire les manchettes, nous font sortir de nos gonds à chaque jour sur les routes du Québec.

Loin des klaxons et des crissements de pneus, un psychologue de l’Université de Montréal a identifié la trinité de l’agressivité au volant. Se faire suivre pare-chocs contre pare-chocs. Se faire couper sans préavis. Et surtout, se faire voler sa place de stationnement.

En installant des cobayes au volant d’une Honda Civic dont le moteur a été remplacé par un ordinateur, Jacques Bergeron a déterminé les circonstances qui rendent les conducteurs plus agressifs. Cette simulation reproduit remarquablement bien la conduite réelle des cobayes. Le psychologue Bergeron aborde en outre l’agressivité à travers une étude de deux ans sur les conducteurs à très haut risque, proposée par la Société d’assurance auto-mobile (SAAQ).

« De plus en plus de conflits vont se produire sur la route », soutient le psychologue, en entrevue dan son bureau aux murs tapissés de dossiers, rue Vincent-d’Indy. « Il y a de plus en plus de conducteurs sur la route. De plus en plus de personnes âgées, qui prennent plus large et n’acceptent pas d’être limitées dans leur conduite; de plus en plus de camionneurs, qui entrent souvent en conflit avec les voitures; de plus en plus de cyclistes, qui ne veulent pas être confinés aux pistes cyclables; de plus en plus de patineurs. Les situations frustrantes se multiplieront. Il faut avoir une attitude de courtoisie si on veut survivre comme individu et comme collectivité. »

Ne pourrait-ôn pas apprendre aux automobilistes à regarder derrière eux quand ils changent de voie? « Il y aura toujours des distractions, soutient M. Bergeron. Se quelqu’un nous coupe, ou bien c’est délibéré, et alors il vaut mieux éviter d’entrer dans une spirale de confrontation; ou bien c’est une maladresse et la personne n’est pas plus méchante que nous. Dans les deux cas, il faut éviter les interactions agressives. »

Faire « boire » le simulateur

La cinquantaine d’étudiants qui travaillent avec M. Bergeron utilisent des questionnaires, des observations sur route et trois simulateurs. La Honda Civiq, qui a dû être découpée en deux pour être installée au quatrième étage du pavillon de psychologie, sert à la majeure partie des tests; les données vont jusqu’au rythme cardiaque. Dans une autre salle trône un modèle « portatif », un quart d’habitude de Chevrolet Tracker, utilisé dans les écoles et les centres commerciaux. Les tests d’attention dernier cri sont mis au point dans l’avant d’un habitacle de Chevrolet Lumina. Dans tous les cas, le conducteur est isolé derrière une portière fermée, pur recréer l’exiguïte du siège du conducteur.

La simulation reflète assez bien la réalité. « Les dossiers d’accidents d’infractions de la SAAQ prédisent la conduite sur simulateur, affirme M. Bergeron. Nous venons de faire une autre corrélation, avec un circuit de 23 kilomètres à travers Outremont, le mont Royal, la rue Guy et l’autoroute Ville-Marie. La corrélation est très élevée entre les vitesses simulée et réelle. On peut considérer que les résultats de la simulation reflètent la réalité. »

Une dizaine d’équipes à travers le monde se penchent sur la psychologie des conducteurs depuis une douzaine d’années. Avec une cinquantaine de publications et communications, le laboratoire de l’Université de Montréal est bien coté, même si l’Université de l’Ioawa vient de s’offrir un simulateur de 14 millions qui rend M. Bergeron « jaloux ».

Dernièrement, par exemple, le psychologue de l’UdM a remis au ministère des Transports une évaluation des nouveaux feux clignotants jaunes sur les autobus scolaires, qui annoncent un arrêt prochain. Contrairement aux feux jaunes des intersections, qui incitent à appuyer sur le champignon, cette mesure expérimentale incite les automobilistes à ralentir, à constaté M. Bergeron.

L’un des hauts faits de son équipe concerne les récidivistes qui se font continuellement pincer en état d’ébriété au volant. « Les campagnes contre l’alcool au volant ont très bien fonctionné: entre 1987 et 1997, on est passé de 25 000 à 12 000 premières condamnations par an. Mais le nombre de récidivistes condamnés est resté stable à 5000. » En gros, ça veut dire qu’entre le tiers et la moitié des automobilistes qui conduisent saouls ont déjà été pincés par la police.

L’aggravation des sentences n’a donc pas dissuadé les habitués de l’alcotest, constate M. Bergeron. « Il faut alors regarder du côté des traitements de l’alcoolisme. On a vu, dans une étude conjointe avec les criminologues de Recherche intervention sur les substances psychoactives, que les récidivistes réussissent les traitements aussi bien que les autres alcooliques. » Ce taux de succès tourne autour de 10% en ce qui concerne l’abstinence, mais grimpe à environ 50% si on considère la « réduction des méfaits », méfaits qui incluent les condamnations criminelles.

L’attrait que les jeunes ont pour le risque s’est aussi retrouvé sous la loupe du psychologue Bergeron. « Les jeunes boivent de plus en plus tôt, explique-t-il. Ins conduisent aussi plus jeunes. On songe à installer notre simulateur portatif dans les écoles pour montrer les effets de l’alcool sur la conduite. Ça plaît aux jeunes de conduire des simulateurs. »

La première étape de ce programme a consisté à faire boire trois ou quatre vodkas à 50 cobayes fraîchement majeurs, jusqu’à un taux de 0,12. Ensuite, leur conduite a été présentée à d’autres cobayes – sans qu’on puisse voir le conducteur. « Ils étaient tout à fait capables de distinguer les comportements des conducteurs ivres de celui des conducteurs sobres, s’exlame M. Bergeron. Surtout au niveau du contrôle du volant, quand ils passaient près d’un véhicule stationné ou qu’ils contournaient des travaux routiers. »

Les programmeurs de M. Bergeron vont traduire l’ivresse en décalage du frein et du volant. Ensuite, on pourra « faire boire le simulateur » pour éduquer les écoliers.

(La Presse, 22 avril 2000).

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Monument de Marie-Madeleine Verchères.

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